Brésil : Un collectionneur «loufoque» épris de Marcel Proust

11/03/2023 mis à jour: 00:42
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Le Brésilien Pedro Corrêa do Lago devant la bibliothèque de sa résidence à Rio de Janeiro, le 14 février 2023

Je devrais être dans une camisole de force!», le Brésilien Pedro Corrêa do Lago a consacré sa vie à rassembler la plus grande collection privée au monde de lettres autographes et de manuscrits, dont une somme inestimable sur Marcel Proust, qu’il vénère. 
 

«Vous êtes devant un monsieur loufoque, dans une maison un peu étrange, avec un bordel hallucinant. C’est le résultat d’une passion de plus de 50 ans», explique l’historien de l’art en recevant l’AFP dans la maison où il vient d’aménager dans le quartier cossu de Gavea, à Rio de Janeiro. Cabinets d’archives coupe-feu, déshumidificateurs, piles de livres au sol, la demeure lumineuse du début des années 1950 accueille, sur trois étages, une imposante bibliothèque de 11 mètres de haut parcourue par un escalier intérieur. «Je vais avoir 65 ans et j’ai constitué depuis l’âge de 12, 13 ans la plus grande collection d’autographes au monde», dit le Brésilien : des signatures mais surtout des lettres, des manuscrits, des photos, des dessins. «L’ambition démesurée» de cette collection de plus de 100 000 pièces aujourd’hui était «de refléter la culture occidentale des cinq derniers siècles». 
 

«Ma femme appelle les marchands d’autographes mes dealers», plaisante celui qui décrit l’obsession d’une vie comme «un virus, une maladie», mais qui «lui a apporté beaucoup de joies», malgré quelques angoisses financières. Fils de diplomate et ayant reçu «une éducation privilégiée», M. Corrêa do Lago a représenté durant 26 ans la maison d’enchères Sotheby’s à Sao Paulo, dirigé la Bibliothèque nationale à Rio et été commissaire d’expositions sur le Brésil. Il a fondé avec son épouse Bia - fille du célèbre écrivain Rubem Fonseca - la maison d’édition de livres d’art Capivara et écrit une vingtaine d’ouvrages.
 

Le «fétichisme» de Proust
 

Le début de la consécration est arrivé en 2018 avec une exposition à la Morgan Library à New York de 140 documents, «un petit échantillon» de son immense fonds. «C’était la première fois qu’ils exposaient une collection privée de manuscrits», s’enorgueillit M. Corrêa do Lago. 
 

Plus de 80 000 visiteurs ont pu contempler un dessin de Michel-Ange, une lettre de Flaubert à Hugo, une autre de Mozart à son père, des manuscrits d’Einstein, de Newton ou Darwin, la couverture de cantates de Bach, un parchemin de 1153. Et un incipit provisoire d’A la recherche du temps perdu, avant le célébrissime Longtemps, je me suis couché de bonne heure. 

Car s’il a rassemblé énormément d’originaux autour de Flaubert, Baudelaire, Hugo ou Toulouse-Lautrec, tout en s’intéressant à Napoléon, Van Gogh ou Picasso, M. Corrêa do Lago a formé un fonds privé exceptionnel autour de Proust. «Proust fait l’objet d’un fétichisme absolu, je n’y échappe pas», concède cet homme grand et barbu, qui s’exprime dans un français parfait et relit des extraits de La recherche «tout le temps». 
 

C’est à 20 ans qu’il achète à New York sa première lettre de Proust dans une échoppe : 200 dollars. Il en a 500 pour vivre un mois. «Une lettre d’une importance extraordinaire écrite à Grasset» par l’écrivain en quête d’éditeur. Il y a 10 ans, le Carioca a racheté à une petite-nièce de Proust des photos, dont les seuls clichés originaux de son appartement parisien, dans un petit lot de quelques centaines d’euros. Il a pu acquérir 90 lettres de l’écrivain à la gigantesque correspondance, dont 80% ont été perdus. «Ca m’émeut beaucoup d’avoir entre les mains (...) le papier même qu’il a touché», explique le collectionneur.
 

«Le prix d’une grosse voiture»
 

L’an dernier, pour le centenaire de la mort de Proust, il a prêté des pièces à la Bibliothèque nationale de France (BnF) et, avant, au Musée Carnavalet. Mais surtout, M. Corrêa do Lago «s’est fait beaucoup d’amis parmi les Proustiens» en publiant, en octobre, «Marcel Proust, une vie de lettres et d’images», avec 450 documents de sa collection, en majorité inédits. 
 

«Un petit Brésilien inconnu au bataillon, (...) qui écrit un livre sur Proust, j’avais un peu le trac tout de même!», s’esclaffe-t-il. A la recherche constante de l’original et du «contenu intéressant», le collectionneur a voyagé. «J’allais aux ventes aux enchères, trois à quatre fois par an en Europe et aux Etats-Unis (...) J’avais toujours quelque chose à faire où que je sois dans le monde». 

Sa plus grande folie financière? Le manuscrit de La bibliothèque de Babel de Borges, «payé en quatre ans, le prix d’une grosse voiture». «Je n’avais pas de fortune personnelle. Tout ce que j’ai gagné dans ma vie je l’ai mis dans ma collection», dit l’intellectuel brésilien. «J’aurais peut-être pu dépenser (davantage) pour ma famille, mais ils ne s’en sont jamais plaints», conclut-il dans un éclat de rire.

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