Béni Saf : Balade écologique et mémorielle

23/12/2024 mis à jour: 18:43
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Vue générale de la plage du Puits - Habitat troglodyte des premiers Européens - Photos : El Watan

Après la récente dépollution de son atmosphère des épaisses émanations de sa cimenterie, un mélange d’acide silicique d'alumine, d'oxyde de fer et de chaux, voici que pointe celle de ses deux plages splendidement serties, l’une à l’est et l’autre à l’ouest, en façade maritime de son tissu urbain étagé en amphithéâtre depuis ses hauteurs en arrière-plan. Virée dans l’actualité et les méandres du passé de «Béni-Saf ezzine»…

Cette fois, donc, il est permis de croire à la fin du chagrin feuilleton des jours qui ternissait les attraits de la cité de Sidi Boucif : La crique portant, elle aussi, le nom de ce saint tutélaire, lovée tout en contrebas de son mausolée, au bout d’un long et sinueux lacet de route qui y mène, va de nouveau être égayée par les joyeux éclats des estivants. Ils y reviendront, faisant oublier les incursions d’aventureux baigneurs qui la préfèrent à la plage du Puits, elle, pourtant plus vaste, située à l’ouest.

Ces baigneurs, des habitués de son quartier, bravaient l’édit wilayal interdisant sa fréquentation en raison de sa pollution. L’un de ces nageurs l’a d’ailleurs tragiquement payé de sa vie en s’y noyant en 2019, le site n’étant pas surveillé comme tout autre espace balnéaire non ouvert à la baignade. Fait d’un fâcheux hasard, c’est cette année-là qu’est annoncé le gel du projet de réalisation d’une station d’épuration des eaux usées (STEP) qui se déversent à proximité. Actuellement, cette décision relève désormais du passé, depuis fin 2023 exactement, puisque entre-temps, une entreprise de réalisation du projet a été retenue et que le lancement du chantier doit contractuellement débuter mars prochain. Quant à la livraison des travaux, elle doit intervenir 24 mois plus tard. Mieux, précise-t-on du côté de la direction de wilaya de l’hydraulique, c’est l’Office national de l’assainissement qui doit en superviser les travaux de réalisation, qui aura en charge l’exploitation de la STEP.

La rétive oreille de dame nature

Mais, au fait, comment en est-on arrivé à cette situation ? C’est que depuis la naissance de la ville, ses égouts avaient pour exutoire le plan d’eau du port où les bateaux de pêche viennent livrer leur poisson et s’y abriter. Bravo pour l’hygiène, est-on tenté de persifler ? En effet, au fil de près d’un siècle, la cité et la population augmentant exponentiellement, les volumes d’eaux usées qui s’y déversaient avaient grossi au point que le bassin est devenu une infection.

Ce désastreux état n’était pas propre qu’à Béni Saf, puisqu’à travers la wilaya, le raccordement au réseau d’évacuation des eaux usées avait atteint 99%, alors que celui de leur traitement n’était que de 31% ! La parade, au moment où notre pays a commencé à se soucier sérieusement d’écologie, au tout début des années 2000, les eaux usées se déversant dans le port avaient été détournées par canalisation et rejetées à quelques encablures à l’est de la ville, où la réalisation d’une STEP était projetée.

Mais suite à cela, un péril d’une autre nature a surgi en raison d’une erreur d’appréciation commise en l’absence d’une préalable étude de faisabilité. En effet, sur le tracé de la déviation des eaux usées depuis le port, les autorités avaient fait élargir la voie en gagnant sur la falaise pour insérer une artère afin de soulager la dense circulation automobile aux alentours. L’idée s’est révélée judicieuse sauf que Dame Nature l’a entendue d’une autre oreille.

En effet, ce qui a été perdu de vue, c’est la probabilité de déstabilisation de la falaise dans ses fondements, car quelque temps après, des éboulements de roches et même d’énormes rochers se sont produits sur la nouvelle voie. Pis encore, l’effondrement de l’hôpital de la ville, du siège de la daïra et des constructions voisines, tous perchés au sommet de l’abrupt escarpement, menaçait à terme.

En effet, constituée de grès, roche poreuse et friable par nature, la falaise a été également fragilisée en raison d’un agressif ruissellement des eaux pluviales ainsi que d’une vigoureuse érosion éolienne s’exerçant sur ses parois. Depuis, une étude a été finalisée et des travaux de sécurisation ont été effectués. Ils sont présentement complétés par l’embellissement du nouveau front de mer dont les contours se dessinent pour raviver les charmes de «Béni Saf ezzine» comme l’attestait avec appétence Rimitti dans une de ses fameuses goualantes datant d’avant l’indépendance nationale.

Jean Sénac, l’enfant de la poudrière de l’Émir

Pour l’anecdote, elle y flétrissait Ghar el baroud, quartier alors loin, hors des murs de la ville, où les troubadours pouvaient y passer la nuit, mais à leurs risques et périls, l’insécurité y était maîtresse. C’est que cet ancien site de la poudrière de l’Emir Abdelkader, devenu plus tard un misérable abri pour tous les déclassés par le système colonial, certains des individus déclarés sans aveu. C’était un lumpenprolétariat dont est issu le poète et patriote Yahia el Ouahrani, alias Jean Sénac. Là, il n’y avait pas de bâti qui rappelle les humbles, mais coquets corons qu’occupaient plus bas les «gueules rouges», les mineurs aux figures rougies par l’hématite au sortir des entrailles de la terre.

