Comprendre le budget, le processus budgétaire et la politique budgétaire

09/09/2024 mis à jour: 21:22
2009

La politique budgétaire est un levier macroéconomique qui affecte directement l’utilisation des ressources globales d’une économie ainsi que le niveau de la demande et de l’offre globale. 

En effet, il est établi : 

(1) qu’une politique budgétaire articulée de façon cohérente avec des politiques monétaire et de change appropriée a des répercussions sur la balance des paiements, le niveau de la dette publique et les taux d’inflation et de croissance économique  ; (2) à travers la fiscalité, les dépenses publiques et l’emprunt, la politique budgétaire affecte le comportement des producteurs et des consommateurs et influence la répartition des revenus et de la richesse dans l’économie ; et (3) les déséquilibres macroéconomiques importants internes et externes, la faiblesse de la croissance et la hausse de l’inflation résultent tous trois dans une certaine mesure de déséquilibres budgétaires que les politiques publiques n’ont su corriger. 

Au moment où de nombreux pays du monde (y compris l’Algérie) sont en pleine phase de préparation du budget pour 2025, il est donc essentiel de bien comprendre ce qu’est un budget, comment s’articule le processus de préparation et d’adoption d’un budget national et surtout le rôle de la politique budgétaire dans la gestion macroéconomique d’un pays (notamment dans un contexte de taux de change fixes). Discutons de ces questions. 


Les concepts-clés en matière budgétaire 

(1) le budget de l’Etat : est l’acte par lequel sont prévues et autorisées les recettes et les dépenses de l’Etat pour une année (calendaire le plus souvent) ; (2) la loi de finances (LF) : est une loi ordinaire, adoptée toutefois avec une procédure de vote spéciale, qui fixe, pour une année donnée (l’exercice budgétaire) la nature, le montant et l’affectation des ressources et des dépenses de l’Etat. Elle est obligatoirement votée par la représentation nationale avant le début de l’année budgétaire de référence. 


Deux catégories de LF :  (i) la loi de finances initiale (LFI) qui est votée avant le début de toute nouvelle année budgétaire ; et (ii) les lois de finances rectificatives (LFR) ou «collectifs budgétaires» qui modifient en cours d’année les dispositions de la LFI (afin de prendre en compte des développements inattendus qui influencent les finances publiques) ; (3) la loi de règlement (LR) : 


une fois l’exercice budgétaire terminé, la LR arrête le montant définitif des recettes et des dépenses du budget, ainsi que le résultat budgétaire (déficit ou excédent) et la gestion de ces derniers ; et (4) la loi organique sur les lois de finances  (LOLF): cette dernière est un texte de nature organique qui encadre les lois de finances en fixant le contenu, en déterminant la présentation et en régissant l’examen et le vote. 
La définition du secteur public au sens large permet de renforcer l’efficacité de la politique budgétaire
(1) le gouvernement central : soit toutes les actions budgétaires menées par ce dernier ainsi que celles des fonds extrabudgétaires ou des agences autonomes contrôlées par les autorités centrales. Cette définition permet de calculer les opérations financières du gouvernement central (OFGC) ; (2) les autorités infranationales : soit les régions, provinces et municipalités et leurs activités budgétaires et extrabudgétaires. 

Leur inclusion dans les OFGC permet d’obtenir une vue d’ensemble des opérations du gouvernement général (OGG) ; (3) les fonds de sécurité sociale : soit les entités qui gèrent les prestations sociales et les retraites, souvent séparées des autres activités gouvernementales, mais ayant un impact majeur sur les finances publiques ; et (4) les sociétés publiques : (i) financières (SPF), incluant les banques centrales, qui peuvent accorder des prêts subventionnés ou effectuer d’autres actions qui influencent les finances publiques ; et (ii) non financières (SPNF) qui fournissent des biens ou des services, parfois à des prix fixes en dehors des mécanismes du marché, voire subventionnés pour des raisons sociales. Certaines de ces actions, en particulier celles des sociétés publiques, sont qualifiées d’opérations quasi budgétaires (subventions de change, prêts subventionnés, passifs conditionnels, stérilisation des devises par des emprunts de la banque centrale et emprunts d’entreprises publiques garantis par l’État pour des projets non commerciaux) et ne sont pas inscrites dans le budget de l’État alors qu’elles peuvent avoir un impact similaire aux dépenses et recettes budgétaires traditionnelles. 


