Brahim Bouchareb. Enseignant chercheur (*) : «Les pics de température sont un facteur d’aggravation des risques d’incendie»

26/07/2023 mis à jour: 20:00
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Photo : D. R.

- Pensez-vous que la canicule intense, avec des températures dépassant parfois les 48 degrés, ont créé des conditions propices à la propagation rapide des flammes ?

Oui, les grandes périodes de chaleur avec de fortes fréquences conjuguées à des pics de température sont un facteur d’aggravation connu des risques d’incendie. C’est d’ailleurs le facteur numéro 1 de risque temporel (limité à une période de l’année) en plus des risques spatiaux qui sont eux non dépendants de la saison ou d’aléas climatiques.

Il faut savoir que les degrés de risque d’incendie dépendent d’une configuration spatiale dictée par un relief «pentes et expositions», une couverture végétale (strates et composition floristique) avec des différents degrés d’inflammabilité ainsi que la proximité des zones forestières aux infrastructures urbaines, comme les réseaux routiers, les habitations et les autres infrastructures de télécommunication.

Ce risque spatial, plutôt facile à appréhender avec une bonne connaissance de terrain, contraste avec un risque temporel qui, lui, demeure très incertain et imprédictible à temps, comme les grandes vagues de chaleur, les vents chauds du Sud et la stagnation atmosphérique des grandes masses d’air chaud, comme c’est le cas dans la région méditerranéenne depuis maintenant plus de 15 jours, selon l’ONM.

Il faut juste savoir que les grandes températures, même celles dépassant 50° ne peuvent en aucun cas déclencher un incendie en l›absence d›étincelle ou d›une source de flammes. Malheureusement, nos forêts renferment toutes des déchets, parfois inflammables après une certaine exposition à un rayonnement intense, comme le verre, les piles alcalines, les batteries de téléphones jetées dans la nature, sans omettre les causes humaines, qu’elles soient volontaires, à l’exemple de la pyromanie, la vengeance sociale ou encore la quête d’assurance ou involontaires, telles qu’une inadvertance, mégots de cigarettes, feux de camps mal éteints.

- Vous estimez donc que si nos forêts étaient «clean», on aura moins de départ d’incendie ?

Il est nécessaire de comprendre que si nos forêts sont propres, correctement aménagées et débroussaillées, bien surveillées et préparées aux déclenchements d›incendies, elles pourront mieux résister à toute forme de mise à feu et plus résilientes en cas de feux contenus rapidement.

Cela n’empêche pas le déclenchement d›incendie de manière naturelle, mais cette cause demeure largement secondaire et ne représente en Méditerranée qu’environ 1 à 3% du total des incendies causés par l’énergie de la foudre et rarement les éruptions volcaniques. A noter qu’en Algérie, environ 80% des causes sont inconnues et la piste criminelle ou volontaire est souvent évoquée pour les raisons citées antérieurement. 

- Chaque année, à la même période, le pays connaît une série d’incendie. Pourquoi ?

Oui, car selon les statistiques nationales, la période des incendies est généralement comprise entre le 10 juillet et la fin du mois d’août, coïncidant généralement avec le dessèchement maximal du combustible (phytomasse forestière comprenant les arbres et les strates herbacées inférieures).

Cette période n’empêche pas une vigilance qui s’étale chez nous de la fin du mois de mai au début du mois d’octobre, car les enseignements nous ont  démontré qu’actuellement les périodes de risque peuvent arriver précocement (si l’année est aride) ou tardivement (si les pluies automnales n’arrivent pas). Et les cas sont nombreux lors des dernières années sur des départs d’incendie en avril et en d’octobre sur plusieurs forêts du pays. 

- Pensez-vous que ce phénomène est accentué par le changement climatique ?

Il ne faut jamais oublier que la cause actuelle des grandes canicules est largement imputée aux changements climatiques et aux effets du réchauffement de la planète, même si certaines théories controversées émergent actuellement à propos de l›augmentation momentanée et/ou cyclique de la température du soleil à cause d›une tempête solaire (propos de la NASA, 2021) et qui devrait atteindre son paroxysme en 2025, ce qui  laisse présager des années encore plus chaudes que l’année 2023 détentrice déjà du record de l’année la plus chaude depuis plus d’un siècle de mesures météorologiques.

Cela n’exclut toutefois pas l’impact direct des changements climatiques et de la destruction continue des couverts végétaux de la planète rendant plus vulnérables les forêts fragmentées et attisant davantage la sensibilité des espaces verts aux multiples risques de propagations rapides et peu maîtrisables de méga incendies, comme est le cas cette semaine en Grèce. 

- Quelle est l’issue ?

Je pense qu’il faut améliorer la résilience sur tous les plans, y compris celle des milieux naturels, en pensant intelligemment à diminuer la fréquence et les intensités des incendies par des choix judicieux de boisement, reboisement, création de nouvelles forêts résilientes, gestion des espaces verts et des territoires, car les foyers d’incendie continueront d’exister et cela, quelles que soient les mesures de précaution prises par les gestionnaires.

C’est d’ailleurs les axes majeurs de réflexion que la direction générale des forêts a choisis de mettre en place avec une nouvelle vision de forêts utiles plantées pour l’homme et gérées par ce dernier afin de garantir une couverture forestière pérennes et génératrices de revenus décents pour une population locale prise comme partenaire pilotant et gérant les terres forestières de manière rationnelle et durable.

- Selon vous, quelle stratégie faut-il mettre en place pour prévenir ces incendies et les gérer au mieux ? 

Face aux risques nouveaux et à la propagation incontrôlable d’incendie, il est impératif de mettre en place une ou plusieurs stratégies répondant chacune aux spécificités spatiales et temporelles de chaque forêt.

La vision globale (ou holistique) a largement sa place dans les stratégies réflexives tenant compte du rôle des habitants et utilisateurs des forêts et leur rôle crucial dans la gestion de la richesse forestière nationale. Pour ce faire, des choix forts doivent être faits par nos gestionnaires pour céder une partie des forêts du pays à des gestionnaires et exploitants privés avec des règles strictes d’exploitation et de renouvellement des ressources selon un canevas scientifiquement fiable, et économiquement réalisable.

Il est important de souligner ce point, car toutes les stratégies antérieures de prévention ou de lutte n’ont pas apporté les solutions voulues, que ce soit en matière de protection des forêts ou de création de richesse.

Certes, il ne faut guère négliger tous les plans de lutte contre les incendies pour le moment, mais en pensant à élargir continuellement nos surfaces forestière (reverdir les terres marginales) afin de mieux préserver nos forêts et améliorer les conditions d’existence des populations rurales qui demeurent la force dominante dans les territoires forestiers.

(*) Enseignant chercheur en botanique écologie et environnement au département foresterie et protection de la nature de l’Ecole nationale supérieure agronomique : «Les pics de température sont un facteur d’aggravation des risques d’incendie»

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