Commémoration de la Journée Internationale de L’enfance : On nous appelait les «yaouleds» pendant la colonisation française (1re partie)

06/06/2023 mis à jour: 09:16
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Nos frères Yaouleds, cireurs de chaussures et porteurs de couffins pendant la colonisation française

Aujourd’hui, 1er juin 2023, l’Algérie célèbre, à l’instar des autres pays, la Journée internationale de l’enfance. Durant la colonisation française, on nous appelait les «yaouleds». Nous sommes les enfants des rues sans école, des vagabonds de toutes sortes, les rescapés des camps de regroupements, les errants, les «trouvés», les mendiants, les cireurs de chaussures, les porteurs de couffins et crieurs de journaux. Nous avons connu la guerre, la vie dans des camps insalubres, les violences physiques, psychologiques et sexuelles. Nous avons subi l’humiliation coloniale.

Un passé émaillé de stress post-traumatique, de troubles de l’attachement, des difficultés de socialisation et d’apprentissage. Mais, nous ne sommes pas les «enfants de Madame Massu» pendant la Bataille d’Alger.
En 1830, c’était l’invasion de l’Algérie par la France coloniale, ce viol-mariage s’est terminé par un divorce sanglant en 1962. Entre la France et l’Algérie, il n’y a jamais eu «une histoire d’amour». 

On ne peut faire l’impasse sur la violence sexuelle et l’humiliation de l’enfance musulmane dans la relation coloniale. La désalphabétisation des Algériens a été l’objectif de la conquête. La France a encouragé la prostitution de nos filles indigènes et l’humiliation de nos yaouleds comme «mission civilisatrice».

Un siècle après «L’autre 8 Mai 1945», c’est plus de 45 000 indigènes morts, dont des milliers d’enfants, sans compter les expropriations, dépossessions des terres, les séquestres, les exactions, les brimades, les viols et les humiliations permanentes durant 132 années de colonisation.

Tout au long du XXe siècle, les enfants ont été victimes des guerres et des génocides. Les millions d’orphelins de la Grande Guerre, des enfants abandonnés, déplacés et réfugiés, errants dans toute l’Europe ont conduit à créer de nouvelles formes de prise en charge associative, étatique ou internationale.

En 1946, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Nations unies ont créé le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) pour fournir une aide d’urgence dans le domaine de la santé et atteindre les enfants les plus vulnérables et marginalisés où qu’ils soient dans le monde. L’Assemblée générale de l’ONU proclame le 1er juin, Journée Mondiale des Parents (World Parents Day). Cette Journée Internationale de l’Enfance, selon une autre appellation, vise la protection, l’éducation, la santé et le bien-être des enfants du monde entier.

En avril 1957, est créée l’Association pour la Formation de la Jeunesse (AFJ) par Suzanne Massu, l’épouse du général tortionnaire de la Bataille d’Alger, dans le but de venir en aide, de recueillir des enfants musulmans en détresse et de leur apporter une formation dans un contexte de guerre. L’idée est de préparer ces Yaouleds à devenir des citoyens français dans une «Algérie nouvelle» et de les soustraire à l’influence des organisations indépendantistes. Il ne fallait pas laisser au FLN. (Front de Libération Nationale) le soin de prendre en charge ces yaouleds désœuvrés, car cette jeunesse pourrait constituer un enjeu majeur en cas de soulèvement populaire contre l’ordre colonial et l’éveil d’une conscience nationale. Le premier Centre de Jeunesse est ouvert en juin 1957 dans le quartier populaire de Bab El Oued, rue Koechlin, dans l’immeuble du quotidien communiste Alger républicain d’Henry Alleg, bâtiment réquisitionné et aménagé par l’état-major de Massu.

En 1958, le général de Gaulle lance le «plan de Constantine», qui vise à réduire, en cinq ans, les inégalités entre Musulmans et Européens sur le territoire algérien. Ce plan en termes de développement, de santé et d’éducation, très ambitieux au départ prétendait rattraper le temps perdu d’un siècle de colonisation, mais qui arrive trop tard pour inverser le cours de l’histoire.

