Brahim Guendouzi. Economiste : «Le manque à gagner pour nos exportations sera conséquent si les cours du pétrole baissent»

06/04/2025 mis à jour: 11:40
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Le professeur en économie à l’université de Tizi Ouzou explique dans cet entretien l’impact de la décision américaine d’appliquer un droit de douane aux produits algériens à hauteur de 30%. 

«L’impact d’un droit de douane de 30% ne risque pas d’avoir un grand effet directement sur la balance commerciale bilatérale puisque les produits énergétiques (pétrole et gaz) sont soumis à d’autres règles. Au demeurant, si les cours du pétrole brut venaient à réagir dans le sens baissier, corrélativement avec la décision de l’OPEP+ d’augmenter, à partir du mois de mai, la production pétrolière de 411 000 barils par jour, le manque à gagner pour les exportations algériennes sera dans 
ce cas conséquent.» 
 

Propos recueillis par Nadjia Bouaricha

 

Les Etats-Unis appliqueront de nouvelles tarifications douanières aux produits étrangers. L’Algérie n’en est pas épargnée puisque des droits de douane de 30% seront appliqués à ses produits franchissant le territoire américain. Quel est votre regard sur cette décision et comment peut-elle impacter les échanges entre les deux pays ? 

En premier lieu, les Etats-Unis restent le premier pays importateur dans le monde que ce soit des marchandises ou des services. Au-delà des raisons qui ont motivé le locataire de la Maison-Blanche de mettre en œuvre sa nouvelle politique tarifaire, il importe de relever la dimension unilatérale d’une telle action, car en matière commerciale, c’est souvent dans un cadre organisé que cela se décide, soit à l’échelle multilatérale, comme c’est souvent le cas avec l’OMC, ou de façon bilatérale et concertée. Aussi s’agit-il là d’une stratégie de rupture voulue par le président américain pour remettre en cause le processus de mondialisation tel qu’il s’est déroulé depuis le début du millénaire et qui, selon lui, a plus profité à des pays comme la Chine, au détriment des USA.

Les relations commerciales entre l’Algérie et les Etats-Unis ont connu plusieurs évolutions au fil des années, avec des hauts et des bas. Dans l’ensemble, ces relations sont marquées par une coopération qui a été consolidée, notamment dans les secteurs de l’énergie, du commerce et des investissements. Globalement, les échanges commerciaux n’ont pas atteint des niveaux élevés, ni en termes de montants ni en volume, comparativement à d’autres pays touchés par l’application des droits de douane. 

Les exportations algériennes non liées aux hydrocarbures vers les Etats-Unis restent relativement limitées, mais elles incluent une variété de produits. Par ailleurs, l’Algérie a aussi été bénéficiaire du programme de la loi de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), qui accorde un accès préférentiel au marché américain pour certains produits africains, bien qu’elle n’en ait pas profité pleinement. 

Aussi, l’impact d’un droit de douane de 30% ne risque pas d’avoir un grand effet directement sur la balance commerciale bilatérale puisque les produits énergétiques (pétrole et gaz) sont soumis à d’autres règles. Au demeurant, si les cours du pétrole brut venaient à réagir dans le sens baissier, corrélativement avec la décision de l’OPEP+ d’augmenter, à partir du mois de mai, la production pétrolière de 411 000 barils par jour, le manque à gagner pour les exportations algériennes sera dans ce cas conséquent.

Donald Trump justifie ces nouveaux droits de douane par une réaction aux droits de douane appliqués par les pays concernés aux produits américains. Dans le cas de l’Algérie, il parle d’une taxation à hauteur de 59% appliquée aux produits américains. Les calculs de l’équipe de Trump sont-ils réellement justifiés ? 

Les exportations américaines vers l’Algérie comprennent principalement des produits industriels, des équipements technologiques, des produits pharmaceutiques  et des produits agricoles. Les Etats-Unis exportent également des véhicules et des pièces détachées. 

L’Algérie, en revanche, exporte surtout des hydrocarbures, bien que ces exportations fluctuent au fil des ans en raison de l’évolution des cours mondiaux du pétrole brut. Il y a également certains produits hors hydrocarbures expédiés vers les Etats-Unis, provenant de l’agriculture (dattes, agrumes, huile d’olive) ou encore agroalimentaire (couscous, conserves alimentaires, épices), produits artisanaux et habillements traditionnels, produits chimiques, en faible quantité, et des sels minéraux. Ces exportations ne représentent qu’une petite fraction par rapport aux ventes d’hydrocarbures.

Le tarif douanier de droit commun en vigueur en Algérie depuis 2001 comprend trois taux de droits de douane qui sont 5% applicables sur les matières premières, 15% sur les produits finis et 30% pour les produits semi-finis. Apparemment, c’est ce dernier taux, le plus élevé, appliqué peut-être à la plupart des produits américains qui entrent Algérie, que l’administration américaine a retenu pour taxer les produits algériens à hauteur de 30%, les rendant ainsi plus chers pour le consommateur américain. C’est une sorte de réciprocité par rapport au tarif douanier algérien. 

Que doit faire l’Algérie pour compenser les pertes occasionnées par la décision de l’administration américaine sur la vente de ses produits, notamment les hydrocarbures ? 

Bien que les hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) représentent l’essentiel des exportations algériennes vers les Etats-Unis, il est moins probable qu’un droit de douane de 30% affecte directement ces exportations, car les produits énergétiques sont souvent soumis à des régulations spécifiques et non aux droits de douane classiques appliqués aux biens manufacturés ou agricoles. 

L’Algérie pourrait répondre à un tel droit de douane de 30% si elle estime qu’il est discriminatoire ou non conforme aux accords commerciaux existants. Comme elle n’est pas membre de l’OMC, elle ne risque pas de le faire en dehors d’un cadre organisé, comme celui de l’Organe de règlement des différends commerciaux (ORD) en œuvre dans l’organisation commerciale multilatérale. Il est probable alors que ce soit indirectement par l’affectation des relations commerciales dans le secteur de l’énergie, en influençant les négociations ou les accords à long terme.

En définitive, les exportations d’hydrocarbures pourraient être moins directement impactées par l’application du droit de douane de 30%, bien qu’elle puisse nuire aux relations commerciales globales. En effet, un impact significatif sur les autres secteurs peut être ressenti car affectant la diversification économique de l’Algérie. 
 

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