La consolidation des sociétés publiques non financières et des autres entités gouvernementales produit le secteur public non financier. L’inclusion des sociétés publiques financières permet de calculer le secteur public consolidé. Ce dernier concept donne une vue d’ensemble des opérations économiques de l’État, qui prend en compte non seulement les actions budgétaires directes mais également les impacts plus diffus des sociétés publiques. La prise en compte de tous ces niveaux du secteur public permet non seulement de définir la trajectoire de la consolidation budgétaire mais également d’assurer la bonne évaluation de l’espace budgétaire disponible. 


La mesure du déficit budgétaire favorise la détermination de l’orientation de la politique budgétaire. La mesure du déficit budgétaire et la détermination de l’orientation de la politique budgétaire reposent sur plusieurs indicateurs-clés qui permettent d’évaluer l’impact des finances publiques sur l’économie : 


1. Solde global : calcule la différence entre les recettes (y compris les dons) et les dépenses (y compris les prêts nets). Un déficit indique une politique budgétaire expansionniste, tandis qu’un excédent reflète une politique plus restrictive.


2. Solde primaire : exclut les paiements d’intérêt de la dette, se concentrant uniquement sur la différence entre les recettes et les dépenses primaires de base (salaires, subventions, services). Il est crucial pour les pays endettés car il évalue leur capacité à gérer leurs obligations sans accroître la dette.

3. Soldes corrigés des variations conjoncturelles (ou structurels) : ils ajustent le budget pour tenir compte des effets des cycles économiques. Ils sont utilisés pour éviter de mal interpréter l’impact des variations économiques sur le déficit ou l’excédent.


4. Solde global non pétrolier : utilisé au niveau des pays exportateurs de pétrole. Il exclut les recettes pétrolières pour mesurer l’orientation budgétaire réelle sur la base des seules ressources domestiques hors pétrole. Ce solde est essentiel pour assurer une gestion durable des finances publiques dans ces pays.
Ces indicateurs aident à évaluer l’orientation de la politique budgétaire et à mieux gérer les déficits ou excédents en fonction des besoins économiques du pays.


Le financement du déficit budgétaire ou le choix d’une option en fonction des objectifs de croissance, d’inflation et de soutenabilité de la dette à moyen terme. La couverture du déficit budgétaire peut être réalisé de différentes manières, chacune ayant des implications économiques et des risques à évaluer 
(1) monétisation des déficits : Le gouvernement emprunte directement à la banque centrale, ce qui augmente la masse monétaire. Bien que cela puisse être une solution rapide, cela génère des pressions inflationnistes ; (2) crédits bancaires commerciaux : ces derniers peuvent entraîner un effet d’éviction, dans la mesure où les investisseurs privés sont découragés par la hausse des taux d’intérêt ou une disponibilité réduite de crédit ; (3) ressources non bancaires : Il s’agit de l’émission de titres d’État (bons du Trésor), nécessitant un marché financier bien développé, une gestion coordonnée de la dette et une courbe des taux d’intérêt claire pour attirer les investisseurs ; (4) ressources exceptionnelles : inclut le rééchelonnement de dettes, qui est rare, ou l’accumulation d’arriérés de paiement. Ces pratiques peuvent nuire à la réputation de l’État et perturber l’économie ; et (5) endettement extérieur : ce type de financement alourdit la dette extérieure, surtout si les fonds sont utilisés pour financer la consommation publique plutôt que des projets d’investissement productifs. Une stratégie d’endettement extérieur est essentielle pour assurer la viabilité des finances publiques à moyen terme et rassurer les créanciers.


La viabilité des finances publiques est vitale pour appuyer la croissance économique. 

Les finances publiques d’un pays peuvent apparaître saines en surface alors que des faiblesses structurelles sous-jacentes sont présentes. Ces dernières pourraient mettre en difficulté la viabilité des finances publiques et empêcher les autorités de constituer des espaces budgétaires qui permettent de compenser des chocs ou des retournements de la conjoncture économique. Les faiblesses structurelles incluent : (1) l’endettement public ; (2) les rigidités et autres vulnérabilités (faiblesse du taux de recouvrement, dépenses élevées, gestion inefficiente des dépenses en capital et chocs macroéconomiques). De ce fait, des ajustements budgétaires s’imposent et doivent viser à : (i) atténuer la cyclicité de l’économie (alternance des phases de récession et d’expansion) ; (ii) réduire les déséquilibres des soldes du compte courant de la balance des paiements ; (iii) contenir l’inflation ; et (iv) restaurer la confiance, soulager les tensions financières et appuyer la croissance en présence d’une crise du compte courant de la balance des paiements. Le succès d’un processus d’ajustement dépend de plusieurs facteurs, notamment : (1) la définition la plus large du déficit public (comme précisé ci-dessus) ; (2) le calendrier et le rythme de l’ajustement ; et (3) la qualité de l’ajustement qui est assuré par des mesures solides. 