Les Français et Européens d’Algérie nous appelaient «Les petits Arabes», et plus souvent les «yaouleds» qui n’avaient pas leur place à l’école. Seule une minorité y avait accès et les emplois «réservés» ; c’était pour nous les gamins des rues, les vagabonds, les cireurs de chaussures, les vendeurs de cigarettes et de journaux, les porteurs de couffins durant la colonisation française. Nous sommes l’enfance musulmane humiliée de l’Algérie coloniale. Actuellement, il y a un mouvement sournois de révisionnisme historique néocolonial via Internet, les médias, films et réseaux sociaux en diffusant des photos de l’époque coloniale où tout était beau, les parents heureux, le soleil, la mer, les plages, l’anisette... Des enfants bien habillés, propres, scolarisés… 
 

Non ! Durant la colonisation, l’enfance musulmane n’a pas été une douce époque à laquelle on souhaite généralement revenir et s’étendre. Elle a laissé des traces indélébiles, des stigmates et autres souvenirs cimentés dans nos mémoires. Ce sont nous, les yaouleds, perdus par la souffrance et la pauvreté, les filles mauresques dites «isolées», malheureuses, soumises dès l’âge de treize ans à faire le commerce de leurs corps dans ces «magasins» infects de La Casbah et des villes d’Algérie. 

D’autres abandonnées par leurs parents qui ne peuvent les nourrir et leur donner un toit décent. Des enfants errants ou «trouvés» dans des camps de regroupement, adolescents soumis à la sexualité bestiale dominatrice. Un père absent, une mère meurt, les enfants sont pris en charge par la famille, les voisins ou se retrouvent dans la rue. Pour les garçons, ils cirent les chaussures des Français, ouvrent les portières de voiture, portent des couffins et sont crieurs de journaux, souvent humiliés et le soir venu, ils vont dormir au bain maure ou dans les rues de jour comme de nuit et être l’objet de relations sexuelles monnayées.

Mais les filles deviennent soit des femmes de ménage ou nounous-cuisinière, la «Fatma» (le nom dérive de Fatima la fille du Prophète Mohamed, terme péjoratif qu’utilisaient les Français) est femme de ménage dans les familles riches de la ville européenne ou prostituée sur les trottoirs des villes d’Algérie. La mentalité coloniale dégrade avant tout la fille musulmane qui devient sale, vulgaire, une traînée, servante de bas étage et moukère. Mohamed est utilisé pour désigner l’indigène arabe. 

Le yaouled est composé de «ya» et «ouled». La particule «ya» sert à héler le «ouled» qui est le jeune garçon. En général, le terme dévalorisé par les Français d’Algérie fut utilisé pour désigner n’importe quel petit gamin indigène... En fait, c’est dans l’esprit colonial de l’époque de donner une mauvaise image de l’indigène qui se prostitue et que lui le colonisateur est là pour l’éduquer et lui montrer le bon chemin. Comment ne pas se révolter suite à ce discours d’enfance «irrégulière» d’une historienne connue pour ces travaux sur la prostitution des mineurs au XXe siècle. 

Ce yaouled est jovial, malicieux mais souvent illettré. Sa carrière est toujours brève, car il ne saurait dépasser la taille qui lui permet les faciles agenouillements ! Le yaouled est toléré s’il sait bien se tenir, s’effacer, cirer et lustrer les chaussures du «roumi». Pour nous, l’acte servile et indécent de s’agenouiller devant l’occupant et l’humiliation subie est cimenté dans notre mémoire collective. 

