La filière des céréales en Algérie peine à se développer, sa production est en-deçà des besoins du marché local. Cette situation rend inéluctable le recours à l’importation de grandes quantités, notamment le blé tendre. Ce qui pèse lourdement sur le Trésor public. Malgré les mesures incitatives décrétées ces dernières année, les choses ne bougent pas dans le bon sens, une refonte totale de la stratégie suivie jusqu’à présent est indispensable.
Cette situation ne doit pas nous contraindre à nous précipiter et à chercher une amélioration temporaire qui se dissiperait au fil des années. Il est donc nécessaire de concevoir une stratégie prospective et durable basée sur des données techniques et des études appropriées.
Actuellement, tous les regards sont tournés vers le Sud, l’idée est de faire de cette région une zones potentielle de production agricole, notamment les céréales. Cette vision n’est pas nouvelle, une tentative a été déjà initiée durant les années 80/90 mais les objectifs escomptés n’ont jamais été atteints pour des raisons multiples, des problèmes de terrain ont été décelés, au fur et à mesure du processus de production,
La salinisation des sols, un risque majeur !
Dans cet article, je n’aborde pas le risque d’épuisement des ressources hydriques, cela nécessite un tout autre travail, mais je m’intéresse surtout au risque de la salinisation des sols dédiés à la céréaliculture sous pivot.
En tant que citoyen lambda, je ne peux qu’être fier et je me réjouis des résultats enregistrés relatifs à la production céréalière dans le sud du pays rapportés par divers médias mais mon devoir d’agronome m’interpelle et m’incite à me poser des questions sur la pérennité de ces projets et le risque d’une désertification des lieux, à cause de la salinisation des sols cultivés, à moyen terme, engendrée par la remontée des sels à la surface due aux irrigations fréquentes et répétées sur plusieurs saisons.
Ce phénomène a été déjà observé sur les sols de ces régions durant les années 80/90 dans les périmètres irrigués créés dans le cadre de la mise en valeur des terres agricoles consacrée par la loi 18/83 communément connue par APFA (Accession à la propriété foncière agricole). Dans ces régions, l’eau peut contenir de 2 à 8 grammes de sel par litre et à chaque irrigation, ce sel remonte progressivement à la surface du sol.
D’ailleurs, la couleur blanche répandue dans les lieux affectés nous donne une idée sur ce phénomène qui prend de l’ampleur progressivement et qui rend le milieu, au fil des saisons, défavorable à la croissance des végétaux, en raison de la présence de sels solubles en quantité élevée. Je ne vais pas m’étaler sur l’aspect technique mais je dirai qu’au final, la salinité des sols réduit considérablement le rendement attendu.
Dans une contribution qui date de 1996, R. Lahmar, pédologue de formation, indique qu’à titre d’exemple, un ha de blé consomme 6000 m3 d’eau, et si cette eau d’irrigation contient 2g/l de sels, la culture peut alors laisser dans le sol en fin de cycle 12 tonnes de sels ! Dans le même ordre d’idées, il ajoute que «cinq campagnes d’irrigation, dans les fermes pilotes de Gassi-Touil, ont suffi à multiplier par six le niveau de salinité des 20 premiers cm du sol, pourtant sableux. Entre 20 et 80 cm de profondeur, la charge saline a pratiquement doublé.
Ces niveaux de salinité sont largement suffisants pour provoquer une chute importante du rendement du blé dur. Le rendement a, en effet, baissé de près de moitié». «Si l’on se réfère à ces données scientifiques, à quoi sert-il donc d’assurer une production importante durant 5 ou 6 ans puis procéder au déplacement des pivots pour les installer sur une nouvelle parcelle qui aura également le même sort que les précédentes. C’est dire que ce genre d’action ne s’inscrit pas dans le concept du développement durable et porte un préjudice énorme aux ressources naturelles».
Il existe D’autres facteurs de risque
La production de denrées agricoles dans le Sud n’est pas aussi confortable que cela puisse paraître, les contraintes du climat et du sol supposent l’utilisation abusive de plusieurs facteurs de production, de surcroît lorsque cette agriculture se pratique à très grande échelle, sur des superficies de plus de 10 000 ha. Les sols du sud du pays sont sablonneux, légers, pauvres en éléments nutritifs.
Ce sont des sols qui ne retiennent pas l’eau et se lessivent facilement, d’où la nécessité d’apporter de grands amendements organiques et chimiques avec tout le risque de contamination des eaux souterraines, notamment par les nitrates.
En raison des fortes chaleurs, il est nécessaire d’assurer une irrigation en permanence, ce qui pèse lourdement sur les réserves hydriques souterraines. Nous n’avons aucun droit d’épuiser ces réserves qui appartiennent aussi aux générations futures. Produire des céréales et de la pomme de terre dans des zones pareilles suppose une irrigation sans interruption durant toute l’année.
Quel que soit leur volume, les nappes souterraines demeurent toujours non renouvelables. L’utilisation excessif des différents facteurs de production entraîne des coûts supplémentaires. Les revenus générés pourraient-t-ils amortir les charges et dégager un gain à la hauteur de tous ces «sacrifices» ? D’où la nécessité de s’interroger sur la faisabilité économique de ces projets
Les scientifiques doivent s’immiscer et faire valoir leur vision !
Le développement de notre agriculture ainsi que la volonté politique ne peuvent être concrétisés convenablement qu’avec l’apport des scientifiques. Après tout, l’agronomie est une science à part entière ! Des études approfondies et rigoureuses sont nécessaires pour quantifier l’ampleur de la salinisation dans les zones concernées et évaluer son évolution temporelle ainsi que l’effet sur les ressources hydriques et l’impact environnemental. La communauté scientifique, notamment les agronomes et les instituts de recherche tels que l’INRA, l’ITGC, l’INSID, l’ONID, l’INRH, l’ITDAS, l’ODAS et le Bneder, sous la houlette du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, doivent s’engager activement dans l’analyse de ce phénomène et proposer des solutions concrètes pour le contrer.
Ce qui va nous permettre d’entamer un vrai départ et éviter toute surprise qui peut réduire à néant tous les efforts consentis pour développer cette production dans le Sud. Eviter la perte de temps, la perte d’argent et éviter également la désertification irréversible des lieux !
En conclusion, je dirai qu’il est de notre devoir de nous soucier de la pérennité des projets initiés, notamment la céréaliculture sous pivot dans les régions du Sud. Il est possible de garantir la viabilité de ce secteur crucial pour le développement économique et la sécurité alimentaire du pays, tout en préservant les ressources naturelles, dont le sol et l’eau, pour les générations futures.
Par Aissa Manseur
Expert consultant en développement agricole