Casbah d’El Djazaïr : Au souvenir du héros Yacef Saâdi et de son livre phare La Bataille d’Alger

31/10/2023 mis à jour: 03:19
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«Le besoin de mémoire est un besoin d’histoire»  Pierre Nora

 

Revisiter le parcours de Yacef Saâdi, un des symboles de la Révolution algérienne, nécessiterait une longue et féconde rétrospective d’un pan d’histoire fondamental d’Alger et de sa Casbah résistance sur lequel nous reviendrons dans une circonstancielle opportunité.
 

Cependant, la tenue du Salon international du livre d’Alger, qui coïncide avec la deuxième année de la disparition de Yacef Saâdi, l’auteur du premier livre phare de l’Algérie indépendante Souvenirs de la Bataille d’Alger, publié en 1962 à la maison d’édition Julliard, nous emmène dans cette veille de la célébration du 69e anniversaire du 1er Novembre 1954 à évoquer avec émotion et reconnaissance sa mémoire en cette universelle célébration du livre et de ses lumières en lien commun rassembleur de savoir, de culture, d’altruisme à la rencontre de l’autre pour le vivre-ensemble de l’humanité de toute la planète. Le moudjahid Yacef Saâdi a vu le jour le 20 janvier 1928 à La Casbah d’Alger où, dès la prime enfance, il se révolta contre l’injustice et les exactions colonialistes quotidiennement vécues dans l’enceinte de l’ancestrale médina reconvertie en terroir d’exclusion sociale de toute une population appauvrie livrée à la misère et au chômage endémique.
 

C’est à ce propos que nous citerons judicieusement la lumineuse maxime «l’homme n’est rien que la série de ses actes» du célèbre philosophe allemand Friedrich Hegel pour retracer la succession des étapes révolutionnaires de Yacef Saâdi.
 

Une infamante réalité d’une marginalisation de racisme primitif, d’oppression et de répression qui, très jeune, le stimula à rejoindre une formation politique salvatrice du Mouvement national indépendantiste incarné par le PPA/MTLD et dont le responsable organique à La Casbah n’était autre que son aîné natif également de la cité antique Sid Ali Abdelhamid au parcours de militance en tant que membre du Bureau politique de ce parti et membre fondateur du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), à une époque charnière de l’histoire qui, lui aussi, nous a malheureusement quittés le 6 mars 2022.   
 

A ce propos, il y a lieu d’évoquer une intervention publique de Yacef Saâdi lors de la présentation du livre mémoire de Sid Ali Abdelhamid intitulé Ce que j’ai vécu en juin 2019 à la Bibliothèque nationale. En termes très émouvants, le chef historique de la Zone autonome d’Alger (ZAA) a captivé toute une affluente assistance avec cette expression de reconnaissance, de gratitude et de haute considération à l’endroit de Sid Ali Abdelhamid en le désignant affectivement du doigt. «Voilà ma première grande école de militantisme révolutionnaire engagée exclusivement pour la lutte et l’indépendance de l’Algérie et qui a fait ce que je suis devenu dans le combat libérateur.» 

Et d’ajouter passionnément : «Sid Ali Abdelhamid est un héros dont l’Algérie générationnelle se souviendra.» Dans ce contexte d’un irréductible engagement patriotique, Yacef Saâdi participe à l’âge de 17 ans aux côtés de Sid Ali Abdelhamid à la manifestation du 1er Mai 1945 à Alger à l’ex-rue d’Isly, actuellement Larbi Ben M’hidi, organisée clandestinement par le PPA/MTLD interdit sous couvert de la Fête de la victoire sur le nazisme allemand célébrée grandiosement dans toutes les capitales du monde, mais, hélas, bien que pacifique, celle-ci fut sauvagement réprimée dans le sang par la police coloniale. 
 

Pour poursuivre la trajectoire de cet élan du combat libérateur, il adhéra dès sa création en 1947 à l’Organisation spéciale (OS) à l’orée de ses 19 printemps et constituera un groupe de fidaïns aguerris qui a activement participé au déclenchement de la Guerre de libération du 1er Novembre 1954 pour devenir le bras droit militaire opérationnel de Larbi Ben M’hidi à La Casbah dès sa désignation en qualité de chef de la Zone autonome d’Alger par le Comité de coordination et d’exécution (CCE).

