«Il y avait une vraie conscience politique chez la communauté algérienne de France. Celle-ci a été façonnée par plusieurs facteurs et éléments. Des événements et des actes ayant précédé la manifestation du 17 Octobre 1961 ont contribué à l’éveil politique», constate l’anthropologue Yazid Ben Hounet.
Rencontre avec l’auteur», une activité organisée par la maison de la culture de Béjaïa, a accueilli, jeudi, deux universitaires à l’occasion de la commémoration des événements du 17 Octobre 1961, pour discuter du «Rôle de l’émigration dans le triomphe de la guerre d’indépendance». Pour Yazid Ben Hounet, anthropologue, chercheur au CNRS, «il y avait une vraie conscience politique chez les émigrés, façonnée par plusieurs facteurs et éléments.
Des événements et initiatives qui ont précédé la manifestation du 17 Octobre 1961 ont contribué à l’éveil politique chez la communauté algérienne en France et à la prise de conscience de la nécessité d’engager la résistance en dehors du territoire algérien». Il revient à 1926, l’année de la création de l’Etoile nord-africaine à Paris qui a participé à rassembler les Algériens autour de la cause nationale. Viennent en suite, les échos provenant d’Alger, faisant état d’exaction et de la soumission du peuple à la loi de l’indigénat, ainsi que les événements du 8 Mai 1945.
Tout cela a permis, souligne-t-il, à «construire cette personnalité algérienne qui décide de se battre pour l’indépendance».
Le chercheur relate que parmi les manifestations qui ont précédé le 17 Octobre 1961, et qui démontrent cette prise de conscience politique et militante, la manifestation du 14 juillet 1953, un événement peu connu, selon lui, ou du moins, dont on ne parle pas assez. Alors, «la gauche syndicale et communiste a organisé, de manière indépendante, une manifestation célébrant la fête d’Indépendance française.
Derrière le carré des communistes, ajoute l’orateur, il y avait des militants du MTLD. Parmi les milliers d’Algériens défilant à la queue de la procession, à place de la Nation, 7 personnes ont perdu la vie, dont 6 Algériens et un Français qui tentait de s’interposer entre les forces de l’ordre et les manifestants du MTLD. Yazid Ben Hounet, s’est intéressé ensuite aux tentatives du gouvernement français de dissimuler le crime colonial d’octobre 1961, à l’époque, toute la presse française, en dehors de l’Humanité, avait repris un communiqué de Maurice Papon, faisant état de 3 morts seulement.
«La carte de la pression»
De son côté, Ahmed Sehali, enseignant d’histoire à l’université de Béjaïa, a axé sa communication sur les tensions au sein du gouvernement français, provoquées par la pression politique exercée par les Algériens sur le sol français. «L’action révolutionnaire algérienne en territoire français a affaibli le régime français. Au départ, cette émigration a été voulue, et même organisée par le colonisateur afin de reconstruire l’économie française et bâtir les villes détruites lors de la Seconde Guerre mondiale», dit-il.
Et d’ajouter : «Cependant, cette communauté a joué un rôle crucial dans l’évolution de la guerre à l’intérieur du pays, en jouant la carte de la pression à travers des manifestations et des actions (subversives).» Persécutés, «les Algériens ont été frappés dans le fondement de leur identité, et soumis à la loi de l’indigénat, cela a poussé les Algériens à ''installer'' la guerre de libération en France, où elle a connu en 1961 une des plus violentes répressions du genre dans l’Europe de l’Ouest», rappelle l’universitaire.
Selon les chiffres officiels, environ 40 000 Algériens ont participé à la manifestation d’Octobre 1961. «15 000 à 20 000 personnes», selon un moudjahid de la Fédération de France présent dans la salle, qui précise dans le même contexte : «On a comptabilisé à l’époque plus de 400 morts, un chiffre aggravé par le décès des prisonniers ayant succombé à la torture et à leurs blessures, étant privés de soins.»