Après un don en novembre 2021 de 30 000 tonnes de carburant à la Tunisie, la Libye vient d’acheminer, il y a quelques jours, une centaine de camions de gros tonnage chargés de denrées alimentaires vers son voisin de l’Ouest. Ceci témoigne des relations fraternelles entretenues par les deux pays, dont la proximité a de tout temps été avérée. Cette opération entre dans les usages diplomatiques et les traditions de solidarité qui animent les deux peuples du Maghreb, et cette initiative libyenne, somme toute symbolique, a été faite en direction des populations du Sud tunisien qui souffrent de la sécheresse. Ce constat est perçu depuis des décennies dans la dynamique de bon voisinage entre les deux pays en matière d’entraide et d’échanges commerciaux périodiques. Souvenons-nous que lors de l’embargo imposé par les puissances étrangères sur la Libye, la Tunisie et l’Algérie sont venues en aide à ce pays frère en difficulté en acheminant discrètement des produits de consommation courante par les frontières terrestres communes. Mais le récent don libyen n’a pas été du goût d’une partie de la classe politique tunisienne, opposée à Saïed Kaïs, très remontée contre l’absence de communication et de transparence, à l’instar de la grogne qui a suivi, l’an dernier, l’arrivée de la cargaison de carburants de Tripoli vers la Tunisie, une opération de solidarité «qui n’a été ni annoncée ni expliquée». Il en va également des initiatives et des aides financières que le pays reçoit «de la part de pays frères». Cela a été le cas du crédit financier contracté auprès de l’Algérie à qui, tout de même, il a été consacré une parution au Journal officiel de la République tunisienne (JORT), «sans trop de détails». Ces prêts financiers relèvent d’une longue tradition au profit de notre voisin et frisent aujourd’hui quasiment la banalité.
La Tunisie, les Algériens le savent, traverse une période difficile liée à une crise politique larvée, mais fait face surtout à des aléas économiques et à la raréfaction de ses ressources financières, comme elle n’en a jamais eues par le passé. Contrairement à l’Algérie, qui s’est appuyée sur ses ressources en hydrocarbures et sur la relative stabilité de son économie (particulièrement l’agriculture), la Tunisie a subi de plein fouet la pandémie de Covid-19 qui a altéré considérablement son secteur touristique, pourvoyeur de rentrées en devise et qui a mis à mal ses activités adjacentes, comme les biens et services et la production et la commercialisation des produits artisanaux. Au-delà du don fraternel libyen de denrées alimentaires, les autorités algériennes ferment quelque peu les yeux sur le passage de produits de consommation courante en direction du marché intérieur tunisien via la bande frontalière et les villes moyennes et les villages démunis qui y sont adossés. Le pouvoir politique algérien table énormément sur la stabilité intérieure de la Tunisie. Comment en ces temps pénibles d’incertitudes ne pas être aux côtés du peuple frère qui, ne l’oublions pas, est venu en aide à des dizaines de milliers de familles de l’Est algérien qui ont fui les exactions des troupes coloniales ? Comment ne pas inscrire en lettres d’or la solidarité inconditionnelle tunisienne qui a permis à notre glorieuse Armée de libération nationale (ALN) de se servir du sol tunisien comme base arrière dans sa lutte pour l’indépendance de notre pays ?
C’est pour attirer rapidement dans son giron des investissements directs que le président Saïed Kaïs a effectué un déplacement le 7 décembre en Arabie Saoudite pour y rencontrer le président chinois Xi Jinping en marge du Sommet sino-arabe de Riyad. Peu auparavant, l’Empire du Milieu a signé avec son homologue saoudien des contrats pour la somme de 28 milliards de dollars. La Chine est aujourd’hui ultra présente en Afrique (ce que les Etats-Unis voient d’un mauvais œil). Elle a dévolu près de 60% de ses investissements étrangers en Afrique, ainsi que des disponibilités financières à taux infiniment réduits et quelquefois nuls et au remboursement à long terme pour certains pays africains en situation de crise chronique. Lors de l’entrevue qu’il a eue avec le dirigeant chinois, Saïed Kaïs a invité celui-ci à densifier les apports de Pékin investis en Tunisie. Il a énuméré à l’endroit de son puissant interlocuteur une liste de grands projets qui recherchent un financement immédiat : des usines de dessalement de l’eau de mer, des programmes de production d’électricité et d’énergies renouvelables, des barrages, la cité médicale de Kairouan, etc.
Le partenariat tuniso-chinois sera, pour le locataire du palais de Carthage, une solution de poids s’il venait à être concrétisé. Il viendrait atténuer la déception du demi-refus du Fonds monétaire international (après 48 mois de négociations) d’une aide à la Tunisie de 1,9 milliard de dollars. Fait encourageant pour la destinée des futurs rapports sino-tunisiens : Saïed Kaïs a convié son homologue chinois à venir visiter la Tunisie, et en retour, Xi Jinping a invité le président tunisien à se rendre à Pékin.