En bonne manœuvrière, la cheffe du gouvernement italien, Georgia Meloni, est parvenue à rallier le président tunisien, Kaïs Saïed, à son combat contre la migration irrégulière. Mme Meloni a entrepris de défendre le dossier tunisien devant le FMI et demandé plus de pragmatisme dans l’étude du cas.
Le président tunisien trouve son compte, lui qui insiste sur le développement des pays du Sud, pourvoyeurs de migrants, pour endiguer les causes profondes de la migration. Saïed essaie ainsi d’éviter à la Tunisie le tracas de substitut de pays d’accueil. Meloni veut, elle-aussi, réduire ce même tracas, en remettant sur le tapis le plan Mattei, du nom du PDG de l’ENI, Enrico Mattei, le lanceur de cette idée de développement de rêve pour les pays d’Afrique. Mattei avait introduit, au début des années 1960, un principe selon lequel le pays où se situe l’exploitation pétrolière de l’Entreprise nationale de pétrole (ENI) perçoit 75% des profits. Il a payé de sa vie pareille audace, puisqu’il a été tué dans un attentat à la bombe sur son avion.
L’Italie de Meloni ne cherche pas uniquement à se rappeler la mémoire de Mattei, un social-démocrate de gauche. Il s’agit surtout de réaliser le principal slogan de sa campagne électorale 2022, celui de freiner la migration à travers la Méditerranée, tout en rêvant d’un nouveau rôle en Afrique. Mattei n’est qu’un bon tremplin, faisant rêver en Afrique. Meloni veut entraîner l’UE, la Tunisie, l’Algérie, la Libye, avec les Fonds des pays du Golfe à la recherche de niches d’investissements, pour maintenir les Africains chez eux, en leur procurant du travail.
Pour le faire, elle essaie de tirer profit de la situation tunisienne, caractérisée par une grave crise socioéconomique, pas uniquement à cause de la migration irrégulière. Meloni ne cesse d’assurer à ses partenaires au sein de l’UE, le FMI ou les pays du G7 que la Tunisie est au bord de la faillite et que son dossier mérite un traitement pragmatique de la part des instances financières internationales. Elle pousse de toutes ses forces pour une décision du FMI de signer le dossier Tunisie. L’Italie s’attend à un renvoi d’ascenseur de la Tunisie en l’aidant de contrer la migration irrégulière à partir de ses côtes.
Réalité ou mirage ?
L’idée semble prometteuse, à première vue. Tous les pays du Nord et la Chine ne se disputent-ils pas l’implantation en Afrique depuis plus d’une décennie ? L’Italie voit donc d’un bon œil ce tremplin idéal pour retrouver un rôle actif à l’échelle internationale, en se plaçant à la tête d’un projet gagnant-gagnant en Afrique. Chaque partie y trouve son compte, à commencer par les pays du Sud, pourvoyeurs de migrants et rêveurs de progrès et de développement, puisque ces projets vont les concerner directement.
Les pays du sud de la Méditerranée se voient, eux-aussi, épargner du tracas des pays de transit et des réseaux occultes de l’immigration illégale. Les pays du Nord y trouvent aussi leurs comptes en s’évitant ces fléaux de migrants arrivant sur leurs côtes, avec leurs lots de problèmes humanitaires. Et, même les pays du Golfe, potentiels pourvoyeurs de Fonds de ce projet, disposeraient là, normalement, de bons placements tant l’Afrique est déjà classée comme destination d’avenir. C’est le côté doré de la médaille. Mais, il n’y a pas que cela.
Le côté sombre de l’Afrique, c’est surtout le manque drastique d’infrastructures de base, comme les routes, les chemins de fer, les ports, les aéroports, l’internet et les ressources humaines, sans oublier la santé et l’éducation, pour ne parler que de cela… Et ce n’est pas peu.
La Banque mondiale et les instances financières internationales travaillent certes sur ces créneaux. La BM a, à titre d’exemple, récemment débloqué 1,3 milliard de dollars pour un projet de généralisation de l’éducation de base au Congo. Mais, l’implantation de pareilles infrastructures et le développement des ressources humaines ont besoin d’une décennie, voire plus, pour s’installer et devenir opérationnels.
Cela risque donc de mater les espoirs de l’actuelle jeunesse africaine de voir bouger les choses et lâcher l’idée de partir. Mais, la présidente du Conseil italien cherche à s’adapter en cherchant l’implantation de petits projets, gérés par cette jeunesse et financés par les bailleurs de fonds classiques.
L’Italienne Meloni a bien préparé sa venue en Tunisie, même pour ses paroles lors du point de presse à sa sortie d’une rencontre de deux heures avec le président tunisien.
Point d’improvisation, elle lisait d’une feuille et elle a repris au mot les propos répétés à plusieurs reprises par le président Saïed. «L’approche ne peut pas être exclusivement sécuritaire et doit prendre en compte le droit des personnes à ne pas immigrer, à ne pas fuir leurs maisons, familles et terres», a dit Meloni, pour chuter sur : «Nous parlons d’une coopération non paternaliste ni prédatrice mais paritaire, qui permet à chacun de défendre ses intérêts nationaux.» Elle a veillé à nuancer le fait que le président tunisien ne veut recevoir d’ordres de personne.
L’italienne a promis une prochaine rencontre en Italie qu’elle cherche à élargir à un sommet. Meloni essaie, semble-t-il, à attirer la Tunisie à un quasi-parrainage mixte de ce sommet, en empruntant, mot à mot, les propos du président Saïed, qui va sûrement se concerter avec son homologue algérien, le président Abdelmadjid Tebboune, avant d’avancer sur une pareille piste, pas très évidente.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami