Amar Takjout. Secrétaire général de l’Union de wilaya d’Alger de l’UGTA : «Ce n’est pas un changement de personnes qui est demandé…»

20/07/2023 mis à jour: 00:08
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Photo : D. R.

Amar Takjout, secrétaire général de l’Union de wilaya d’Alger de l’UGTA, revient, dans cet entretien, sur l’importance du congrès extraordinaire qui se tiendra les 23 et 24 juillet à Alger. Pour lui, l’UGTA n’a pas besoin de changement de personnes mais de vision. Il estime qu’il y a des réajustements à faire pour permettre à l’UGTA de s’adapter à la nouvelle conjoncture et faire face aux nombreux défis qui l’attendent.

  • Quelques jours nous séparent de la tenue du congrès extraordinaire de l’UGTA, programmé pour les 23 et 24 juillet. Dans quelle atmosphère se déroulent les préparatifs pour ce rendez-vous ?

Nous sommes en train d’apporter les dernières retouches aux préparatifs, dans la sérénité la plus totale. C’est la dernière ligne droite. L’UGTA est une grande organisation syndicale qui dispose de beaucoup de structures et de démembrements. 

Certaines de ces structures sont en fin de mandat. D’autres sont en plein renouvellement et il faut en tenir compte. 

Il y a des difficultés qu’on arrive toujours à surmonter grâce à la mobilisation et l’implication de tous les militants syndicaux. Tout le monde connaît l’importance de ce congrès extraordinaire.

  • Qu’est-ce qui est attendu de ce congrès ?

Ce congrès extraordinaire est nécessaire d’abord sur le plan organique pour la refonte du schéma organisationnel de cette organisation. Il y a également la nouvelle loi sur le droit à l’exercice syndical à laquelle il faudra se conformer à travers notamment la révision des structures de l’organisation à tous les niveaux.

Ce congrès doit se tenir donc à l’aune de cette nouvelle loi qui fait référence à un syndicat sectoriel, une sorte de système fédéral où les secteurs d’activité sont les plus déterminants, que ce soit dans les structures locales ou nationales. 

L’UGTA a ainsi besoin de réajustements. Outre les aspects relatifs à la nouvelle loi, l’UGTA a également besoin d’une réorganisation afin qu’elle s’adapte à la nouvelle conjoncture et faire face aux nombreux défis qui l’attendent. Elle a besoin d’un nouveau souffle.

  • Ce rendez-vous suffira-t-il pour répondre à toutes ces exigences ?

Ce n’est certes pas lors d’un congrès que tout cela va être réglé ou va être fait. Mais ce rendez-vous aura l’avantage de baliser le terrain pour un travail plus en profondeur afin de remettre l’organisation sur les rails. 

Ce congrès extraordinaire est extrêmement important en ce sens qu’il doit donner une nouvelle direction, avec une ligne de conduite et un projet de refondation de l’organisation. L’UGTA est une organisation qui est constamment en mouvement.

Elle doit développer encore davantage ses capacités d’action, car cela est vital pour un mouvement social. Etre en mouvement, c’est être en concertation permanente, mener des débats, favoriser les échanges entre syndicalistes, encourager la compétition d’idées et la construction d’arguments. 

C’est tout cela qui fait la force d’un mouvement syndical. C’est tout cela qu’il faut transformer en une véritable culture au sein de cette organisation afin qu’elle soit plus forte, plus agile et plus efficace à tout point de vue.

Sans cela, on aura une organisation syndicale qui va fonctionner comme une petite administration, avec tous les travers bureaucratiques que cela induit. Et une telle organisation ne peut pas agir sur le terrain. Un mouvement social est une organisation qui connaît les problèmes, qui les discute et qui réfléchit aux solutions les plus adaptées et les plus appropriées pour les résoudre, pour les dépasser.

Et bien évidemment, il n’est pas exclu qu’il y ait une compétition d’idées. Bien au contraire, c’est avec une confrontation d’idées qu’on arrive à des projets. De par le monde, des syndicats arrivent avec des projets. On ne vient pas de nulle part et on devient responsable syndical. 

On vient avec des idées, des lignes de conduite, une vision ou carrément un projet bien ficelé. C’est dans cet esprit qu’il faut travailler et aller vers ce congrès extraordinaire qui doit sortir avec une vision.

  • Ce congrès va-t-il aller au-delà de l’élection d’une nouvelle direction ?

Ce n’est pas un changement de personnes, d’individus, qui est demandé aujourd’hui. Si c’était juste une histoire de changement d’un homme par un autre, d’une femme par une autre ou d’un homme par une femme ou l’inverse, je dirai que c’est facile à faire. Mais ce n’est pas le cas. 

Ce congrès doit permettre à l’UGTA d’être sur les rails et de revenir aux fondamentaux de l’organisation syndicale. Ces fondamentaux, je peux les résumer dans deux points : la référence de 1956 et celle des années 90.

Ce sont deux références qu’on ne peut pas occulter. La première est liée aux objectifs assignés à la création de l’UGTA en 1956, à savoir la Révolution et l’indépendance de l’Algérie. La deuxième référence renvoie à l’engagement de l’UGTA dans la défense de la République durant les années 90. 

