Près de quatre ans jour pour jour après l’effroyable découverte, le procès de la tragédie du camion charnier en Angleterre, où 39 migrants vietnamiens avaient été retrouvés morts dans un conteneur en 2019, s’est ouvert hier après-midi à Paris.
Dix-neuf prévenus de nationalité vietnamienne, française, chinoise, algérienne et marocaine sont jugés, jusqu’au 10 novembre, pour leur participation à un vaste réseau d’immigration clandestine du Vietnam vers l’Europe. Six des huit prévenus vietnamiens soupçonnés d’être responsables de l’organisation du transport et de l’hébergement des migrants étaient assis dans le box des prévenus, écouteurs dans les oreilles, suspendus aux mots de leurs interprètes.
Parmi eux, quatre – surnommés Tony, Hoang, Thang et Long – comparaissent pour «homicides involontaires». Les deux autres prévenus vietnamiens sont absents à l’audience, considérés «en fuite». Les autres prévenus – huit chauffeurs de taxi et trois bailleurs – comparaissent libres. Tous sont jugés pour «aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger en France, crime commis en bande organisée», ainsi que pour «association de malfaiteurs», des délits passibles de dix ans d’emprisonnement.
Un non-lieu a en revanche été prononcé pour les poursuites de «traite d’êtres humains en bande organisée». Cette tragédie a jeté une lumière crue sur les risques de l’exil via des filières clandestines. Le matin du 22 octobre 2019, 31 hommes et huit femmes, âgés de 15 à 44 ans, tous originaires du Vietnam, étaient montés dans une remorque, dans le nord de la France.
Le conteneur était parti du port belge de Zeebruges en direction de l’Angleterre, où a eu lieu la macabre découverte après une nuit de voyage, le 23 octobre 2019, dans la zone industrielle de Grays, à l›est de Londres. Les migrants avaient été retrouvés morts d›asphyxie et d›hyperthermie, en raison de la chaleur et du manque d›oxygène dans l›espace confiné du conteneur. Parmi eux, Pham Thi Tra My, 26 ans, avait envoyé un SMS glaçant à ses proches, quelques heures avant la découverte des corps : «Maman, papa, je vous aime très fort. Je meurs, je ne peux plus respirer.»
«Ce dossier permet de prendre la mesure évidente des risques que font prendre ces réseaux aux étrangers en quête d’exil : au risque de mort qui les attend en les entassant comme des animaux dans des camions frigorifiques (...), une mort particulièrement cruelle», ont estimé les magistrats dans l’ordonnance de renvoi consultée par l’AFP.
«Profit maximal»
A l’issue d’investigations transnationales, les enquêteurs français ont conclu que les 19 hommes interpellés en France étaient des personnes chargées de l’organisation du transport des migrants, des chauffeurs de taxi ou des propriétaires d’appartements servant à l’hébergement temporaire des personnes migrantes en région parisienne. D’après des interceptions téléphoniques, ils désignaient les migrants par les termes de «marchandises» ou de «poulets».
Les juges d’instruction estiment que «les arguments de défense avancés par les protagonistes vietnamiens du réseau, qui consistent à évoquer une forme d’aide intra-communautaire», doivent être «balayés (...), le seul objectif étant la recherche d’un profit maximal». Ils évoquent aussi les bailleurs et chauffeurs de taxi, «des ressortissants français sans lesquels les réseaux ne peuvent fonctionner», eux aussi animés «par la seule recherche du profit».
«Mon client a certes sa part de responsabilité dans ce drame, mais elle est minime. Il est d’abord, lui aussi, une victime de cette filière et de ses cyniques dirigeants qui se sont servis de lui et de sa fragilité pour accomplir la basse besogne», a déclaré à l’AFP Me Dylan Slama, qui défend un des prévenus vietnamiens. «Mon client conteste formellement son implication dans l’organisation du réseau», a commenté Maïa Kantor, avocate d’un autre suspect vietnamien, évoquant un «drame qui l’a profondément bouleversé mais qui doit être distingué des faits qui lui sont reprochés».
Parallèlement à la France, des procédures judiciaires ont été menées au Royaume-Uni, au Vietnam et en Belgique. A Londres, un Roumain d’une quarantaine d’années, désigné comme le chef du réseau, a été condamné en janvier 2021 à 27 ans de prison pour «homicides involontaires» et «trafic de migrants».
D’autres suspects, notamment les chauffeurs successifs du camion, ont écopé de 12 à 20 ans d’emprisonnement. En Belgique, un Vietnamien accusé d’avoir été le chef de la cellule belge du réseau a été condamné à 15 ans début 2022.