HISTOIRE DU ROI SCHAHRIARET DE SON FRÈRE, LE ROI SCHAHZAMAN
A cette vue, le frère du Roi dit en son âme : «Par Allah ! ma calamité est bien plus légère que cette calamité-ci !» Et aussitôt, il laissa s’évanouir son affliction et son chagrin, en se disant : «En vérité, cela est plus énorme que tout ce qui m’advint !»
Et, dès ce moment, il se reprit à boire et à manger sans discontinuer. Sur ces entrefaites, le Roi, son frère, revint de voyage, et tous deux se souhaitèrent mutuellement la paix. Puis le roi Schahriar se mit à observer son frère le roi Schahzaman ; et il vit que ses couleurs et son teint étaient revenus et que son visage s’était revivifié ; que, de plus, il mangeait de toute son âme après avoir été si longtemps modique de nourriture. Et il s’en étonna et dit : «Ô mon frère, je te voyais naguère jaune de teint et de visage, et maintenant, voici que les couleurs te sont revenues ! Raconte-moi donc ton état.»
Il lui répondit : «Je te mentionnerai la cause de ma pâleur première ; mais dispense-moi de te narrer pourquoi les couleurs me sont revenues !» Le Roi lui dit : «Raconte-moi donc premièrement, pour que je l’entende, la cause de ton changement de teint et de ton affaiblissement.»
Il répondit : «Ô mon frère, sache que lorsque tu as envoyé ton vizir vers moi requérir ma présence entre tes mains, je fis mes préparatifs de départ et je sortis de ma ville. Mais ensuite, je me rappelais le joyau que je te destinais et que j’ai donné au palais : aussi, je revins sur mes pas et je trouvais mon épouse couchée avec un esclave noir endormis sur les tapis de mon lit ! Je les tuai tous deux et je vins vers toi, et j’étais bien torturé à la pensée de cette aventure ; et c’est là le motif de ma pâleur première et de mon amaigrissement. Quant au retour de mon teint, dispense-moi de le mentionner !»
Lorsque son frère entendit ces paroles, il lui dit : «Par Allah ! je t’adjure de me raconter la cause du retour de ton teint !» Alors le roi Schahzaman lui répéta tout ce qu’il avait vu. Et le roi Schahriar dit : «Il me faut avant tout voir cela de mon propre œil !» Son frère lui dit : «Alors, fais semblant de partir à la chasse à pied et à courre ; mais cache-toi chez moi, et tu seras témoin du spectacle et tu le vérifieras par la vue !»
A l’heure même, le Roi fit proclamer le départ par le crieur public ; et les soldats sortirent avec les tentes en dehors de la ville ; et le Roi sortit aussi et s’établit sous les tentes et dit à ses jeunes esclaves : «Qu’il n’entre chez moi personne !» Ensuite, il se déguisa et sortit en cachette et se dirigea vers le palais, là où était son frère, et en arrivant, il se mit à la fenêtre qui avait vue sur le jardin. Une heure s’était à peine écoulée que les esclaves femmes, entourant leur maîtresse, entrèrent ainsi que les esclaves hommes : et ils firent tout ce qu’avait dit Schahzaman, et ils passèrent le temps dans ces ébats jusqu’à l’asr.
Lorsque le roi Schahriar vit cet état de choses, sa raison s’envola de sa tête ; et il dit à son frère Schahzaman : «Allons-nous en et partons voir l’état de notre destinée sur le chemin d’Allah ; car nous ne devons avoir plus rien de commun avec la royauté et cela jusqu’à ce que nous puissions trouver quelqu’un qui ait éprouvé une aventure pareille à la nôtre : sinon, notre mort serait, en vérité, préférable à notre vie !»
A cela, son frère fit la réponse qu’il fallait. Puis tous deux sortirent par une porte secrète du palais. Et ils ne cessèrent de voyager jour et nuit jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés enfin à un arbre au milieu d’une prairie solitaire, près de la mer salée. Dans cette prairie, il y avait un œil d’eau douce : ils burent à cet œil et s’assirent se reposer.
Une heure s’était à peine écoulée de la journée que la mer se mit à s’agiter, et, tout à coup, il en sortit une colonne de fumée noire qui monta vers le ciel et se dirigea vers cette prairie. A cette vue, ils furent effrayés et montèrent au plus haut de l’arbre qui était haut et se mirent à regarder ce que pouvait bien être l’affaire. Or, voici que cette colonne se changea en un genni de haute taille, de forte carrure et de large poitrine et qui portait sur sa tête une caisse.
Traduit par Dr Joseph-charles Mardus
(A suivre)