Dans cet entretien, Guendouzi Brahim, professeur d’économie à l’université de Tizi Ouzou et spécialiste du commerce extérieur, analyse les mesures d’encadrement et de rationalisation des importations. Il estime que ce recadrage vise certainement à pratiquer un effet d’éviction sur le nombre d’importateurs.
- Pour réduire les importations, le gouvernement a mis en œuvre des mesures d’encadrement. Il a touché plusieurs volets, en commençant par la suppression des systèmes SKD/CKD et par l’interdiction d’importation d’une série de produits. Les exemples sont nombreux. Il y a eu également le gel, pendant une période, des autorisations sanitaires d’importation de poudre de lait. Les décisions ont également touché les médicaments. Quel impact de toutes ces mesures sur le commerce extérieur ?
La contraction du PIB en 2020 sous l’effet de la pandémie ainsi que la baisse sensible des exportations à hauteur de 23 milliards de dollars, soit une perte de près de 10 milliards de dollars par rapport à 2019, ont créé une certaine panique sur les retombées du SARS-CoV-2 sur l’économie nationale. Il faut rappeler également que depuis 2018, la valeur du dinar est surévaluée corrélativement au double déficit de la balance des paiements et du budget de l’Etat, favorisant ainsi l’acte d’importer.
Aussi, une attention particulière s’est vite portée sur les importations avec la volonté de les réduire drastiquement pour préserver un tant soit peu le niveau des réserves de change, mais également pour lutter contre le phénomène de la surfacturation. Il faut dire qu’avec un nombre élevé d’importateurs de l’ordre de 42 000 et une dépendance du tissu économique vis-à-vis des importations d’inputs en plus des biens de large consommation, l’action étatique est venue renforcer l’aspect réglementaire.
La publication du décret exécutif n° 21-94 du 9 mars 2021 modifiant et complétant le décret exécutif n° 05-458 du 30 novembre 2005 fixant les modalités d’exercice des activités d’importation de matières premières, produits et marchandises destinés à la revente en l’état stipulent qu’elles doivent être exercées sur la base d’extraits de registre du commerce électronique portant des codes d’activités homogènes relevant d’un seul sous-groupe des groupes d’activités d’importation.Il en est de même des opérations d’importation effectuées sous la position tarifaire «autres» qui sont suspendues pour des raisons d’encadrement et de la rationalisation les importations.
Ceci vise certainement à pratiquer un effet d’éviction sur le nombre d’importateurs dont 6000 activaient avec des registres de commerce fictifs ou loués. Enfin, pour 2022, l’introduction du Droit additionnel provisoire de sauvegarde (DAPS) pour 2608 produits avec des taux ad valorem variant de 30 à 100% s’inscrit sur le même registre, celui de la réduction de la facture des achats en devise.
- Parallèlement, les filières concernées ont souffert de ces mesures de recadrage. Peut-on dire que l’excédent de la balance commerciale a été réalisé en sacrifiant certains besoins nécessaires pour l’industrie ?
Déjà, les taux d’intégration de 30% pour l’industrie automobile et de 70% pour les filières industrielles de l’électroménager et l’électronique, que doivent respecter les investisseurs dans ces activités, obéit à la volonté des pouvoirs publics à vouloir densifier le tissu industriel et éviter les pratiques du montage en SKD/CKD qui n’ont pas eu d’impacts positifs ni sur l’industrie nationale ni sur la balance commerciale du pays.
Les nouveaux taux d’intégration constituent en quelque sorte une barrière à l’entrée pour les entreprises qui voudront développer l’une de ces activités en Algérie, en les obligeant de réaliser un investissement consistant dès le départ. Mais le résultat auquel on est arrivé est décevant sur tous les plans. Les activités dans les deux filières ont largement reculé et les producteurs engagés se sont retrouvés dans des difficultés aussi nombreuses qu’il leur serait difficile de s’en sortir à moindres frais !
- Finalement, en voulant réduire les importations, le gouvernement a porté un coup dur à certains secteurs... Comment expliquer ce résultat ?
Le problème ressort essentiellement pour la filière électroménager qui doit se conformer au taux d’intégration de 70% comme nouvelle exigence. Il existe cependant des produits électroniques grand public où il n’est pas conseillé d’avoir des taux d’intégration élevés car les technologies sont évolutives et souvent certaines deviennent obsolètes dans un délai relativement court. D’autant plus où l’innovation est la plus dynamique.
L’Algérie dispose-elle d’un potentiel de recherche & développement susceptible d’accompagner les entreprises qui se lanceront dans ces activités ? Ce n’est pas évident.
- Quelle stratégie adopter pour ne pas pénaliser les producteurs dépendants des intrants importés ?
L’économie algérienne étant largement extravertie, il est toujours difficile d’allier un approvisionnement régulier de l’outil de production avec la contrainte devise qui pèse au fur et à mesure de la conjoncture économique.
Actuellement, la pression est mise beaucoup plus sur les importations pour la revente en l’état. Les entreprises de production qui importent des inputs continuent à le faire normalement et les produits finis fabriqués bénéficient de la protection nécessaire puisqu’il est question d’interdire l’importation des produits qui sont déjà fabriqués localement.
Par contre, deux nouvelles contraintes apparaissent pour les producteurs locaux : la variable taux de change puisque la valeur du dinar marque une baisse sensible par rapport au dollar et à l’euro, renchérissant ainsi les composants importés.
Ensuite, la tendance actuelle de hausse des prix à l’international, la perturbation dans le fonctionnement des chaînes de valeurs mondiales ainsi que la tension sur la tarification du transport maritime, vont certainement influer sur les résultats financiers des entreprises qui sont fortement dépendantes des marchés extérieurs.
- Comme dernière décision, le gouvernement veut avoir les programmes d’importations prévisionnelles ? Qu’en pensez-vous ?
Pour les grandes entreprises, grosses importatrices, il est toujours utile d’avoir un programme prévisionnel afin de cerner ses achats de l’extérieur tant en quantités qu’en valeur. S’agissant des importations pour la revente en l’état, il est question d’en limiter les importations uniquement pour les produits qui ne sont pas fabriqués localement, ou bien qu’il faille compléter une production locale qui n’arrive pas à satisfaire les besoins du marché.
Aussi, le programme d’importations prévisionnelles peut s’interpréter comme étant un nouvel outil de régulation des approvisionnements à l’international pour pouvoir anticiper les évolutions de la balance commerciale, à condition évidemment qu’il ne soit pas utilisé comme un levier bureaucratique destiné à pratiquer un effet d’éviction sur des importateurs.