Huit jours après la chute du dictateur syrien Bachar Al Assad, les langues se délient peu à peu, livrant des détails précis sur la façon dont le Président déchu a réussi à se faire exfiltrer de Damas.
Dans une longue dépêche publiée hier sous le titre «Les dernières heures d’Al Assad en Syrie : déception, désespoir et fuite», l’agence Reuters explique que le fils de Hafez Al Assad n’a informé personne de son plan, lui qui, quelques heures seulement avant sa fuite, exhortait encore ses hommes à tenir bon face aux assauts des insurgés conduits par Abou Mohammad Al Joulani. «Bachar Al Assad n’a confié à personne ou presque son projet de fuir la Syrie à mesure que son règne s’effondrait», écrit l’agence britannique. «Au lieu de cela, des collaborateurs, des fonctionnaires et même des proches ont été trompés ou maintenus dans l’ignorance», ont affirmé à Reuters plus d’une douzaine de sources ayant connaissance des événements.
«Quelques heures avant de s’enfuir pour Moscou, M. Al Assad a présidé une réunion avec une trentaine de chefs de l’armée et de la sécurité au ministère de la Défense, leur assurant que le soutien militaire russe était en route, et il a exhorté les forces terrestres à tenir bon, d’après un commandant présent à cette réunion qui a requis l’anonymat», rapporte Reuters. «Le personnel civil ne savait rien non plus (de son intention de quitter le pays, ndlr)», signale l’agence de presse.
«Il a menti à ses plus proches collaborateurs»
Reuters indique, par ailleurs, que le samedi 7 décembre 2024, soit le tout dernier jour où Bachar Al Assad était encore le maître du pays, le président syrien «a dit à son directeur de cabinet qu’il rentrait chez lui à la fin de sa journée de travail. Mais au lieu de cela, il s’était rendu à l’aéroport, selon un collaborateur qui faisait partie de son cercle rapproché». «Il a également appelé sa conseillère de presse, Bouthaina Shaaban, et lui a demandé de venir chez lui pour lui écrire un discours, a déclaré l’assistant. A son arrivée au domicile du Président, elle a constaté qu’il n’y avait personne.»
Commentant la manière dont le dirigeant syrien s’est volatilisé, Nadim Houri, directeur exécutif de l’Initiative de réforme arabe, fera remarquer auprès de Reuters : «Al Assad n’a même pas fait un dernier baroud d’honneur. Il n’a même pas rallié ses propres troupes. Il a laissé ses partisans affronter leur propre destin.»
L’agence britannique a jugé utile de préciser : «Reuters n’a pas pu contacter M. Al Assad à Moscou, où il a obtenu l’asile politique.» Et pour la reconstitution de ses tout derniers moments en Syrie, elle dit avoir réalisé «des entretiens avec 14 personnes ayant connaissance de ses derniers jours et ses dernières heures au pouvoir».
Et ces entretiens «donnent l’image d’un dirigeant qui cherche de l’aide extérieure pour prolonger son règne qui a duré 24 ans, avant de recourir à la tromperie pour organiser son exfiltration de la Syrie aux premières heures de dimanche (8 décembre)». Le départ précipité du Raïs honni a fait que certains membres de sa famille n’ont pas pu embarquer à temps. C’est le cas des «cousins maternels d’Al Assad, Ehab et Eyad Makhlouf» qui «ont été abandonnés lorsque Damas est tombée aux mains des rebelles, selon un collaborateur syrien et un responsable de la Sécurité libanaise» révèle Reuters. «Ils ont tenté de fuir en voiture vers le Liban, mais ils sont tombés dans une embuscade tendue par les insurgés qui ont abattu Ehab et blessé Eyad. Il n’y a pas eu de confirmation officielle du décès et Reuters n’a pas été en mesure de vérifier l’incident de manière indépendante», précise l’agence.
«Son avion a volé sous le radar avec le transpondeur éteint»
Poursuivant son enquête, Reuters nous apprend sur la foi d’indiscrétions livrées par «deux diplomates régionaux» que Bachar Al Assad «a fui Damas en avion le dimanche 8 décembre, en volant sous le radar avec le transpondeur de l’avion éteint, échappant ainsi aux griffes des rebelles qui prenaient d’assaut la capitale».
Le dictateur syrien «s’est envolé pour la base aérienne russe de Hmeimim, dans la ville côtière syrienne de Lattaquié, puis pour Moscou», détaille Reuters. Et de souligner : «La famille proche d’Al Assad, sa femme Asma et leurs trois enfants, l’attendait déjà dans la capitale russe, selon trois anciens proches collaborateurs et un haut fonctionnaire régional.» «Des vidéos de la maison d’Al Assad, prises par des rebelles et des citoyens qui ont envahi le complexe présidentiel après sa fuite et publiées sur les médias sociaux, suggèrent qu’il est parti précipitamment, montrant des aliments cuits laissés sur la cuisinière et plusieurs effets personnels laissés derrière lui, tels que des albums de photos de famille», note la même source.
