Après sa diffusion en exclusivité sur la plateforme de streaming, VOD ( video on demand), la première du genre en Algérie, en 2021, le série Babor Elouh du réalisateur tunisien Nasreddine Shili, repasse sur Echorouk TV, durant le mois de Ramadhan, au grand bonheur des téléspectateurs qui avaient quelque peu été pénalisés par l’effet Netflix. Et Babor Elouh est un succès, ce n’est pas du «réchauffé».
Sa «redif», sa rediffusion, n’est pas quelque chose de ressassé, de répété ou sériné. Babor Elouh est un feuilleton à succès dans la même veine qu’Ouled El Hallal qui avait marqué les esprits des téléspectateurs durant le Ramadhan 2019. Babor Elouh est une série bien faite, conçue et réalisée par le Tunisien - adopté en Algérie depuis - Nasreddine Shili. Surtout un feuilleton poignant. Car dramatique. Son titre Babor Elouh (l’embarcation de bois) est une allégorie du départ. Celui des harraga.
Ces migrants optant pour un départ, une fuite en avant, une évasion marine. D’ailleurs, la série est introduite par un hommage : «Ce travail est dédié à toutes les âmes de la jeunesse algérienne qui ont pris les embarcation de la mort, croyant que c’est leur salut. Alors, les vagues des mers les a happés et les a jetés très loin. Babor Elouh ce ne sont uniquement que leurs sourires et leurs larmes, leurs réussites et leurs échecs. A eux et à leurs familles, nous offrons ce travail… qui est une fiction et tous les personnages sont fictifs».
Depuis le premier épisode de Babor Elouh, son auteur, Nasreddine Shili installe cette atmosphère précaire, altérable et urgente sous l’excellente direction musicale du grand compositeur, arrangeur et producteur Safy Boutella.
Générosité et fraternité des citoyens lambda
Une fiction écrite commune, entre Abdelkader Djeriou et Naserddine Shili. Réunissant un casting étoffé où figurent Abdelkader Djeriou, Mustapha Laâribi, Aziz Boukrouni, Yasmine Amari, Samia Meziane, Mohamed Khassani, Ahmed Medah, Souhila Maâlem, Nacer Soudani, Tarek Bouaâraâr, Samir Bouaânani ou encore l’apparition de Numidia Lezoul. Et tout ce beau monde se retrouve embarqué dans une même gondole, la même galère, dans une bourgade côtière d’Arzew, à l’ouest de l’Algérie. Un «radeau de la Méduse» prêt à un départ immédiat. Une fuite physique, réelle, la harga. Une fuite immobile, celle des actes manqués de la vie.
C’est l’histoire de losers, des perdants mais ayant un espoir. Celui des petites gens, simples. Hasni (Abdelkader Djeriou) - crevant le petit écran, méritant de percer le grand écran, les cinéastes devraient le mettre à contribution, nous avons-là affaire à un génial acteur - un gars anodin, un citoyen lambda, vivant d’expédients, représentant la débrouillardise algérienne juvénile, un sorte de grand frère, un confident, un voisin, un conseiller et conseilleur, un bon samaritain ayant le cœur sur la main. C’est un généreux, il est brave, il a le code d’honneur. Il ne touche pas à la drogue, il veut être «clean».
Lui qui dissuadait les jeunes à tourner le dos à leur pays natal, se retrouve, au gré de vicissitudes de la vie-son foyer conjugal bat de l’aile, sa fille est atteinte d’un cancer - à faire des choses contraires à sa philosophie de la vie. Il devient…passeur, un vulgaire «harrag».
On le surnomme «l’amiral». Il est toujours à la recherche d’un bon moteur pour ses embarcations. Il veut opérer en «gofast» (embarcation puissante et très rapide) pour réunir la somme nécessaire pour payer l’intervention chirurgicale de sa fille en France. Il a besoin de… 90 000 euros. Certes, Hasni est le maître à bord mais l’est-il pour son destin ?
