Commerce extérieur : Pourquoi les biens importés coûtent-ils plus cher

24/09/2024 mis à jour: 00:03
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Avec leur mainmise sur le marché national, les trois colosses mondiaux du transport maritime conteneurisé ont mis à quai et le pavillon national et les opérateurs économiques (photo : dr)

Les coûts d’acheminement logistique à destination des ports algériens pèsent au moins un tiers (33%) de la valeur globale des biens importés. 

Ce pourcentage est constitué à 48% de pertes sèches et 50% de manque à gagner. Par pavillon propre, le transport est couvert par notre pays à hauteur de 2%, à peine. Dit autrement, le commerce extérieur est livré à l’armement étranger à concurrence de 98% de nos échanges, s’accordent à estimer des experts dans le domaine du fret et de la logistique. D’où le diktat qui continue d’être imposé par le danois Maersk Line, l’italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) et le français Compagnie maritime d’affrètement-Compagnie générale maritime (CMA-CGM). Avec leur mainmise sur le marché national, ces trois colosses mondiaux du transport maritime conteneurisé ont mis à quai et le pavillon national et les opérateurs économiques. 

En témoigne la toute fraîche décision de l’un d’entre eux, CMA-CGM, de revoir, une fois encore, à la hausse les tarifs de transport vers les ports algériens, en procédant à des ajustements de surcharges sur ses services Roro Sud reliant la France à l’Algérie, au Maroc et à la Tunisie. Adaptations tarifaires, applicables à compter du 1er octobre 2024, aussi bien à l’import qu’à l’export, que la compagnie  tricolore justifie par «l’évolution des prix des soutes enregistrée depuis le dernier ajustement des surcharges combustibles». 

Décision que la communauté des transitaires et commissionnaires en douane semble contester, car déterminée, aujourd’hui plus que jamais, à continuer à défendre les intérêts des opérateurs économiques. 

«Les pouvoirs publics doivent intervenir pour mettre un terme au diktat des compagnies étrangères de transport maritime. Prendre à leur guise des décisions d’une telle portée ne peut plus être toléré. Il s’agit de nos devises qu’elles sont en train de siphonner de manière licite», s’insurge une source proche de l’Union nationale des transitaires et commissionnaires en douanes agréés (Untca), région Est. Et d’ajouter : «Baisse des délais de franchise (débarquement et restitution des containers), augmentations récurrentes des tarifs surestaries et aujourd’hui de nouvelles surtaxes qui sont annoncées juste après la révision à la hausse des frais inhérents au transport des conteneurs vers quatre ports algériens. C’est de l’aberration. Il faut savoir que si ces derniers ajustements ne concernent, pour l’instant, que CMA-CGM, ils pourraient s’étendre aux autres compagnies, car la collégialité est un principe auquel l’on tient beaucoup lorsqu’il s’agit de prise de décision aux enjeux communs.»

 A en croire les mêmes sources, des discussions et consultations, à ce sujet, seraient en cours dans la perspective de saisir, dans un premier temps, le Syndicat des transitaires de Marseille-Fos (STM). D’autant que ce dernier, avec l’UNTCA et l’Association professionnelle des agents maritimes algériens (Apama), avait, tient-on à souligner, convenu d’un accord de coopération, en voie de finalisation, lors d’un regroupement à Alger mi-mai 2024, auquel avaient pris part des représentants de la communauté portuaire de Annaba, d’Alger et d’Oran. 

A l’échelle du Maghreb, faut-il le noter, l’Algérie demeure le premier partenaire commercial du port phocéen (Marseille-Fos), la Tunisie à la 12e place et le Maroc vient en 25e position. C’est dire, tel que nous l’avait si bien résumé, sans fard, en 2019, Kamel Khelifa, expert international dans le domaine du transport maritime et logistique, à l’évidence «cette équation transport/logistique, sérieusement menaçante pour l’économie et la sécurité des approvisionnements de notre pays, a pour cause l’abandon de cette fonction stratégique entre les mains d’opérateurs étrangers, au détriment des opérateurs algériens». 