Le processus de préparation et d’adoption du budget doit être cohérent avec un cadre macroéconomique réaliste et implique plusieurs étapes

(1) la mise en place d’un cadre macroéconomique : pour avoir une base permettant de fixer une limite globale des dépenses, en veillant à ce qu’elle soit conforme aux prévisions de recettes et de financement du déficit ; (2) l’affectation aux ministères d’enveloppes de dépenses, y compris des réserves pour la planification et les imprévus ; (3) l’envoi d’une circulaire budgétaire : qui fournit aux ministères des instructions, notamment des plafonds de dépenses et des hypothèses économiques sur les niveaux de certaines variables-clés (salaires, taux de change et inflation des prix à la consommation); (4) soumission par les ministères de propositions budgétaires, qui sont examinées et (même contestées) par le département du budget pour garantir l’exactitude des coûts ; (5) négociations budgétaires entre les ministères, les fonctionnaires et les ministres des finances pour aboutir à un accord final ; (6) approbation par le Conseil des ministres des propositions budgétaires finalisées ; (7) transmission du projet de budget au parlement qui doit le passer en revue, l’amender éventuellement et l’adopter ; et (8) signature par le chef de l’Etat de la loi de finances pour l’année n+1. 
 

La politique budgétaire, levier puissant de gestion macroéconomique et d’ajustement en combinaison avec les réformes structurelles (notamment en contexte de taux de change fixes).  

Les leviers : (1) les dépenses publiques : qui influencent l’activité économique et le PIB à travers des projets et les services publics ; et (2) les impôts et transferts : qui pour leur part affectent indirectement la consommation privée, l’investissement et les exportations nettes et permettent de modifier le revenu disponible.

Les orientations de la politique budgétaire : (1) expansionniste : à travers une hausse des dépenses publiques ou une baisse des impôts pour stimuler la demande ; ou (2) restrictive par le biais d’une réduction des dépenses publiques ou une augmentation des impôts pour comprimer la demande.
Objectifs : (1) à court terme : la politique budgétaire vise à stabiliser l’économie pendant les périodes de ralentissement (stimuler la croissance) ou d’expansion (contrôler l’inflation) ; et (2) à long terme : elle peut favoriser une croissance durable, réduire la pauvreté et améliorer les infrastructures et l’éducation.
Canaux pour stimuler l’activité économique : (1) stabilisateurs automatiques : permettent d’ajuster automatiquement les impôts et les dépenses sociales en fonction des conditions économiques (ex. : impôts progressifs, allocations chômage). Ils sont plus rapides et efficaces dans les économies avancées ; et (2) la relance budgétaire à travers des mesures discrétionnaires impliquant de nouvelles dépenses ou des réductions d’impôts adaptées aux besoins spécifiques (projets d’infrastructure ou aide ciblée). Ces mesures peuvent être plus lentes à mettre en œuvre et difficiles à inverser, surtout dans les pays aux institutions plus faibles.


Efficacité de la politique budgétaire : se lit à travers : (1) disponibilité de marges budgétaires : ou capacité du gouvernement à financer de nouvelles initiatives sans causer d’instabilité (du fait de l’inflation, de risques de change ou d’un endettement) ; et (2) des facteurs de réussite du stimulus : dont la taille du stimulus (adaptée à l’output gap), sa mise en œuvre rapide (projets immédiats), une composition équilibrée (investissements, aide et réductions d’impôts) et un caractère temporaire pour éviter les déséquilibres à long terme.


Le rôle des multiplicateurs : permettent de moduler l’impact des dépenses sur la croissance économique, qui est plus important lorsque la politique monétaire est favorable et que les fuites (épargne, importations) sont faibles.
 

Par Abdelrahmi Bessaha

 Expert international en macroéconomie

 

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