Quid de ses alliés de toujours, la Russie et l’Iran principalement ? Ne pouvaient-ils donc pas lui venir en aide ? «Il n’y aura pas de sauvetage militaire de la part de la Russie, dont l’intervention en 2015 avait contribué à renverser le cours de la guerre civile en faveur d’Al Assad, ni de la part de son autre allié fidèle, l’Iran», répond l’agence anglaise. Selon les sources interrogées par Reuters, «le dirigeant syrien l’a bien compris dans les jours qui ont précédé sa sortie, lorsqu’il a cherché de l’aide de toutes parts dans une course désespérée pour s’accrocher au pouvoir et assurer sa sécurité».
De fait, l’autocrate de 59 ans «s’est rendu à Moscou le 28 novembre, un jour après que les forces rebelles syriennes eurent attaqué la province septentrionale d’Alep et lancé des opérations dans tout le pays, mais ses appels à une intervention militaire sont tombés dans l’oreille d’un sourd au Kremlin, qui n’était pas disposé à intervenir, ont déclaré trois diplomates régionaux». Hadi Al Bahra, chef de la coalition nationale syrienne basée à l’étranger, soutient qu’Al Assad «a dit à ses commandants et à ses associés, après son voyage à Moscou, qu’un soutien militaire allait arriver» alors que «le message qu’il a reçu de Moscou était négatif». Quatre jours après ce voyage, le 2 décembre, «le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araqchi, a rencontré M. Al Assad à Damas».
Comment Lavrov a organisé l’exfiltration de Bachar
«A ce moment-là, les rebelles du groupe islamiste Hayat Tahrir Al Sham (HTS) avaient pris le contrôle de la deuxième ville de Syrie, Alep. (…) M. Al Assad était visiblement bouleversé pendant la réunion et a admis que son armée était trop affaiblie pour organiser une résistance efficace», a glissé un diplomate iranien de haut rang à l’agence Reuters. Ayant compris qu’il était en situation d’«échec et mat», Al Assad se résout à sauver sa peau. «Trois membres du cercle rapproché d’Al Assad ont déclaré qu’il avait d’abord voulu se réfugier aux Emirats arabes unis, alors que les rebelles s’emparaient d’Alep et de Homs et avançaient vers Damas», indique Reuters. Mais «les Emirats l’ont repoussé, craignant une réaction internationale en hébergeant un personnage soumis à des sanctions américaines et européennes».
C’est alors que l’option russe s’est précisée. Ce samedi 7 décembre où le pouvoir syrien était en train de s’effondrer, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, participait au forum de Doha, au Qatar. C’est lui qui sera «le fer de lance des efforts diplomatiques visant à assurer la sécurité d’Al Assad», relève Reuters, et ce, «en incitant la Turquie et le Qatar à tirer parti de leurs liens avec Hayat Tahrir Al Sham pour garantir l’exfiltration d’Al Assad vers la Russie», selon deux responsables régionaux approchés par l’agence anglaise. Ainsi, le Qatar et la Turquie «ont conclu des accords avec HTS pour faciliter la sortie de M. Al Assad», affirme la même source qui ajoute : «Moscou a également coordonné son action avec les Etats voisins pour s’assurer qu’un avion russe quittant l’espace aérien syrien avec M. Al Assad à son bord ne serait pas intercepté ou pris pour cible.»
Maher Al Assad s’est réfugié en Irak
Le dernier Premier ministre de Bachar Al Assad, Mohammed Al Jalali, a déclaré à la chaîne Al Arabiya qu’il avait parlé au téléphone avec le président syrien pour la dernière fois le samedi 7 décembre vers 22h30. «Lors de cet appel, je lui ai dit à quel point la situation était difficile et qu’il y avait un énorme déplacement (de personnes) de Homs vers Lattaquié... Qu’il y avait de la panique et de l’horreur dans les rues», a-t-il témoigné. Al Assad lui répond d’une formule laconique : «Demain, nous verrons.» Le dimanche 8 décembre, à l’aube, Al Jalali tente de joindre à nouveau le président syrien au téléphone. En vain. Le dictateur déchu était en route vers Moscou. Un article publié vendredi sur le site web d’Al Jazeera (aljazeera.net) a fourni de son côté des éléments sur le sort du général Maher Al Assad, frère de Bachar Al Assad et commandant en chef de la 4e division blindée de l’armée syrienne. Maher ne s’est pas enfui cette nuit-là avec Bachar. Il a emprunté un autre chemin.