Dans les villes coloniales, les Yaouleds proie de la rue, la misère, la pauvreté, des vagabonds errants, souvent orphelins d’une famille emportée par la faim ou une maladie (typhus variole, lèpre...), sans toit, ayant fui ou été chassés de leurs douars, perdus lors de déplacements forcés ou quittant les camps de regroupement se dirigent le plus souvent vers les grandes villes d’Algérie pour chercher du travail. A Alger, ils ont pu se loger à La Casbah, autour du cimetière d’El Kettar, Fontaine fraîche, Oued Koriche, Puits des Zouaves et la Tribu. 

Un mécanisme d’exclusion suite à une politique coloniale évidente. Le Yaouled en général âgé de huit à quinze ans acquiert une expérience de la vie et occupe toutes sortes de fonction, notamment porteur de valises dans les gares de chemin de fer, porteur de couffin dans les marchés aux ménagères pieds-noires, vendeurs de cigarettes dans les cafés ou de journaux à la criée, cireurs de chaussure ou vivre uniquement de mendicité. «Un yaouled de La Casbah, depuis l’instant de ses débuts jusqu’à celui de sa retraite, doit apprendre en effet à se défendre contre la faim, le froid, la méchanceté et des vices des grandes personnes. Il doit faire l’apprentissage d’innombrables métiers, afin de successivement se muer en commissionnaire, vendeurs de journaux à la criée, rabatteur pour filles ou garçons de mauvaise vie, rinceur de verres, tourneur de manivelle du piano mécanique de certaines maisons, modèle pour peintres et photographes».
 

Ce yaouled le plus souvent sans chaussures, avec une chéchia rouge sur la tête, parfois en haillons, le visage et les mains pleins de cirage, passe son temps à arpenter les trottoirs des grandes villes, les terrasses des cafés, le Front de mer, les jardins... On l’entendait à longueur de journée répéter, sur un rythme de complainte, ce refrain avec son cri : «Cirer M’siou, Cirer M’dame, Coup de brosse M’siou…». C’est un élément récurrent qu’on retrouve souvent dans la photographie, les cartes postales et la littérature coloniale de l’époque. Des cireurs joyeux, souriants avec leur valise en bois en bandoulière, servant aussi de marchepied aux clients en général européens, contenant leurs outils, brosses, chiffons et cirages. Une misérable pièce de monnaie est jetée par l’homme blanc, de peur de se salir les mains en touchant celle du petit cireur. 

Combien étaient grandes la souffrance et la pauvreté. C’était le seul métier, le seul avenir pour ces yaouleds sans école, prématurément vieillis et leur seul univers la rue et ses dangers. Ces gosses vivaient en groupe, se répartissant chacun son territoire et ramenaient tous les soirs les quelques pièces (francs) qu’ils ont gagnées nécessaires à survivre et nourrir toute la famille. L’unique ressource de centaines de gosses indigènes, dont les familles, attirés par les villes, ont voulu échapper à la misère en quittant la campagne. Ces enfants sont souvent rackettés par des adultes qui les exploitent.

Le matin, les jours de vacances scolaires, moi le petit yaouled de La Casbah, je vendais, au bas de notre immeuble de la rue Randon, de la garantita. Cette rue est décrite comme une braderie permanente, la D’lala. L’après-midi ou le soir, j’allais aussi au cinéma Nedjma vendre des magazines et des bandes dessinées. Tout l’argent que je gagnais, je le donnais à ma mère, mes deux frères Laadi et Mohamed étaient en prison. 

S’il y a un métier que je n’ai jamais fait, c’est cireur de chaussures, c’était très mal vu par les habitants de La Casbah.Mon père m’a inscrit dans deux mecids (écoles), l’un tout près de Djamâa Lihoud c’est Mcid Errachad et l’autre à la rue Salluste, et ce dès l’âge de 7 ans jusqu’à 12 ans, pour apprendre le Coran et les principes de l’islam. Je fréquentais aussi l’école française maternelle et primaire, l’école du Soudan à la Basse Casbah.  
A suivre ...

 

par le docteur  Flici Omar 
Gynécologue-obstétricien.
 

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