Des institutions spécialisées du système des Nations unies s’accordent à estimer que les pays d’installation captent au moins 85% des revenus des migrants africains.
Dépeinte à tort, hors du continent, soit de l’autre côté de la Méditerranée, comme un lourd fardeau du point de vue économique et social, la migration africaine se révèle, au fil du temps, un phénomène «gagnant-gagnant». Et ce sont les pays de destination qui tirent le plus d’avantages de la mobilité des Africains. Des institutions spécialisées du système des Nations unies s’accordent à estimer que ces pays d’installation captent au moins 85% des revenus des migrants africains.
Quel que soit leur niveau de compétence et de qualification – 35% d’entre eux étant hautement qualifiés, avec un niveau d’études supérieur et très avancé –, ces derniers sont d’un apport incontestable dans le développement des territoires d’accueil, contribuant, également, à l’équilibre démographique ainsi qu’au renforcement de la population active.
L’heure est donc venue pour les pays africains – ces «grands pourvoyeurs» de migrants alors que, concrètement, moins de 14% de migrants dans le monde sont africains, seulement 13% de la migration régulière dans le monde est africaine, près de 90% des Africains émigrent dans le continent et à peine 3% de la population africaine est concernée par la migration – de discuter et d’agir avec plus d’assurance.
Il est également grand temps de se désengluer du rôle de gendarme et de «simples consommateurs de statistiques, de recommandations ou de décisions émanant de l’OIM, du HCR et autres institutions ou organisations de l’UE (dixit un diplomate nord-africain)». Cette même Europe, se disant, à chaque fois, submergée par des afflux récurrents de migrants nord-africains et subsahariens, n’hésite pas à encourager la fuite des cerveaux, faisant perdre au continent jusqu’à 10% de la main-d’œuvre qualifiée et lui ravissant des promotions entières d’ingénieurs, de médecins formées par les instituts et universités africains et avec l’argent africain.
Adopter une approche commune multipartite et inclusive, impliquant le secteur privé et la diaspora, améliorer la reconnaissance des compétences, des qualifications et de l’expérience professionnelle et approfondir les discussions sur la migration de travail à travers l’UE et les pays partenaires est, entre autres, ce sur quoi sera axée la réunion de haut niveau du Processus de Khartoum et du Processus de Rabat, prévue du 16 au 17 octobre courant à Lisbonne (Portugal). Devraient y être décryptées entre pays africains membres des deux Processus et Bruxelles «des voies innovantes pour la mobilité des compétences» en vue d’une meilleure coopération en la matière.
Les deux parties débattront, par ailleurs, des suites données aux recommandations émises lors de la réunion sur «Les programmes de mobilité comme moteur de changement : comment exploiter pleinement leur potentiel», tenue en juin dernier à Praia (Cap-Vert), explorant à l’occasion «les perspectives européennes et africaines en matière de migration de travail et de mobilité des compétences» tout en se concentrant sur «l’identification des besoins clés, des obstacles et des opportunités afin d’améliorer l’élaboration de politiques publiques et de renforcer la coopération entre les pays européens et africains», précisent les organisateurs dans un document parvenu à notre rédaction.
Attentes du conclave
Ce nouveau conclave lisboète, d’où est essentiellement attendue la formulation de «politiques et des recommandations communes pour le Processus de Khartoum et le Processus de Rabat», s’inscrit dans le domaine du Plan d’action conjoint de La Valette (PACV) sur la «migration légale et la mobilité», soulignant «les avantages potentiels en matière de développement pour les pays d’origine et de destination».
A travers le Plan d’action de Cadix 2023-2027, le Processus de Rabat met particulièrement en avant l’importance de développer des voies de migration régulière pour les jeunes et les femmes, est-il indiqué dans le même document. Les deux plans s’articulant autour de nombreuses problématiques, allant de la migration irrégulière, du trafic de migrants/traite des êtres humains, à la migration régulière/mobilité en passant par les retours/réadmission et protection/asile et où est définie une série de priorités visant à soutenir les partenaires de La Valette dans le renforcement de la gouvernance des migrations entre l’Europe et l’Afrique.
Le Dialogue euro-africain sur la migration et le développement (Processus de Rabat) est un dialogue régional sur la migration qui offre, depuis 2006, un cadre de consultation sur les questions techniques et politiques liées à la migration et au développement, réunissant les pays d’origine, de transit et de destination des routes migratoires reliant l’Afrique centrale, de l’Ouest et du Nord à l’Europe. A ce jour, y sont parties quelque 57 Etats ; 29 européens et 28 africains, l’Algérie et la Libye ayant le statut de membres observateurs.
Lancé en 2014 à la suite de la tragédie migratoire d’octobre 2013, où près de 360 migrants africains avaient péri au large des côtes de Lampedusa, en Italie, le Processus de Khartoum, «initiative structurée par l’approche globale de l’UE en matière de migration et de mobilité (GAMM)», repose, quant à lui, sur quatre piliers : «organisation et facilitation de l’immigration légale et de la mobilité, prévention et lutte contre la migration irrégulière et éradication de la traite des êtres humains, optimisation de l'impact de la migration et de la mobilité sur le développement et enfin promotion de la protection internationale et renforcement de l'asile externe».
Signé par une cinquante de pays d’Europe et d’Afrique, ce Processus est dirigé par un comité composé de cinq Etats membres de l’UE (Italie, France, Allemagne, Pays-Bas et Suède), de cinq pays africains (Egypte, Erythrée, Ethiopie, Soudan du Sud et Soudan), de la Commission européenne, du Service européen pour l’action extérieure et de la Commission de l’Union africaine.