Une délégation de responsables d’Arabie Saoudite, à sa tête Nayef Al Sudaïri, récemment nommé ambassadeur du royaume pour les Territoires palestiniens, est arrivée hier à Jéricho, en Cisjordanie occupée. C’est ce qu’a indiqué Yousra Sweiti, gouverneure par intérim de la ville, citée par l’AFP.
La visite d’une délégation officielle saoudienne en Cisjordanie est la première depuis les accords de paix israélo-palestiniens d’Oslo (septembre 1993), ayant permis l’établissement de l’Autorité palestinienne. Elle intervient sur fond d’un rapprochement entre Israël et l’Arabie Saoudite qui inquiète les Palestiniens.
«L’ambassadeur d’Arabie Saoudite est entré en zone palestinienne», a confirmé Nazmi Mouhanna, directeur général des frontières de l’Autorité palestinienne.
Un peu plus tard dans la journée, Israël a annoncé que son ministre du Tourisme, Haïm Katz, se trouvait en Arabie Saoudite pour deux jours, à l’occasion d’une rencontre internationale, ce qui constitue la première visite publique d’un ministre israélien dans ce pays.
A l’issue d’une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères palestinien, Riyad Al Maliki, Al Sudaïri a assuré que «la question palestinienne est un pilier fondamental» de la politique extérieure saoudienne.
«Il est certain que l’initiative de paix arabe, qui a été présentée par le royaume en 2002, est la pierre angulaire de tout accord à venir», a-t-il déclaré devant la presse.
«L’intérêt» du royaume saoudien pour «la cause palestinienne» est ancien, a encore déclaré Al Sudaïri, mais le prince Ben Salmane, dirigeant de facto du royaume, «souhaite que la région et le monde dans son ensemble vivent dans la paix et la stabilité».
Ambassadeur d’Arabie Saoudite à Amman, Al Sudaïri a été nommé en août ambassadeur non résident pour les Territoires palestiniens et a présenté ses lettres de créance au président palestinien, Mahmoud Abbas, hier à Ramallah.
Cette visite intervient alors que Washington active pour obtenir une normalisation des relations entre Israël et l’Arabie Saoudite. Début juin, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a exhorté la monarchie du Golfe à normaliser ses relations diplomatiques avec Israël lors d’une visite à Djeddah et à Riyad.
Signes annonciateurs
Jusque-là, l’Arabie Saoudite ne reconnaissait pas Israël et a déclaré plusieurs fois s’en tenir à la position de la Ligue arabe, qui consiste à ne pas établir de liens avec Israël tant que n’est pas résolue la question palestinienne.
En 1981, le prince héritier saoudien Fahd Ben Abdelaziz Al Asoud, a présenté un plan de paix pour le Proche-Orient. Il repose sur le retrait d’Israël des Territoires occupés, «le démantèlement des colonies», «le retour des réfugiés palestiniens ou leur indemnisation», «la liberté des lieux de culte dans les Lieux Saints et la création d’un Etat palestinien», en échange du «droit de tous les Etats de la région de vivre dans la paix».
En 2002, en pleine seconde Intifada (2000-2005), l’Arabie Saoudite entérine la possibilité d’une normalisation des relations avec Israël, en échange de la création d’un Etat palestinien. Option rejetée par Tel-Aviv.
Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967, et soumet la bande de Ghaza à un strict blocus depuis que le mouvement islamiste palestinien Hamas y a pris le pouvoir en 2007, deux ans après qu’Israël s’en soit retiré unilatéralement. Riyad a néanmoins donné des signes d’un possible rapprochement avec l’Etat hébreu.
Lors d’un entretien accordé à The Atlantic, en avril 2018, le prince Mohammed Ben Salmane a soutenu le «droit d’exister» pour Israël, mais aussi l’absence d’«objection religieuse» à son existence.
Il a ajouté cependant qu’il ne pourra y avoir de relations diplomatiques entre Israël et l’Arabie Saoudite que si le conflit palestinien est résolu : «Nous devons obtenir un accord de paix pour garantir la stabilité de chacun et entretenir des relations normales.»
En novembre 2020, le Premier ministre israélien s’est rendu secrètement à Neum, en Arabie Saoudite, où il a rencontré Mohammed Ben Salmane, en présence du secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo.
En juillet 2022, Riyad a annoncé l’ouverture de son espace aérien à «tous les transporteurs», y compris israéliens.
A la fin de juin dernier, le ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, a déclaré qu’il existe une «fenêtre d’opportunité» pour conclure un tel accord avec l’Arabie Saoudite dans les mois à venir, sous l’égide des Etats-Unis, et que Tel-Aviv garde espoir quant à un accord.