D’où le persistant classement par la Banque mondiale de l’Algérie dans la catégorie des économies les moins performantes en termes de compétitivité logistique (Indice de performance logistique). 


En effet, si chez les pays développés, le taux d’acheminement (porte-à-porte) est de 5% – la moyenne mondiale étant de 16%–, d’après des estimations de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), les 30%, représentant la moyenne nationale, permettent aux armateurs étrangers d’engranger des sommes faramineuses. 

L’Algérie au double de la moyenne mondiale

En témoignent les 13 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2018, année record, sur 40 milliards de dollars d’importations. Et bien que la valeur totale de ses exportations vers notre pays ait connu un net repli ces dernières années, passant de 22,3 à 14,9 milliards d’euros entre 2015 et 2023, l’Union européenne, premier partenaire commercial de l’Algérie, pesant plus de la moitié du commerce international, assure toujours la part du lion du marché algérien du fret maritime et logistique, lequel est soumis depuis début juin 2024, comme partout ailleurs, à de nouvelles règles ICS (Import Control System), au puissant triocompatriote Maersk, MSC et CMA-CGM, aux dépens des opérateurs nationaux. 

«Les pertes sèches se composent grosso modo du sur-fret au profit des transporteurs étrangers, qui appliquent des taux de fret supérieurs sur la destination Algérie, en guise de compensation : des retours à vide des conteneurs ; des faibles cadences portuaires ; des retards dans les transferts par les banques du fret (argent collecté au profit des armateurs par leurs agents consignataires) ; du poids financier des pénalités (surestaries). 

Pourtant, il existe des pays qui obtiennent des primes pour la célérité dans la restitution des navires affrétés, avant les délais convenus, appelée dispatch money (heures ou jours sauvés ou gagnés)», nous expliquait M. Khelifa, ancien membre du Comité d’expert de l’Onu (Uneca). Aussi, renchérissait-il, lorsque les capacités de transport et d’organisation logistique sont plus ou moins égales, la chaîne des valeurs de l’acheminement, depuis usine à rendu au port de destination, est partagée entre pays dans des limites théoriques de 50/50%. Prenant compte des 2%, part de marché du pavillon national, il devient évident que notre enveloppe devise profite aux armements étrangers. 

Des facteurs de plus en plus pesants, auxquels viennent se greffer tant d’autres, non moins contraignants, comme «les surcoûts du pré-cheminement et du fret, laissés aux ‘‘bons soins’’ des fournisseurs étrangers, en raison des modes d’achat systématiques en coût et fret (CFR, incoterms 2000). Autrement dit, tous nos achats et ventes sont faits aux ports algériens par des opérateurs du commerce extérieur livrés à eux-mêmes, inconvénients auxquels s’ajoutent nombre d’entraves bureaucratiques, dont les transferts pour le règlement de la facture logistique du pré-acheminement à l’étranger, depuis usine à bord navire, ne sont pas des moindres». En quelque sorte, laissait entendre M. Khelifa, réputé être dans le monde un facteur de réduction des coûts «en Algérie, le conteneur constitue paradoxalement une source de surcoûts !!!»

 A vrai dire, en déclarant avec enthousiasme :  «Parce qu’il y a toujours de meilleures façons d’aborder un marché», dans la foulée de la reconfiguration, opérée en juin dernier de ses services Euronaf et TMX2, reliant la côte est méditerranéenne et l’Algérie, via plusieurs pays du sud de la Méditerranée, le groupe CMA-CGM, qui doit en grande partie sa puissance d’aujourd’hui – de la 33e à la 3e place mondiale dans le trafic conteneurisé – à l’alliance de l’armement public CGM au conglomérat du Franco-Libanais Jacques Saadé, n’avait pas tort. 

En Algérie, la meilleure façon d’aborder le fort juteux marché du fret maritime/logistique est d’y imposer ses règles, il a toujours su les déceler et comment en optimiser la rentabilité. 
 

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