A Sunderland, dans le nord-est de l’Angleterre, un nouveau campus a récemment ouvert ses portes pour doper l’écosystème de l’«esport», les compétitions de jeux vidéo, où le Royaume-Uni s’estime à la traîne. Dans les salles de classe ronronnent, en enfilade, des ordinateurs surpuissants diffusant un halo bleuté futuriste, devant lesquels des étudiants concentrés pianotent et font glisser leur souris frénétiquement, sur des jeux tels que Valorant, Overwatch 2 ou Rocket League.
Il y a au Royaume-Uni «des talents incroyables, mais nous pourrions faire plus et nous sommes en retard» par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde, affirme Dave Martin, directeur des opérations de la fédération sectorielle British Esports. Le marché mondial de l’esport totalisait en 2022 1,8 milliard de dollars, une goutte d’eau dans un marché du jeu vidéo pesant plus de 237 milliards, mais il est en forte progression: il a triplé en cinq ans et devrait encore grossir de 50% d’ici 2026, selon un rapport publié en août dernier par le cabinet Nielsen et la société spécialisée Ex corp.
Au Royaume-Uni, le marché de l’esport totalisait en 2022 69 millions de dollars, loin derrière les géants du secteur que sont la Chine (594 millions de dollars) et les Etats-Unis (440 millions), selon la même source. Pour rattraper son retard, la fédération britannique investit environ 7 millions de livres (plus de 8 millions d’euros) dans le National Esports Performance Campus (NEPC), dont le but est d’«améliorer l’écosystème britannique des sports électroniques en partant de la base», poursuit M. Martin.
Plein essor
British Esports dispense déjà, dans des établissements d’enseignement du pays, une formation pour une gamme de métiers du secteur, notamment le marketing, la diffusion de compétitions, la gestion d’équipe, ainsi que le jeu professionnel proprement dit.
Il y a aussi «le côté sport», avec des psychologues et nutritionnistes, pour les joueurs qui doivent pouvoir tenir physiquement et mentalement pendant ces compétitions virtuelles, complète Tobias Bowery, responsable du programme Esports du Sunderland College.Au-delà des équipements de pointe «nous sommes dans un véritable environnement de travail» et l’espace est en outre partagé avec la fédération, ce qui donne l’occasion pour les élèves de croiser des joueurs professionnels, relève Tobias Bowery. L’esport est en plein essor au niveau mondial et il a été reconnu officiellement comme sport en 2017 par le Comité international olympique (CIO).
En septembre, le CIO avait annoncé la création d’une commission dédiée à ce secteur, afin de développer davantage les sports virtuels au sein du mouvement olympique.Si cela reste exceptionnel, les récompenses dépassent parfois celles de certains sports traditionnels: chacun des cinq membres de l’équipe qui a remporté «The International» en 2021, un tournoi phare organisé chaque année sur le jeu Dota 2, a ainsi empoché plus de 3,6 millions de dollars (3,3 millions d’euros).
Assez surréaliste
En comparaison, le champion de tennis masculin de Wimbledon cette année-là, Novak Djokovic, avait gagné 2,2 millions de dollars (2 millions d’euros). A Sunderland, le campus sera bientôt complété par «l’Arène», un complexe qui pourra accueillir des tournois d’esport. «C’est assez surréaliste» de voir ce campus s’installer ici, dans le nord de l’Angleterre, se réjouit Nicolas Wilkinson, un étudiant dans le cursus «esports» du Sunderland College, et qui se destine à la carrière de commentateur pour les compétitions du genre. Auparavant, «chaque fois que vous vouliez assister à un événement d’e-sport ou à quoi que ce soit d’autre dans ce domaine, vous deviez voyager dans le sud jusqu’à Londres, à Nottingham», raconte-t-il.
Les étudiants «ont tous des centres d’intérêt différents» et se destinent à différentes carrières, ajoute Evan Howey, qui espère quant à lui devenir joueur professionnel, et estime que si tous ces gens se côtoient et se connaissent, cela aidera le secteur à se développer. Le nouveau campus est aussi une porte d’accès «en particulier pour des étudiants issus de milieux défavorisés qui ne peuvent peut-être pas avoir accès à cet équipement à la maison», complète Chris Jeffrey, développeur de jeux indépendants et coach d’esports.