 Il organisera à La Casbah d’Alger les fondements tactiques de la guérilla urbaine avec une structuration de terrain affinée et adaptée aux actions armées quotidiennes et permanentes d’harcèlements contre un ennemi dans le désarroi des opérations d’attentats d’envergure exécutées dans la constance par des groupes de commandos de moudjahidate et de moudjahidine dans les fiefs symboliques de la colonisation. Une action tactique d’envergure révolutionnaire qui servira douze années plus tard à une phase déterminante et décisive de la Guerre de libération avec le déroulement de la grève nationale de 8 jours à La Casbah d’Alger.
 

La grève de 8 jours : Une héroïque et victorieuse épopée d’internationalisation de la Révolution algérienne  
Décidée dans l’urgence par le CCE à l’issue d’une réunion d’évaluation exceptionnellement consacrée au constat de déficit d’audience internationale de la Guerre de libération, une grève nationale de 8 jours a eu lieu du 28 janvier au 4 février 1957 avec une polarisation sur Alger la capitale et sa Casbah reconvertie en vitrine d’une inédite et spectaculaire démonstration de résistance populaire minutieusement organisée par la Zone autonome d’Alger sous la houlette de son chef historique le regretté Yacef Saâdi.
 

Une première mondiale de par sa durée novatrice, résistante et populairement mobilisatrice inconnue jusque-là qui internationalisa la Guerre de libération par la voix de l’ONU qui enfin adopta une résolution du droit à l’autodétermination de l’Algérie le 15 février 1957, soit 11 jours après la fin de la grève le 4 février 1957 qui instantanément provoquera un véritable séisme dans les arcanes de la République française. 
 

Un cinglant et cuisant revers à la France d’occupation instigatrice des années durant au sein de cette instance de report en report de l’inscription sans suite de la question algérienne avec son credo mensonger et ridicule traduit en euphémisme «d’évènements d’Algérie» qu’elle a avec mépris au droit international institué en devise de sa politique de colonisation. 
 

 

La Bataille d’Alger, un film de Yacef Saâdi réalisé par Gillo Pontecorvo 

Cette glorieuse épopée de la Révolution algérienne est immortalisée en direction de la jeunesse, des générations montantes et de la postérité par le film culte La Bataille d’Alger, un vécu de Yacef Saâdi qui est aussi son œuvre qu’il a commencé à écrire après son arrestation en 1957 à la prison d’El Harrach et achevée à la prison de Fresnes, en France, en 1961. Une phase de combat et de lutte implacables interprétée par lui-même, campé dans son propre rôle en acteur principal de l’inoubliable  Djaâfer, son nom de guerre, témoin majeur de l’histoire d’Alger, capitale de la résistance et sa matrice révolutionnaire incarnée par sa Casbah. 

Avec ses plus prestigieuses distinctions honorifiques à l’international qui lui étaient décernées, le film La Bataille d’Alger s’est, à ce titre, érigé en un historique avènement d’une première et inaugurale œuvre ascensionnelle d’art cinématographique de l’Algérie indépendante qui, à travers les cycles temporels de la cinéphilie, demeure à ce jour une référence encyclopédique dans l’univers du 7e art. Une conjoncture événementielle de création d’éclat de La Bataille d’Alger à la faveur de laquelle a pu s’installer l’émérite cinéaste de renom Gillo Pontecorvo dans la tour des monumentales célébrités du cinéma de l’époque pour avoir génialement réalisé le film éponyme La Bataille d’Alger de Yacef Saâdi perpétuellement en projection d’actualité de modèle académique historiquement instructif de la guérilla urbaine. 
 

Les vendredis d’une destinée de Yacef Saâdi 

A l’achèvement  de cette noble mission pour la libération de l’Algérie du joug colonialiste français courageusement et stoïquement accomplie, Yacef Saâdi a rejoint un monde meilleur pour un repos bien mérité dans la rahma divine d’Allah le Tout-Puissant le vendredi 10 septembre 2021, 93 années après sa naissance à La Casbah, un vendredi 20 janvier 1928 et a été inhumé au cimetière d’El Kettar dans la tombe de sa mère en présence du conseiller du président de la République, Abdelhafid Allahoum, et du ministre des Moudjahidine Laid Rebiga, et d’une foule nombreuse accourue pour l’ultime adieu à un symbole d’héroïsme.  
 