De tout ce passé, la ville en témoigne encore, car pour quiconque y débarque, découvre un musée à ciel ouvert. Vers où que son regard se porte, le passé s’offre à lui, omniprésent à travers les vestiges urbanistiques et industriels. Cela est que d’aucuns ne peuvent s’empêcher de regretter que le projet global de réaménagement actuel de la façade balnéaire ait omis, à l’instar de précédents aménagements d’intégrer et de valoriser les empreintes chargées de mémoire et d’histoire.

Comme actuellement pour ceux de la crique de Sidi Boucif. En effet, là, à différentes hauteurs du bas de la falaise, semblablement à des notes de musique sur une partition, il s’égrène exquisément les portes d’un ancien habitat troglodyte, des cavernes occupées par les premiers habitants européens de ce qui deviendra Béni Saf. Il n’y a d’ailleurs pas si longtemps, ces ouvertures étaient encore reliées par des sentiers serpentant joliment entre elles. Les mémorialistes rapportent que lorsque le colonisateur prit pied dans la région, il existait quatre petits centres de vie sur les collines alentours. Les autochtones de la tribu des Oulhaça y vivaient sous tente, pâturant au milieu de terres de parcours, se livrant ainsi à une économie reposant sur l’élevage extensif de moutons et de chèvres, un cheptel qu’attaquaient parfois des hyènes et des… panthères, dont la dernière ayant été abattue en 1880.

L’église troglodyte avant la patronne des mineurs

Mais bien avant l’accaparement des lieux par la colonisation et les dépossessions des Oulhaça pour fait de résistance, dix années après 1850, suite à l’occupation d’un poste avancé par des soldats français sur l'ile de Rachgoun, des Espagnols qui venaient pêcher dans ses poissonneux parages, prennent place. Un certain Miguel, ancien mineur, avait reconnu l’affleurement d’un filon de minerai de fer sur l’une des falaises. Il engagea des compagnons pour extraire le minerai et le livrer par barcasses à des voiliers transporteurs vers l’Espagne. C’est ainsi que les cavernes de Sidi Boucif hébergèrent ces nouveaux venus.

L’afflux d’autres immigrés ibériques, tous fervents catholiques, fait que la messe était célébrée dans une des grottes demeurée vide. Le rituel s’y est poursuivi jusqu’à la fondation en 1881 de l’église Sainte Barbe, du nom de la patronne des mineurs. Entre-temps, une puissante compagnie minière avait obtenu la concession sur la totalité des gisements et a donné naissance à un centre de population en 1874, noyau d’une future agglomération, la seule de la région à n’avoir pas été dédiée à la colonisation agraire.

Béni Saf deviendra ainsi également une ville de pêcheurs aussitôt que la construction d’un port de commerce est achevée en 1881 en vue de l’exportation du minerai. L’activité halieutique y est si florissante qu’en 1955, il est rapporté que si dans l'Algérois et l'Oranais, un certain nombre de ports ont de six à treize chalutiers, tous sont surclassés par Béni Saf qui possède la moitié des chalutiers de toute l'Oranie. Cela n’est pas expliqué par l'importance ni par les qualités de son port, d’ailleurs jugé trop petit, mal protégé et construit plutôt pour l'exportation des minerais, mais en raison de la proximité d’une zone maritime, dite plateforme continentale, cruciale pour la biodiversité marine, ses eaux étant peu profondes sont ensoleillées et inondées de nutriments qui favorisent une vie marine abondante et donc de meilleures captures de poissons qu’ailleurs. A cela il s’ajoutait, indiquent des sources de l’époque, l'esprit d'entreprise dont faisaient preuve les pêcheurs tous d’origine espagnole.

Naissance d’une plage

Et c’est grâce à son infrastructure portuaire que la ville deviendra en outre une prisée station balnéaire. En effet, le courant marin qui charriait les alluvions de l’estuaire de la Tafna, situé à une dizaine de kilomètres, à l’ouest, est freiné par la jetée ouest du port nouvellement construit. Ils sont détournés par l’incessant flux marin au pied de la vertigineuse falaise de Sidi Brik. Du coup, l’endroit, continûment engraissé, va constituer le terrain d’assiette du quartier de la plage du Puits ainsi que cette dernière.

Ainsi, grâce à l’afflux de touristes, il y fleurit un commerce en tous genres, épiceries, boulangerie, mais surtout des cafés, des crémeries et une multitude de restaurants servant le poisson du jour dont la fameuse sardine de Béni Saf. Mais faute d’une évacuation des eaux usées vers le port, celles-ci sont recueillies par des fosses septiques qui les assainissaient.

Sauf qu’avec les décennies, les quantités sont devenues supérieures à leur capacité. Car toutes les habitations vides le reste de l’année sont occupées en surnombre par des estivants qui les louent, d’une part. D’autre part, la masse des estivants qui viennent dans la journée est si considérable alors que les hôtels et les commerces sont également d’excessifs consommateurs d’eau, période estivale oblige. Du coup, les fosses débordent avec tous les risques de contamination de maladies à transmission hydrique.

Pis encore, l'Office national de l'assainissement n’est pas en mesure de juguler la situation sachant que pour un réseau d’évacuation de 1317 km, il ne disposait que de trois camions d'aspiration des eaux usées, des véhicules fatigués par plus de 20 ans d'âge. Des stations de relevage devraient évacuer ces eaux en direction du lieu d’implantation de la STEP et de là, d’autres stations devraient à leur tour les recueillir et les remonter vers elle. En conséquence, 2027 devait être une année à marquer d’une pierre blanche par les Béni-Safiens. Et doublement puisque la plage de Sidi Boucif qui a failli disparaître, ce que peu de gens savaient, ne l’aura pas été. En effet, c’est en ses lieux et place que devait primitivement être érigée la STEP. Son exiguïté imposait de faramineux coûts de réalisation en raison des contraintes géotechniques du terrain d'assiette.

 

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