«Nous sommes très optimistes quant à la possibilité de parvenir à un tel accord. Il s’agit d’un accord réalisable, après lequel d’autres pays suivront», a déclaré E. Cohen.
En août, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a remercié les autorités saoudiennes de leur «attitude chaleureuse» à l’égard de passagers israéliens après l’atterrissage forcé à Djeddah, dans l’ouest du royaume, d’un avion reliant les Seychelles à Tel-Aviv.
Le même mois, un sommet en Egypte, entre le président égyptien, Abdel Fattah Al Sissi, le roi de Jordanie, Abdallah II, et le président palestinien, Mahmoud Abbas, a «discuté des efforts américains visant à parvenir à la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël et des exigences de l’Autorité palestinienne dans le cadre de la signature d’un tel accord», a en la circonstance indiqué une source palestinienne proche du dossier.
Samedi, Israël a adressé ses vœux à Riyad à l’occasion de la Fête nationale de l’Arabie Saoudite.
«Nous adressons nos sincères félicitations et bénédictions au roi, au gouvernement et au peuple du royaume d’Arabie Saoudite à l’occasion de la 93e Fête nationale», est-il indiqué sur le compte X (anciennement Twitter) en arabe du ministère des Affaires étrangères israélien.
Et de poursuivre : «Que Dieu vous apporte la bonté et les bénédictions à la lumière de la sécurité, de la sûreté et de la prospérité, avec nos vœux de voir prévaloir une atmosphère de paix, de coopération et de bon voisinage.»
Vers une «paix historique»
Par l’intermédiaire des Etats-Unis, le royaume a fait connaître ses conditions à une normalisation de ses relations avec Israël, parmi lesquelles des garanties de sécurité de la part de Washington et une assistance américaine dans le domaine du nucléaire civil, selon des sources proches des négociations.
Pour sa part, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a déclaré le 22 septembre à la tribune des Nations unies à New York : «Nous sommes proches d’une avancée encore plus spectaculaire, une paix historique entre Israël et l’Arabie Saoudite.» «Une telle paix (avec Riyad) augmenterait les possibilités d’une paix avec les Palestiniens», a-t-il ajouté.
L’an dernier, Israël a envoyé des délégations en Arabie Saoudite pour participer à des événements sportifs ou culturels, dont une réunion de l’Unesco début septembre.
En 2020, Israël a normalisé les relations avec trois nouveaux états arabes (après l’Egypte et la Jordanie) : les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc, dans le cadre des accords dits d’Abraham, négociés par le gouvernement du président américain Donald Trump.
Le président Abbas a toutefois prévenu qu’il ne pourrait y avoir de paix au Moyen-Orient sans que les Palestiniens n’obtiennent leur propre Etat indépendant. «Ceux qui pensent que la paix peut l’emporter au Moyen-Orient sans que le peuple palestinien jouisse de la totalité de ses droits nationaux légitimes seraient dans l’erreur», a-t-il déclaré à l’Assemblée générale de l’ONU le 21 septembre.
Médiateurs de longue date entre Israël et les Palestiniens, les Etats-Unis n’ont fait aucune avancée majeure en faveur de la réalisation d’une solution de paix dite «à deux Etats» depuis l’échec de leurs efforts il y a une dizaine d’années.
Les perspectives d’une telle solution n’ont d’ailleurs jamais semblé aussi éloignées depuis l’entrée en fonctions, fin décembre, d’un nouveau gouvernement israélien dirigé par B. Netanyahu avec l’appui de l’extrême droite et la poursuite d’un cycle de violences qui semble sans fin.
Le prince héritier Mohammed Ben Salmane a reconnu mercredi dernier dans un entretien à la chaîne Fox News que le royaume se rapproche d’Israël, mais relève que la question palestinienne est «très importante» pour Riyad.
«On s’en rapproche tous les jours», a-t-il affirmé. «Pour nous, la question palestinienne est très importante. Nous devons la résoudre», a-t-il ajouté.
Un rapprochement entre l’Arabie Saoudite et Israël aurait un «effet puissant sur la stabilisation de la région, sur l’intégration de la région, sur le fait de rassembler les peuples», a estimé le même jour le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, dans une interview avec la chaîne ABC.
De son côté, le président iranien, Ebrahim Raïssi, a averti le 20 septembre à New York qu’une éventuelle normalisation entre Israël et l’Arabie Saoudite constituerait une trahison de la cause palestinienne.
«Nous pensons qu’une relation entre des pays de la région et le régime sioniste serait un coup de poignard dans le dos du peuple palestinien et de la résistance palestinienne», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse en marge de l’Assemblée générale des Nations unies.