Il est impératif de revenir à ces références qui constituent la force même de cette organisation syndicale. L’UGTA est une organisation de concertation et de construction. Voilà le schéma ou la vision qu’il faut pour cette organisation syndicale.

  • Comment mettre en œuvre un tel schéma ?

Pour ce faire, il faut rassembler tous les syndicalistes qui adhèrent par conviction à cette organisation syndicale et qui sont prêts à s’inscrire dans ce processus de remise en l’état de cette organisation. 

Même avec un petit noyau, on pourrait faire avancer les choses en amorçant le débat à l’intérieur de l’organisation syndicale. Il faut créer les conditions pour atteindre ces objectifs. Tous les problèmes ne seront pas réglés ou du moins pas d’un seul coup.

Mais, si on partage déjà la vision en tant que telle, on peut organiser l’UGTA autour de ces objectifs en mettant les moyens nécessaires pour rattraper le temps perdu. Nous avons des défis à relever. L’UGTA est une organisation syndicale responsable, qui a sa place sur la scène socio-économique.

On l’aime ou on ne l’aime pas, elle est là, présente. Il y a bien sûr ceux qui croyaient à son travail et ceux qui le contestaient et le remettaient en cause. 

Cela est l’essence même d’un mouvement social, syndical ou politique. On n’est pas aimé par tout le monde ou détesté par tout le monde.

  • Quel rôle doit jouer l’UGTA à l’avenir ?

L’UGTA doit s’adapter aux mutations que connaît le monde et se préparer à faire face à des problèmes d’un autre genre. L’UGTA doit débattre des changements qui peuvent être opérés demain du fait des bouleversements climatiques ou des avancées technologiques dans notre pays. 

Ce débat nous concerne. Si on ne met pas les moyens, si on ne structure pas correctement notre organisation, on risque de ne pas être au rendez-vous.

Toutes ces questions doivent faire l’objet de débat en interne pour préparer l’avenir. L’UGTA n’a jamais cessé de parler de dialogue social. Mais est-ce qu’on le pratique ? Quelle est notre place dans la sensibilisation de la société sur l’importance du dialogue social qui est une culture ? 

Quand on dialogue, c’est à deux. Quand on négocie, c’est à deux, quand on se concerte, c’est à deux. Il faut arriver à se retrouver facilement autour d’une table pour discuter de la vie économique, de la vie sociale, de l’environnement de l’entreprise…

  • Vous estimez que l’UGTA doit renforcer le dialogue social...

Tout cela est très important pour une organisation syndicale. Sinon, on risque de passer à côté d’une question fondamentale qui est occultée depuis quelques années, à savoir défendre l’intérêt moral du travailleur. 

Un concept vague et incompris chez beaucoup de syndicalistes qui défendent essentiellement l’intérêt matériel. 

On ne discute que des aspects matériels or la question morale est extrêmement importante. La productivité ne se gagne pas uniquement par le matériel mais aussi grâce au côté moral de l’emploi.

On ne peut pas travailler dans un environnement hostile, menaçant, qui génère de l’angoisse au quotidien. On ne peut pas produire quand on subit des abus, quand on est harcelé, malmené ou humilié au quotidien.

Il faut donc se pencher sérieusement sur ces questions et les prendre en charge, afin de protéger la santé mentale du travailleur et de veiller à son épanouissement dans son milieu professionnel.

  • Comment cela pourrait-il se faire ?

Il faut sensibiliser le monde syndical sur cette question qui est importante aussi bien dans le secteur économique que dans l’administration. Il y a des choses à faire. Le syndicat ne se limite pas à la réclamation d’avantages matériels.

Il faut donc aujourd’hui une halte pour faire le bilan et voir comment améliorer notre contribution pour le monde du travail et l’économie nationale. Aussi, il faudra réfléchir à la création d’une grande mobilisation sur les grandes questions nationales.

La souveraineté et l’intérêt national se défendent par une bonne organisation de la société. Quelle est la place de l’UGTA dans cette organisation ?

Une organisation qui ne débat pas, qui n’entre pas en compétition d’idées, c’est une organisation morte, parce qu’elle n’a pas les moyens pour formuler des arguments nécessaires pour aller discuter de telle ou telle problématique ou question.

Ce déficit en compétition d’idées et de projets est en partie dû à la formation syndicale qui constitue notre faiblesse aujourd’hui. 

La formation est primordiale dans la construction d’un mouvement syndical fort. On ne peut pas se permettre le luxe d’avoir des syndicalistes de base et de ne pas les former. Ne pas les former, c’est les laisser seuls, à l’aventure. La formation est indispensable.

  • Vous avez fait part de votre vision de l’UGTA. Êtes-vous candidat au poste de secrétaire général de cette organisation ?

Un congrès est naturellement ouvert à des candidatures. Si on veut changer de vision, si on veut apporter des réformes pour rendre l’organisation plus forte, je suis prêt à y participer. Moi ou quelqu’un d’autre. 

Une chose est sûre : il faut un véritable projet de reconstruction de l’UGTA. 

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