A la faveur de la tenue du 23e Festival européen -qui s’est déroulé, dernièrement, au Théâtre national d’Alger- a eu lieu un concert de jazz intitulé Traveller interprétée par Artur Dutkiewicz Trio avec Artur Dutkiewicz au piano, Michał Barański à la contrebasse et Sebastian Kuchczyński à la percussion. Dans cet entretien, le musicien Artur Dutkiew, réputé pour son jeu élégant et inventif, revient sur cette participation en Algérie, tout en n’omettant pas de donner son appréciation.
Propos recueillis par Nacima Chabani
-Comment avez-vous trouvé le public algérois lors de votre prestation sur les planches du mythique Théâtre national algérien ?
Le public algérien était enthousiaste et chaleureux à la fois, réagissant spontanément à notre musique, ce qui nous a encouragés à jouer de manière encore plus expressive. Nous tenons à remercier chaleureusement l’équipe du Festival européen qui a été extrêmement prévenante et amicale pour nous ; ce fut un énorme plaisir de travailler avec eux. Il faut dire qu’Alger nous a fait une impression incroyable avec sa belle architecture et sa verdure. Les habitants sont paisibles et sympathiques. Un grand merci pour votre hospitalité !
-Vous avez animé, lors du festival européen de la musique, un concert de jazz baptisé Travelle. Pourriez-vous revenir sur le concept de ce projet ?
Nous avons joué quelques morceaux de notre dernier album Comets Sing», qui parle du fait que tout change et que ce qui est le plus certain dans la vie, c’est le changement. Le symbole en est la comète, qui est l’expression de la beauté qui apparaît et disparaît rapidement. La chanson And that was so est composée de plusieurs parties différentes, qui sont des humeurs complémentaires. Je l’ai comparée à une rivière dans laquelle coulent de l’eau claire et de l’eau trouble, mais la rivière ne regarde pas en arrière, elle va toujours en avance.
Dans le cadre du projet «Prana», qui signifie «énergie» dans la plus ancienne langue du monde, le sanskrit, nous avons interprété la mélodie Om nahmo bagawate. Il s’agit d’un salut à la puissance globale qui est en nous et qui embrasse l’univers tout entier. En voyageant à travers le monde avec des concerts, je découvre différentes cultures dont l’expression est la musique et je m’en inspire. La musique relie. Elle est universelle. L’album Traveller est un voyage vers l’extérieur, mais aussi vers l’intérieur. Et le voyage le plus long est celui de la vie, de la tête au cœur. Addis, que nous avons interprétée en finale du concert et dans laquelle le percussionniste a utilisé la darbouka, est un écho du voyage à travers l’Afrique.
-Vous vous plaisez à jouer du jazz moderne en combinant parfaitement d’autres styles musicaux à l’image de la musique classique ou encore de la folk polonaise ?
La musique classique est notre éducation de base. A l’école, nous avons appris la beauté et la noblesse des œuvres de Chopin, Bach, Beethoven, Mozart. Nous avons appris à construire des mélodies, des œuvres. La musique folklorique polonaise, quant à elle, est inscrite dans mes gènes. Mon grand-père était un musicien folklorique, il jouait du violon. Les compositeurs polonais F. Chopin et K. Szymanowski représentent pour moi l’idéal de l’utilisation de la musique folklorique et de la présentation de ses éléments dans une forme d’expression artistique.
C’est pourquoi, j’ai écrit plus de 30 mazurkas pour piano. Dans le trio, nous jouons certaines d’entre elles, comme la Mazurka du matin («Sunny Mazurka»), que nous avons interprétée à Alger. De même, le début du concert au piano est une paraphrase de l’air folklorique Jasio poised horses. Comme l’improvisation est ce qui me tient le plus à cœur depuis que j’ai commencé à apprendre la musique, le jazz est la forme idéale pour mettre en pratique ce que j’ai appris.
-Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans la musique ? Faire de l’improvisation, être dans un ensemble ?
Ce qui m’intéresse, c’est d’intégrer des mélodies romantiques dans des rythmes américains ou africains et de combiner l’esprit polonais avec la part universelle de la musique du monde. Pour reprendre les mots du pianiste de jazz Dave Brubeck, «le jazz d’aujourd’hui est probablement la seule forme d’art dans laquelle il existe une liberté individuelle sans perdre le sens de la communauté».
-Que vous apporte la musique au quotidien ?
La musique est un outil qui permet de plonger au plus profond de soi. En plongeant, on trouve un trésor et on le partage avec ceux qui nous écoutent. La musique est une qualité de sentiment qui se situe au-delà des sons et qui s’exprime à travers les sons. La musique est une fenêtre sur l’infini : elle soulage le stress et permet d’être une meilleure personne.
-Des projets pour le futur ?
Nous partons en tournée à l’automne avec le projet «Nowosielski Audiovisual Mysterium». Il s’agit de musique contemplative combinée à des projections de tableaux de l’éminent peintre polonais Jerzy Nowosielski.