Germaine Tillion en haïk au PC de Yacef Saadi à la Casbah 

Une perpétuelle jonction méditerranéenne de pensée d’outre-tombe de Yacef Saâdi à sa grande et historique amie qu’il évoquait très souvent, la célèbre ethnologue des Aurès Germaine Tillion, une résistante de premier plan déportée des camps de concentration nazi, devenue Conseillère d’Etat chargée de hautes fonctions au Gouvernement français qui drapée du haïk traditionnel algérois stratagème de clandestinité ultra secrète est accourue en invitée, précédemment sollicitée dans son refuge - PC de fortune à La Casbah en 1957. 

Circonstance au cours de laquelle elle a connu les figures emblématiques de la résistance armée, Ali la Pointe, Hassiba Ben Bouali, Zohra Drif et le chérubin de 13 ans, une première de mondialité d’une enfance combattante de la branche militaire de la Zone autonome d’Alger Yacef Omar, dit P’tit Omar, tous proches compagnons d’armes de celui qu’ils appelaient «El kho» (le frère), un superlatif exprimé en phonétique algéroise d’affectivité à l’endroit de Yacef Saâdi. Germaine Tillion voulait, par cette tentative,  s’enquérir de la réalité de la situation et s’impliquer pour une éventuelle approche d’une médiation appropriée à la suspension des exécutions des condamnés à mort en une perspective de paix en Algérie, son pays de prédilection qu’elle connaissait parfaitement de longue date des années 30 avec des liens d’amitié profonde avec son peuple.
 

Le port Yacef Saadi : Une symbolique de jonction méditerranéenne du souvenir et de la pensée  
 

A la faveur de l’historique baptisation du port d’Alger au toponyme de port Yacef Saâdi, cette Méditerranée du souvenir et de la mémoire incarne également la symbolique d’un inoubliable lien d’union scellé par l’histoire avec toutes celles et tous ceux qui, de l’autre côté de la rive, ont courageusement et glorieusement participé par le sacrifice suprême du don de soi à la lutte pour la libération et l’indépendance de l’Algérie. 
 

Laquelle Algérie leur sera générationnellement et à jamais reconnaissante à l’infini des cycles des âges et du temps. Comme pour l’immortalisation de la stratégie d’inventivité de la guérilla urbaine à Alger à travers le film d’universalité La Bataille d’Alger, Yacef Saâdi a inlassablement œuvré jusqu’à son dernier souffle pour transmettre à la jeunesse et aux générations futures un legs d’histoire et de mémoire de la résistance armée dans l’enceinte de la capitale de l’Algérie, épicentre médiatique et vitrine mondiale d’actions révolutionnaires au cours de la Guerre de libération.
 

Une mission post-indépendance prioritaire de Yacef Saadi : L’école de la jeunesse pour la pérennité 
de l’histoire et de la mémoire   

Un travail de longue haleine qu’il n’a pas cessé de mener avec une méthodologie pédagogiquement éprouvée en sillonnant de nombreuses écoles et lycées dont l’auditoire de jeunesse en le découvrant  manifestait à son égard une admiration en le sollicitant avec sur des chapitres d’histoire qu’il développait avec un art oratoire captivant et amplifié par une euphorie collective des chaleureuses rencontres qui, selon sa propre expression, lui créaient un bonheur inouï d’espoir symboliquement exhorté par la jeunesse en force vive et d’avenir de la nation. 
 

Une aspiration significativement illustrée par cette sublime image de relai générationnel prometteur avec les élèves de l’école Debbih Chérif le 8 mai 2018 à La Casbah d’Alger qui ont fièrement exhibé un portrait tramé dans un poème le parcours de Yacef Saâdi. Prose versifiée par le barde et écrivain de talent Rachid Rezzagui au titre éloquemment attendrissant de «Merci Kho» déclamé par l’aède avec une intonation émouvante, rimé avec ce quatrain à l’endroit du chef historique de la Zone autonome d’Alger à qui le portrait a été offert par l’auteur.   L. 

 

Par Lounis Ait Aoudia 

Président de l’Association des amis de la rampe Louni Arezki Casbah       
              
 

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