- Dans son entretien à El Watan, le sismotectonicien précise que le Maroc est un pays sismique et subit les mêmes contraintes tectoniques que le nord de l’Algérie. «Les contraintes tectoniques s’appliquent sur l’ensemble de cette région dite atlasique qui vont réagir selon le contexte morphologique et géologique», relève-t-il.
Le tremblement de terre ayant fortement frappé la région de Marrakech, dans la nuit de vendredi à samedi, a surpris les sismologues par son intensité et sa localisation. Pourquoi ?
Contrairement à ce que vous avancez, personnellement et en tant que sismotectonicien, je n’ai guère été surpris par l’occurrence de ce séisme. Je pense que les autres sismotectoniciens et sismologues, spécialistes des régions maghrébines, sont du même avis. Il faut savoir que le Maroc, l’Algérie et la Tunisie appartiennent au même contexte sismotectonique, à savoir le rapprochement progressif des plaques eurasienne et africaine avec une vitesse variable de 1 à 2 cm /an.
Parfois, localement, ce déplacement instantané peut atteindre 1 m environ en quelques secondes lors de séismes violents (M>6). Bien que la limite des plaques eurasienne et africaine soit située plus au nord vers le Rif et l’Alboran, son impact n’est pas négligeable au vu des hauts reliefs que forme la chaîne montagneuse du Haut Atlas.
Ce rapprochement tectonique, avec des contraintes en compression orientées NW-SE à NNW-SSE, a débuté il y a environ 6 millions d’années et continue depuis par des manifestations sismiques, parfois violentes au niveau de failles actives orientées NE-SW d’où se dégage l’énergie accumulée et l’accident sud-atlasique (faille majeure) n’en est qu’une conséquence.
Les sismotectoniciens et sismologues savaient que le Djebel Toubkal, le plus haut sommet maghrébin culminant à 4167 m, est associé à cette faille qui est une large bande tectonique formant un réseau de failles actives orientées NE-SW à NNW-SSE. Cet accident est connu par les géologiques. Il part d’Agadir à l’ouest passe par Figuig et s’atténue vers l’est pour former la «flexure sud atlasique» en Algérie. Il représente la limite entre la plateforme africaine stable et la chaîne atlasique plus déformable.
Le séisme d’Agadir du 29 février 1960 (M=5.7) ayant fait environ 12 000 victimes a été localisé au niveau de la partie occidentale de ce même accident sud atlasique. Enfin, il faut savoir que le réseau sismologique marocain suit de près toute l’activité sismique du pays. Par exemple : rien que pour le mois d’avril 2023, de nombreux séismes modérés (M<5) auraient été enregistrés au niveau de cette zone et au niveau de la zone d’Alboran vers le détroit de Gibraltar.
- Nos voisins de l’Ouest ont connu de forts séismes dans le passé. Pouvez-vous nous donner un aperçu sur l’activité sismique dans ce pays ?
Comme je l’avais spécifié dans mes différentes interventions, le temps géologique n’est pas le temps humain. Le temps des archives humaines (moins de 6000 ans) ne représente en rien la vie d’une faille active qui est comptée en millions d’années. Dans certains pays, quand les archives humaines existent, la sismicité historique n’est qu’une toute petite fenêtre temporelle par rapport à l’âge de la faille active. Pour remonter l’histoire d’une faille, il faut décoder les traces que laissent les failles actives suite à une rupture de faille en surface.
Par exemple, à Chlef (El Asnam), le séisme du 10 octobre 1980 a causé une rupture du sol de 47 km environ, allant de Oued Fodda et passant par El Abadia. En 1985, nous avions réalisé des tranchées de paléosismologie afin de retrouver les anciennes cicatrices des séismes historiques (M>6) ayant affecté cette zone. Grâce aux techniques de datation au carbone 14, nous avions pu dater plusieurs séismes anciens (-3000 ans, -1350 ans, -450 ans).
Je pense que le séisme d’Al Haouz du 9 septembre 2023 présentera une rupture de failles et cette technique pourra être mise en œuvre au niveau des ruptures de failles afin de dater les paléoséismes associés à cette faille.
Toutefois, le catalogue marocain de sismicité historique montre que dans le passé, le Maroc a connu de nombreux séismes historiques, dont les plus importants sont cités dans les archives, sans pour autant en donner le détail. Par exemple, les régions suivantes ont connu des séismes majeurs :
- Fès en 1522, 1624 et 1755.
- Agadir en 1731, 1761 et 1960.
- Marrakech en 1719 et 1755.
- Meknès en 1624 et 1755.
- Tanger en 1755 et 1773.
