Avec le décès de Sadek Hadjeres disparaît une autre grande figure du combat démocratique algérien, sept années après la mort de Ait Ahmed et deux années après celle de Ali Yahia Abdennour. D’autres, un peu moins connus, hommes et femmes de lutte, nous ont quittés durant ces dernières décennies, tous laissant une empreinte indélébile dans l’histoire algérienne. Souvent leurs parcours et leurs idées sont peu connus pour diverses raisons, la plus marquante la volonté de leurs détracteurs ou de leurs opposants d’éviter qu’ils ne rayonnent auprès des populations. Lorsque leurs contempteurs étaient aux commandes de l’Etat – ou du parti unique selon les époques – ils interdisaient leurs ouvrages ou leurs interventions publiques, parfois les incarcéraient, voire les menaçaient de liquidation physique, comme ce fut le cas avec Sadek Hadjeres au temps des groupes terroristes intégristes. Son ami et compagnon d’armes Bachir Hadj Ali, autre grande figure militante, a été contraint à l’exil interne sous le règne de Boumediene, et cela fut le cas de nombreuses autres personnalités intellectuelles et politiques. Sa vie militante débute en 1948 au sein du Parti du peuple algérien (il est coauteur du document L’Algérie libre vivra) jusqu’à la création du PAGS qu’ il dirige après avoir rejoint l’Organisation de résistance populaire (ORP), créée par Mohamed Harbi et Hocine Zahouane, deux figures de l’aile gauche du FLN de Boumediene.
Les années 1970 et 1980 furent celles qui connurent le plus d’influence du PAGS, très présent au sein des organisations de masse du FLN avant l’introduction du fameux article 120 dans les statuts du parti FLN qui contraint toute personne exerçant des responsabilités dans une organisation de masse à rejoindre la formation partisane alors unique dans le pays. Dans la clandestinité, le PAGS décide en 1986 sa propre dissolution et Sadek Hadjerès s’installe en France où il entame une carrière de professeur associé et chercheur en géopolitique. Il publie plusieurs articles dans la revue Hérodote et dans la presse algérienne et internationale, ainsi que des livres sur l'évolution des mouvements algériens, à commencer par la crise du PPA de 1949.
Son travail fut relayé par Ali Yahia Abdennour, notamment sur la question de l’amazighité bridée et confisquée. Celui-ci se distingua également par une lutte incessante s’étalant sur plusieurs décennies pour la défense des Droits de l’homme. Ces parcours-là s’apparentent à l’itinéraire remarquable d'Ait Ahmed. Durant la guerre de Libération, il a été représentant à l’extérieur du FLN, arrêté en 1956 et interné jusqu’en 1962 dans les geôles françaises. En conflit avec Ben Bella, il fonde le FFS qui réclame le multipartisme politique. Ait Ahmed fut arrêté et condamné puis sorti de prison. LE FFS défend le projet démocratique y compris la laïcité. Dans sa pratique politique, il boycotte les élections lorsqu’il juge qu’elles ne sont pas libres et crédibles et dit œuvrer pour «une reconstruction d’un consensus national pour préserver l’unité nationale et l’intégrité du territoire. Si sa source d’inspiration principale est le combat de Ait Ahmed, sur le terrain, il est mis à l’épreuve de diverses contestations internes fragilisantes, en attendant un nouveau sursaut. Toujours dans le combat démocratique figure en bonne place le RCD créé en 1989 à partir du MCB. Said Sadi, un des membres fondateurs le plus en vue, avait à ses côtés Ferhat Mehenni, Mustapha Bacha, Mokrane Ait Larbi et Nordine Ait Hamouda qui eurent à diverger par la suite. Le parti se définit comme progressiste, social démocrate, avec une variante de laïcité. Il émergea surtout dans l’épreuve de la décennie 1990 par son programme et sa proximité militante avec les forces républicaines contre l’intégrisme et le terrorisme. Said Sadi obtient 1200 000 voix à la présidentielle de 1995. Il retire ses ministres du gouvernement Bouteflika en décembre 1999 afin de protester contre l’assassinat de 126 jeunes durant le Printemps noir. Après son retrait de la présidence du parti, il est remplacé en mars 2012 par Mohcine Belabbas, qui devra mener un incessant bras de fer avec les autorités politiques qui cherchaient à neutraliser le RCD, notamment après son boycott des législatives de 2021 et son soutien au hirak. Son combat est actuellement poursuivi par son successeur à la présidence du parti, Athmane Mazouz. Autre formation politique, le MDS inspiré par les idées de l'itinéraire de Sadek Hadjeres. Il a été créé en 1998 et dirigé par El Hachemi Cherif, autre grande figure militante de la gauche algérienne dont le projet politique prône la séparation du religieux et de la politique, la double rupture avec l’islamisme et le système rentier ainsi qu’une politique sociale égalitaire. Il eut à combattre avec acharnement l’islamisme armé de la décennie 1990 et le régime Bouteflika dont il dénonça particulièrement le côté antidémocratique et prédateur. Après sa mort, c’est Fethi Ghares qui lui succède avec comme exigence principale le départ du système politique dans le sillage des revendications du Hirak. Il eut à subir des poursuites judiciaires et des incarcérations. Brièvement résumée, la gauche algérienne n’a jamais été au pouvoir ni vu, à sa tête, un de ses authentiques représentants. Dès le lendemain de l’indépendance, elle a dû côtoyer et combattre parfois les autres doctrines nées dans le Mouvement national algérien : les nationalistes, islamistes et les libéraux. Par le fait de l’histoire, c’est surtout le nationalisme qui s’imposa avec diverses variantes dont une d’entre elles l’islamisme politique. Globalement, c’est dans un creuset nationaliste et islamiste qu’évolua l’Algérie depuis 1962 s’abreuvant par époques de modernisme au gré des rapports de force. Depuis les défuntes «chartes nationales» des premiers chefs d’Etat, aucun débat populaire accompagné d’une consultation électorale n’est venu trancher entre les différentes idées ou options en matière de projet de société. Les courants idéologiques divergent particulièrement sur les deux points noirs que sont le contenu de l’école et le statut de la femme, des questions prises en otage par le courant conservateur. Toutes les mobilisations démocratiques en faveur d’un enseignement expurgé des valeurs conservatrices ainsi que de l’égalité entre hommes et femmes n’ont pas abouti. Quant à la population, elle n’arrête pas, depuis l’indépendance, de subir les retombées des incessantes crises idéologiques et politiques du pays dont la plus traumatisante a été l’émergence mortifère du terrorisme véhiculée par le fondamentalisme. Elle est dans l’attente de solutions salvatrices, exprimées notamment en 2019 à travers le hirak.