«Des sources de sécurité irakiennes ont confirmé à aljazeera.net que Maher Al Assad se trouvait toujours sur le territoire irakien et qu’il séjournait près de la capitale Baghdad, sous la supervision d’officiers des Gardiens de la révolution iraniens», peut-on lire sur le site d’Al Jazeera. «Nos sources ont indiqué qu’après la fuite du président Bachar à Moscou, dimanche 8 décembre à l’aube, Maher a quitté Damas accompagné d’officiers des Gardiens de la révolution iraniens et s’est dirigé vers le nord-est de la Syrie en empruntant des itinéraires secrets ‘’utilisés pour la contrebande d’armes et de drogue, et sous le contrôle de la quatrième division blindée’’», indique cet article. Selon ces mêmes sources, le frère du président syrien «est arrivé en Irak avec l’aide des Forces démocratiques syriennes (FDS),’’qui sont considérées comme un partenaire de la division armée dirigée par Maher dans le commerce de la drogue’’».
Al Jazeera note que «Maher Al Assad n’est pas parti vers la base russe de Hmeimim sur la côte syrienne», soulignant qu’il était plutôt l’homme des Iraniens. C’est lui qui a renforcé «l’influence iranienne au sein de l’armée du régime syrien», et il a «profité de cette position en développant ses relations avec le Hezbollah libanais et les factions irakiennes soutenues par l’Iran, ce qui lui a permis d’utiliser des réseaux de contrebande et de financement illicites qui s’étendent entre l’Irak, la Syrie, la Jordanie et le Liban», explique Al Jazeera.
Selon les sources sollicitées par le média qatari, «Maher Al Assad pourrait quitter l’Irak pour l’Iran ou la Russie». «Le gouvernement irakien devrait pousser Maher Al Assad à quitter le pays parce qu’il ne veut pas s’immiscer dans les affaires syriennes et cherche à ouvrir une nouvelle page dans les relations avec la Syrie», relèvent les mêmes sources. Selon Reuters, Bachar Al Assad n’avait pas informé son jeune frère Maher de son intention de fuir vers Moscou. Et c’est par hélicoptère que Maher aurait réussi à se réfugier de justesse en Irak. Mustapha Benfodil
7600 Syriens sont rentrés chez eux par la frontière turque
Quelque 7.600 réfugiés syriens ont traversé la frontière turque pour rentrer dans leur pays pendant les cinq jours qui ont suivi la chute du président Bachar al-Assad il y a une semaine, a affirmé, hier, e ministre turc de l’Intérieur. Le nombre total de Syriens « qui sont retournés volontairement depuis la Turquie » dans leur pays s›est élevé à 7.621 entre les 9 et 13 décembre, a écrit Ali Yerlikaya dans un communiqué publié sur le réseau social X. La Turquie accueille près de trois millions de Syriens qui ont fui après le début de la guerre civile en 2011, dont 1,24 million, soit environ 42%, sont originaires de la région d’Alep, la deuxième ville de Syrie (nord-ouest). Avec le changement de régime, nombre d’entre eux nourrissent l’espoir de rentrer chez eux. Des centaines de réfugiés se sont rendus, tôt lundi matin, au poste-frontière de Cilvegözu, situé à environ 50 kilomètres à l’ouest d’Alep, ont constaté des correspondants de l’AFP. 1.259 personnes ont franchi la frontière ce jour-là, selon les chiffres du ministère turc de l’Intérieur. Quelque 1.669 autres ont traversé le mardi, 1.293 le mercredi, 1.553 le jeudi et 1.847 le vendredi, a déclaré M. Yerlikaya. Dans les 48 heures suivant la chute d’Assad, la Turquie a augmenté la capacité quotidienne de passage à ses poste-frontières de 3.000 à entre 15.000 et 20.000, avait indiqué le ministre plus tôt cette semaine. La Turquie partage une frontière de 900 kilomètres avec la Syrie, avec cinq points de passage opérationnels, et l’ouverture d’un sixième est prévue pour « faciliter la circulation ».
La Turquie «prête » à fournir de l’aide militaire à la Syrie
La Turquie est « prête » à fournir de l’aide militaire si le nouveau gouvernement syrien mené par les rebelles islamistes lui en fait la demande, a déclaré, hier, le ministre turc de la Défense, Yasar Güler. La Turquie est « prête à fournir l’aide nécessaire si le nouveau gouvernement le lui demande », a-t-il dit dans des propos relayés par la presse turque. « Il faut attendre de voir ce que fera la nouvelle administration. Nous pensons qu’il est nécessaire de leur donner une chance », a-t-il déclaré à propos des rebelles islamistes du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda et considéré comme terroriste par de nombreux pays occidentaux. Mais HTS tient désormais un discours modéré et son gouvernement intérimaire a insisté à plusieurs reprises sur la protection des droits de tous les Syriens, y compris les minorités ethniques et religieuses. Le nouveau gouvernement, a aussi dit M. Güler, s’est engagé à « respecter tous les institutions gouvernementales, les Nations unions et les autres organisations internationales », et a promis de signaler toute trace d’arme chimique l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).La priorité de la Turquie en Syrie est de lutter contre les combattants séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et des Unités de protection du peuple (YPG), un objectif soutenu par le nouveau gouvernement syrien, a-t-il soutenu.