- Melilla en 1821 et 1848.
Il faut noter que tous ces séismes ont été ressentis dans ces villes mais leurs épicentres devaient être localisés dans les zones montagneuses environnantes.
Il aura fallu attendre les années 1904-1906 pour lancer les premières études scientifiques sur les séismes au Maroc.
Montessus de Ballore, un des premiers sismologues français, ayant travaillé également en Algérie, avait signalé que le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’Espagne étaient exposés aux séismes. Par la suite, le premier catalogue de sismicité historique n’a vu le jour qu’en 1934 et recense tous les séismes historiques connus avant 1932.
C’est vous dire que le Maroc est un pays sismique et subit les mêmes contraintes tectoniques que le nord de l’Algérie.
- Qu’en est-il des zones frontalières algéro-marocaines ? Ont-elles été secouées ? Sont-elles sujettes à des séismes ?
Il faut souligner que la tectonique ne reconnaît pas les limites administratives entre les pays ou entre les wilayas. Parler de l’impact des séismes marocains au niveau de cette frontière longue de près de 1600 km serait pour nous, sismotectoniciens, une aberration. Par contre, nous pouvons dire que la faille sud-atlasique, qui est à l’origine du séisme du 8 septembre 2023, est en fait une large zone faillée, se prolongeant vers l’Est, c’est-à-dire vers la première ville frontalière algérienne de Beni Ouenif.
Cette structure faillée se transforme en flexure sud-atlasique délimitant l’ensemble atlasique de la plateforme saharienne. L’activité sismique et tectonique s’atténue de façon évidente dans cette région au vu de la configuration des reliefs et de la très faible, voire inexistante activité sismique de cette région.
Par contre, la région située plus au nord, vers Marsa Ben M’hidi, est tectoniquement affectée par une zone géologique offshore très complexe pouvant à la fois affecter le nord du Maroc et le Nord-Ouest algérien.
D’ailleurs, l’activité sismique, recensée dans la région de Tanger, d’El Hoceima et de Mellila est associée à cette grande faille active offshore.
- Toujours dans la zone maghrébine, la Tunisie serait-elle moins touchée par les forts séismes ?
Il n’y a pas d’exception tunisienne. La Tunisie autant que l’Algérie et le Maroc font partie de cette importante limite des plaques eurasienne et africaine. Les contraintes tectoniques s’appliquent sur l’ensemble de cette région dite Atlasique qui vont réagir selon le contexte morphologique et géologique. Voici quelques événements sismiques historiques qui prouvent que la Tunisie n’échappe pas à la règle. L’un des plus anciens séismes connus dans l’histoire de la Tunisie est le séisme de Tunis, qui a affecté cette ville en l’an 857 après J.-C.
L’intensité de ce tremblement de terre a été estimée à I0=VIII. La ville a subi des dégâts considérables et des milliers de victimes, 50 000 environs ont été ensevelies sous les déblais des bâtiments détruits. La ville de Kairaouan plus au Sud a été affectée par un séisme d’intensité I0=X en l’an 854 après J.-C. Un autre séisme aussi destructeur d’intensité I0=X a provoqué la ruine totale de la ville historique d’Utique située au nord de la Tunisie.
Près de Monastir, une faille active en décrochement a traversé le sol d’une ruine romaine datée de l’an 200 après J.-C. et a fait cisailler cette mosaïque du sol de près d’un mètre environ.
Tout récemment, le 1er décembre 1970, la ville de Tunis a été secouée par un séisme de magnitude 5,6 sans faire de victimes. Les effets secondaires sur le sol de ce séisme ont été localisés dans la zone épicentrale à environ 35 km à l’ouest de Tunis. Dans ce secteur, des fissures ouvertes et des phénomènes de liquéfaction du sol ont été observés
Le 12 décembre 1970, un autre séisme de magnitude 5,7 a affecté la région de Sidi Thabet, à 20 km environ au NW de Tunis.
Le 9 avril 1979, un autre séisme de magnitude 5,1 a affecté la région de Ghar El Melh située à environ 70 km au nord de Tunis. Ce séisme n’a pas fait de victimes, mais a causé des dégâts matériels. Une fissure d’une trentaine de mètres de direction voisine d’E-W a été repérée par les pêcheurs du vieux port turc de Ghar El Melh sur le quai du port. Cette fissure a affecté les pavements du quai, faits de blocs de gré noyés dans un ciment de chaux.
Enfin pour conclure, pour la seule période de cette année 2023, la Tunisie a été frappée par 10 tremblements de terre, dont le plus puissant a eu pour magnitude M=5,1.