Déception et espoirs
Nasro (Muastapha Laâribi), un chauffeur de taxi qui a raté sa vocation. Il voulait devenir chanteur de raï. Un ex-taulard (campé par Aziz Boukrouni) qui recherche une rédemption. Une teenager forcée à épouser un gars âgé qui pourrait être son père. Un boxeur (Rabah Abdelkrim), un vrai champion, est écarté injustement de l’équipe nationale. Eviction ou racisme. Son rêve est brisé.
Il s’immole. Il voulait prendre la mer. Sa mort tragique ébranle tout le quartier. C’est un proche qui s’est donné la mort avec tant de détresse. Un amoureux transi, Clay, ami intime de Hasni (Nacer Soudani) qui voudrait simplement demander la main de la femme dont il est épris. Impossible.
Un flic (Ahmed Medah), humain, objecteur de consciences, enquêtant sur le phénomène en hausse des harraga. Il cherche et recherche avec hargne la relation de cause à effet de ce départ massif des jeunes. Une épouse (Samia Meziane) trompée et délaissée, qui ne trouve la paix de son ménage et qui voit l’avenir de sa fille brisé par un mariage contraint, imposé et calculé. La femme de Hasni (Yasmine Amari dont c’est le grand rôle) lui lâchera : «Si tu as raté ta vie, moi la mienne, non. Je ne la raterai pas.» Chaque âme a une raison pour fuir.
Mais il y a toujours cette voix, cette lueur d’espoir qui irradie cette ambiance de fatalité à destination, il faut le rappeler, suicidaire. Dissuadant un jeune décidé à quitter le pays à n’importe quel prix, Hasni eût cette sentence : «Ne tombe pas, tiens bon, relève-toi.».
Une discussion d’homme à homme d’honneur. Pour revenir à Nasreddine Shili, le réalisateur de Babor Elouh, il est aussi acteur, producteur, scénariste et militant des droits humains. Comédien, il a interprété plusieurs rôles au Théâtre national tunisien, à la télévision (feuilletons comme Le Risque) ainsi qu’au cinéma.
Tels les films Le Prince de Mohamed Zran ou La Tendresse du loup de Jilani Saadi. Il a réalisé Boutelis (2008, court métrage), Chak Wak/Chak Wak film hallal (2010, court métrage), Suçon (2013, long métrage fiction), Subutex / Tranche de vie (2018, long métrage documentaire). Il crée, avec Mohamed Bani, une société de production audiovisuelle et théâtrale, Dionysos Production, en 2008. Et en 2014, l’Université Populaire Mohamed Ali Hammi.
Saison II, une suite de Babo Elouh ?
A propos de la diffusion de Babor Elouh sur Echorouk TV, mardi denier l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) avait convoqué la directrice de la chaîne Echorouk TV suite à des plaintes reçues concernant «des dépassements attentatoires à la sacralité du mois de Ramadhan» dans le contenu de certains épisodes du feuilleton Babour Ellouh diffusé par cette chaîne.
«La directrice de la chaîne Echorouk TV a fourni des explications niant la diffusion par la chaîne de ces scènes», affirmant qu’il s’agissait de «calomnie et d’informations montées de toutes pièces, car le feuilleton en question a été diffusée l’année dernière sur d’autres plateformes en entière sans censure, ce qui a permis à certains de publier des scènes contraires aux principes et valeurs de la société algérienne sur les réseaux sociaux, puis les attribuer à la chaîne Echorouk, qui a uniquement le droit de diffusion télévisée de ce feuilleton».
Selon l’APS. Mais quoi qu’on dise, Babor Elouh, est un produit de haute facture qui traite d’un sujet dramatique actuel, les harragas, mais avec un regard fraternel, généreux et surtout humain. Avec cet accent oranais spontané et chaleureux. Sans langue de bois, un parler algérien, celui des petites gens qui, en fait, sont grandes à travers leur joies de vivre, leur peines et espoirs. Babor Elouh est présenté comme saison I. Donc, il y aura une suite… dans les idées. Le navire Babor Elouh, ne sombre pas. Il sera de retour (définitif) au bled.