Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal Ben Farhane, était en visite hier en Iran, rapporte l’AFP. Visite qui a pour objectif de renforcer la réconciliation engagée ces derniers mois entre Téhéran et Riyad après sept ans de rupture.
A cette occasion, les deux pays ont exprimé leur souhait que ce «retour à des relations normales ait un effet positif pour la région, le monde islamique et le monde entier», selon le prince Fayçal Ben Farhane. Le ministre saoudien a mis l’accent sur le fait que les relations bilatérales sont désormais «basées sur le respect total pour l’indépendance, la souveraineté et la non-ingérence dans les affaires intérieures».
La coopération entre Riyad et Téhéran est importante pour «la sécurité régionale, en particulier celle de la navigation maritime», a-t-il observé.
«La sécurité régionale sera assurée uniquement par les acteurs régionaux», a indiqué de son côté le chef de la diplomatie iranienne Amir Abdolahian, allusion au souhait de Téhéran de mettre fin à la présence militaire américaine dans la région. Washington a annoncé en mai le renforcement de cette présence en raison de la multiplication des incidents dans les eaux du Golfe, notamment la saisie de pétroliers par les forces iraniennes.
Après un entretien avec son homologue iranien, le chef de la diplomatie saoudienne devait rencontrer le président iranien, Ebrahim Raïssi, à qui il compte remettre une invitation du roi Salmane à se rendre prochainement en Arabie Saoudite.
L’Iran a rouvert le 6 juin son ambassade à Riyad et nommé comme ambassadeur le diplomate Alireza Enayati, jusqu’alors vice-ministre des Affaires étrangères. La réouverture de l’ambassade saoudienne à Téhéran a pris néanmoins du retard en raison du mauvais état du bâtiment, qui a été endommagé par les manifestants en 2016. Elle sera de nouveau opérationnelle «bientôt», a indiqué, lors d’une conférence de presse, le prince Fayçal Ben Farhane sans avancer de date.
La réconciliation entre ces deux pays du Moyen-Orient a été scellée dans le cadre d’un accord conclu le 10 mars par l’entremise de la Chine. La monarchie du Golfe a rompu ses relations avec la République islamique en 2016, après l’attaque de missions diplomatiques saoudiennes par des manifestants iraniens, qui protestaient contre l’exécution par Riyad d’un influent religieux chiite. Endommagée à cette occasion, l’ambassade à Téhéran a encore besoin d’être rénovée avant d’accueillir l’équipe diplomatique qui, en attendant, travaillera dans un hôtel luxueux de la ville, selon des médias.
Ces dernières années, les deux pays se sont opposés sur les dossiers régionaux, soutenant parfois des camps rivaux comme en Syrie, au Liban ou au Yémen.
Depuis le dégel amorcé en mars, l’Arabie Saoudite a renoué avec la Syrie, alliée de Téhéran, et a intensifié ses efforts de paix au Yémen, où elle dirige une coalition militaire appuyant le gouvernement yéménite depuis 2015 contre les rebelles houthis, proches de l’Iran. Parallèlement, l’Iran a engagé un processus de normalisation avec les autres pays arabes avec lesquels il est en froid. Il devrait ainsi renouer avec Bahreïn et l’Egypte. Aussi, l’Iran mène des pourparlers indirects avec les Etats-Unis, par l’intermédiaire d’Oman, sur le dossier du programme nucléaire iranien, entre autres. Comme il est engagé dans des discussions avec les pays européens, notamment la France dont le président, Emmanuel Macron, s’est entretenu hier avec son homologue iranien, Ebrahim Raïssi.
Plus de 40 ans de frictions
Depuis la Révolution islamique de 1979 en Iran, les relations entre Téhéran et Riyad sont marquées par des frictions. En1980, l’Irak de Saddam Hussein déclenche une guerre contre l’Iran, qui durera huit ans. Riyad va soutenir financièrement Baghdad. En juillet 1987, les forces de l’ordre saoudiennes répriment à La Mecque une manifestation interdite de pèlerins iraniens. Les affrontements font plus de 400 morts, en majorité iraniens. Les ambassades saoudienne et koweïtienne à Téhéran sont mises à sac. Et en 1988, Riyad rompt ses relations avec l’Iran, dont les pèlerins seront absents du pèlerinage de La Mecque jusqu’en 1991.
La situation s’apaise en 1997 après l’élection du président Mohammad Khatami, puis sa visite en 1999 en Arabie Saoudite. Mais l’invasion américaine de l’Irak en 2003 ravive la tension en faisant basculer Baghdad dans la sphère d’influence de l’Iran avec l’accession des chiites au pouvoir. De leur côté, Riyad et ses alliés ont renoué avec les autorités irakiennes, pour tenter qu’elles se distancient de l’Iran.
En mars 2007, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad s’entretient à Riyad avec le roi Abdallah, qu’il a déjà rencontré en marge d’un sommet islamique à La Mecque en décembre 2005. Mais la tension persiste entre les deux pays, liée aussi au programme nucléaire de Téhéran. En mars 2011, Riyad envoie un millier de soldats à Bahreïn réprimer la contestation essentiellement chiite, accusant l’Iran d’inspirer ces troubles.
En octobre, les Etats-Unis dénoncent un complot iranien pour assassiner l’ambassadeur saoudien à Washington, Abdel Al Jubeir, proche conseiller du roi Abdallah. Téhéran accuse les Américains de «chercher à créer une nouvelle crise artificielle». A partir de 2012, Téhéran et Riyad s’opposent également sur le conflit syrien. L’Iran, aidé du mouvement chiite libanais Hezbollah, est le principal soutien régional du régime de Bachar Al Assad à qui il fournit une aide militaire et financière.
L’Arabie est elle opposée au président syrien et appuie des groupes rebelles. En septembre 2015, l’Iran dénonce l’«incompétence» des autorités saoudiennes après une bousculade ayant coûté la vie à des centaines d’Iraniens au pèlerinage de La Mecque. En janvier 2016, l’Arabie Saoudite exécute 47 personnes condamnées pour «terrorisme», dont un dignitaire chiite. Le lendemain, Riyad rompt ses relations diplomatiques avec Téhéran après l’attaque de son ambassade en Iran. La veille, le grand mufti saoudien Abdel Aziz Ben Al Cheikh a déclaré que les Iraniens ne sont «pas des musulmans». Début mars, le Hezbollah, accusé de servir de tête de pont à l’Iran, est classé «terroriste» par les monarchies arabes du Golfe.
La veille, son chef Hassan Nasrallah a accusé l’Arabie Saoudite d’œuvrer pour une «sédition entre musulmans sunnites et chiites». En novembre 2017, c’est depuis Riyad que le Premier ministre libanais Saad Hariri annoncera sa démission, accusant le Hezbollah et son allié iranien de «mainmise» sur le Liban.
En juin 2017, l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Yémen et l’Egypte rompent leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ils accusent l’émirat de «soutenir le terrorisme», et de se rapprocher de l’Iran.