Le président tunisien, Kaïs Saïed, a remplacé, hier, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qu’il a dissous il y a une semaine, par un autre organe «temporaire», rapporte l’AFP.
Comme il s’est donné le pouvoir de limoger des juges et de leur interdire de faire la grève. Quelques heures après la publication de cette décision, plus de 1000 manifestants se sont rassemblés dans le centre de Tunis pour protester contre les nouvelles mesures du président tunisien et exprimer leurs craintes quant à l’indépendance du système judiciaire.
Le décret, instituant un nouveau «Conseil supérieur temporaire de la magistrature», en partie nommé par le Président, lui donne également le pouvoir de révoquer «tout juge qui manque à ses devoirs professionnels». En outre, «il est interdit aux magistrats, tous grades confondus, de faire la grève ou de tenir toute action collective organisée qui pourrait perturber ou retarder le fonctionnement normal des tribunaux», selon le texte.
Ce nouveau décret «consolide les pouvoirs entre les mains du Président et met fin à un semblant d’indépendance judiciaire», a indiqué un peu plus tard la Commission internationale de juristes (CIJ) dans un communiqué. «Cela rappelle les jours noirs de la Tunisie, quand les juges étaient démis de leurs fonctions selon les caprices de l’Exécutif», a ajouté l’ONG.
Le chef de l’Etat s’est arrogé les pleins pouvoirs le 25 juillet, quand il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement. Mesures dénoncées comme un «coup d’Etat» par Ennahdha et d’autres opposants. Il a, depuis, nommé un gouvernement, mais prend ses décisions par décrets, officiellement à titre provisoire jusqu’à des élections législatives programmées pour décembre, après un référendum constitutionnel.
Le président Saïed a annoncé, dans la nuit du 5 au 6 février à travers une vidéo, la dissolution du CSM, qu’il accuse de partialité, de corruption et d’avoir notamment ralenti les enquêtes sur les assassinats de deux militants de gauche, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, respectivement le 6 février 2013 et le 25 juillet 2013.
Créé en 2016, le CSM est une instance indépendante chargée de nommer les juges. Il est composé de 45 magistrats, pour les deux tiers élus par le Parlement et qui désignent eux-mêmes le tiers restant. «Les postes et les nominations se vendent et se font selon les appartenances», a accusé K. Saïed, en affirmant que «certains magistrats ont pu recevoir» de grosses sommes d’argent en contrepartie.
Décision «nécessaire»
En réponse aux critiques, le chef de l’Etat a déclaré, lundi dernier, qu’il ne «s’ingérerait pas dans le travail de la justice» et avoir «recouru à cette dissolution seulement parce qu’elle était devenue nécessaire». Aussi, «je n’interviendrai dans aucune affaire ou nomination», a-t-il ajouté, affirmant que le CSM a été instrumentalisé par certains «à des fins personnelles ou politiques».
Le président Saïed a essuyé un flot de critiques dans son pays, mais aussi des Occidentaux après sa décision controversée de dissoudre le CSM.
Décision vue comme un recul de la démocratie dans ce pays de l’Afrique du Nord. Les Etats-Unis se sont dits lundi dernier «profondément préoccupés» par la décision du président tunisien. «Une justice indépendante est un élément crucial d’une démocratie efficace et transparente. Il est essentiel que le gouvernement de Tunisie tienne ses engagements à respecter l’indépendance de la justice conformément à la Constitution», a indiqué le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price.
«Les Etats-Unis réitèrent leur appel à un processus accéléré de la réforme politique en Tunisie» qui assurerait «le respect continu des droits humains», a-t-il souligné. Mardi, les ambassadeurs des pays membres du G7, à savoir les Etats-Unis, l’Allemagne, le Canada, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni, et l’Union européenne (UE), en Tunisie se sont dits, dans un communiqué conjoint, «profondément préoccupés» par cette mesure. «Une justice transparente, indépendante et efficace, ainsi que le respect du principe de séparation des pouvoirs, sont essentiels au bon fonctionnement d’une démocratie au service du peuple, fondée sur le respect de l’Etat de droit et des droits et libertés fondamentaux», ont ajouté les chefs de mission des ambassades d’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis, de France, d’Italie, du Japon, du Royaume-Uni, et de la délégation de l’UE.
A Genève, la Haute Commissaire de l’Organisation des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a déploré le même jour la dissolution du CSM, estimant que «c’est un grand pas dans la mauvaise direction».
De son côté, l’Association des magistrats tunisiens a dénoncé la dissolution du CSM comme «une violation flagrante de la séparation des pouvoirs dans un régime démocratique».