En dépit de la mobilisation d’une partie des syndicats autonomes, rejoints par l’Ugta, contre le projet de loi sur l’exercice syndical, rejeté dans la forme et dans le fond et jugé attentatoire aux libertés syndicales garanties par la Constitution, le texte a été adopté hier par l’Assemblée populaire nationale après un débat en plénière de deux jours. Les syndicats opposés au projet de loi de l’Exécutif ont défendu l’idée de l’ouverture totale du champ de l’exercice syndical, indépendamment du critère de la représentativité, un principe fondamental que le gouvernement a introduit dans le nouvel arsenal juridique pour assainir le paysage syndical dominé par une pléthore de syndicats, dont beaucoup se résumant à des coquilles vides, ne disposant d’aucune base syndicale.
Les nouveaux critères de représentation syndicale, de l’alternance à la tête des organisations syndicales à travers la limitation des «mandats», de transparence dans les déclarations des travailleurs syndiqués, via une plateforme numérique qui devra mettre un terme aux fausses déclarations, se traduiront, fatalement, par un écrémage de la cartographie syndicale. De nombreux syndicats à l’existence fantomatique sont appelés à disparaître des radars, s’ils ne parviennent pas à se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions de la loi syndicale. Laquelle exhorte, par ailleurs, les syndicats à s’agglomérer dans de grandes confédérations, publiques et privées, par secteurs et filières pour dynamiser l’action syndicale et lutter contre l’atomisation du champ syndical. Pour les syndicats qui sont montés au créneau, allant jusqu’à appeler à une grève générale d’une journée, pour faire pression sur le gouvernement et obtenir un toilettage de fond des dispositions de la loi controversée, voire son rejet, via un renvoi à une seconde lecture, en comptant sur l’intermédiation du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, c’est peine perdue. Il y avait, pourtant, dans l’air, des signaux clairs excluant tout compromis ou rédropédallage de la part du gouvernement par rapport aux principes fondamentaux contenus dans la loi.
La démission du désormais ex-secrétaire général de l’Union générale des travailleurs (Ugta), Salim Labatcha, «pour des raisons de santé et familiale», selon un communiqué de la Centrale syndicale, ne laissait place à aucun doute quant à l’aboutissement du projet de loi. L’ancien patron de l’Ugta a certainement payé pour avoir entraîné le syndicat dans un combat, en ralliant le mouvement de contestation de la loi syndicale aux côtés des syndicats autonomes. Une première pour ce syndicat qui n’a pas pour habitude de faire dans l’opposition par rapport aux institutions de l’Etat. L’Ugta, qui a le plus à perdre des amendements introduits par la nouvelle loi syndicale, s’est carrément tirée une balle dans le pied et a précipité sa disgrâce en prenant le risque de prendre le large en nageant dans des eaux qui ne sont pas historiquement les siennes. Il reste à savoir si la responsabilité est individuelle, autrement dit si elle s’arrête au niveau du secrétaire général déchu, ou bien collective, avec des ramifications externes au syndicat. Le repositionnement de l’Ugta à l’épreuve de ce projet de loi n’a pas encore livré ses secrets. Avec la nouvelle loi, la centrale syndicale, en plus de perdre son hégémonie forgée grâce à son statut de syndicat organique qu’elle a préservée, même après la consécration du pluralisme syndical, est désormais sommée de gagner ses galons à la sueur de son front, en se soumettant à la compétition du paysage syndical pluriel avec cet handicap majeur : le lourd héritage du passé. Par ailleurs, après le vote du projet de loi, quelle attitude les syndicats ayant appelé au rejet du texte de loi adopteront-ils ?