Son impact sur les intellectuels algériens et sur les intellectuels du reste de l’Afrique est confirmé par les témoignages mêmes de ces intellectuels. Kateb Yacine fut dramaturge, romancier, poète, essayiste et donc ses champs littéraires artistiques furent multiples, ce qui fait de lui une icône littéraire.
Nedjma est effectivement le roman /œuvre de Kateb Yacine, un roman devenu une référence. Publié en 1956, Nedjma fut une révélation tant au niveau du thème que de la forme faulknérienne. Le personnage principal de cette fiction énigmatique est Nedjma, une jeune femme dont la beauté sublimée symbolise la belle Algérie tant convoitée au fil des siècles, ce qui a pour conséquence qu’elle fut colonisée durant 132 ans par la France qui l’a réduite en département français. Kateb Yacine a publié Le polygone étoilé, mais également L’œuvre en fragments. Ce dernier texte est composé d’inédits littéraires, de textes retrouvés, rassemblés et présentés par Jacqueline Arnaud. Les poèmes de Kateb Yacine furent publiés sous le titre de Soliloques et autres poèmes.
En tant qu’angliciste, je ne pouvais pas passer sous silence la belle traduction de Soliloques et autres poèmes par mon collègue Boukhalfa Laouari qui est maître de conférences au département d’anglais de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Sa traduction dans la langue de Shakespeare vient de paraître aux Editions Frantz Fanon.
Le titre choisi en anglais est Kateb Yacine, Soliloquies and OtherPoems. Cet ouvrage est co-édité avec Carmen Garraton Mateu, maître de conférences aussi à l’université de Grenade, en Espagne. L’ouvrage comporte deux parties : la première est une analyse succincte de l’œuvre de Kateb Yacine intitulée Kateb Yacine : A revolutionary inside the revolution, un révolutionnaire au sein de la Révolution et la seconde partie qui est plus longue est la traduction des poèmes de Kateb Yacine Soliloquies, qui comporte trois parties Regrets of a Dead Soul et The Songs of the Wolf et Other poems.
L’ensemble est composé de 188 pages, avec une belle préface Joseph Ford de l’Université de Londres qui écrit qu’il a découvert l’Algérie et son histoire grâce à Kateb Yacine, et pour le jeune étudiant anglais qu’il était, ce n’était pas facile de comprendre les subtilités de ce texte si complexe, traduit en anglais en 1991 par Richard Howard et publié par les Presses universitaires de Virginie.
Il poursuit que Kateb Yacine lui a enseigné la certitude que l’histoire, dans toute sa complexité ne peut être écrite de manière définitive, ni d’ailleurs d’être comprise dans sa totalité. Les Soliloques et autres poèmes publiés pour la première fois en 1946 sont ceux traduits par Boukhalfa Laouari.
Ces textes expriment l’innocence et la colère de la jeunesse, la révolte et le courroux face aux injustices d’un système colonial inique. Par ailleurs, Kateb Yacine y exprime aussi l’idée qu’il faut révolutionner la révolution. L’ensemble de ces poèmes percutants expriment un profond sens de l’engagement et de la conscience de la nécessité d’être impliqué dans ce qui se passe autour de soi.
La traduction de ces poèmes est significative pour les études de recherche sur Kateb Yacine dans le domaine de l’anglistique. Les travaux permettent aux spécialistes, et aux lecteurs de façon générale, de souligner combien les futurs œuvres de Kateb Yacine sont déjà en germes dans ses premiers poèmes.
Ces textes poétiques vont éclore dans son roman Nedjma comme le confirme d’ailleurs le romancier. Les poèmes traduits par Boukhalfa Laouari furent écrits avant, pendant et après les massacres de Sétif en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la France se libérait du nazisme. Kateb Yacine, en tant que jeune lycéen, était présent lors de cette manifestation pour l’indépendance de l’Algérie.
La traduction généreuse de Laouari est magnifique, dans un anglais qui exprime au plus près le texte de Kateb Yacine qui est si intime, si vrai, un texte qui vient du fond de son âme et de son cœur. En ma qualité d’angliciste, je peux dire que le verbe est fluide, le phrasé est onctueux et exprime avec fidélité et force la poétique de Kateb Yacine.
Les tournures des vers libres du poète et son lexique si simple et complexe à la fois sont, il faut le dire difficilement traduisible, mais Boukhalfa Laouari réussit à traduire l’esprit katébien comme ces quelques vers le démontre :
«If I met
The devil on my way,
I would have never known
The amber of your mouth !
Woman that smiled to me
From the firmament of charms
I curse you, I cry …
… I am at your feet …
You are nothing my muse
Knock your head against the wall ! …
I leave, I go where the eyes make sit self wild
I bleed and shout, I have leprosy in my heart !»
Une traduction qui cogne en anglais. Un excellent travail de recherche entre deux belles langues que sont le français et l’anglais.
Par : Benaouda Lebdai
(Professeur des universités)
Boukhalfa Laouari & Carmen Garraton Mateu, Kateb Yacine, Soliloquies and otherpoems, Tizi Ouzou, Editions Frantz Fanon,octobre 2022.