Ça y est, le SILA est là ! Le plus grand rendez-vous littéraire et éditorial de l’année s’apprête en effet à retrouver son public après deux ans d’interruption pour cause de Covid-19. Cette 25e édition du Salon international du livre d’Alger se tiendra, rappelle-t-on, du 24 mars au 1er avril 2022, avec comme invité d’honneur l’Italie. Nul doute que ce come-back constitue un événement.
Et ce grand retour du SILA permettra à la filière du livre, qui a été lourdement impactée par la pandémie, de souffler un peu, surtout avec la gratuité des stands décidée par M. Tebboune.
Chez Casbah Editions, une trentaine de nouveautés ont été imprimées en prévision de ce rendez-vous livresque, nous dit son directeur, Smaïn Ameziane, joint hier par téléphone. Les lecteurs pourront ainsi se délecter de titres comme Pour l’amour d’Elena, le dernier roman de Yasmina Khadra, D’amour et de guerre d’Akli Tadjer, La génération du Môle d’Alger de Lydia Haddag, ou encore Des rêves à leur portée de Lynda Chouiten. Smaïn Ameziane le dit clairement : les deux années de crise dues à la pandémie ont été pénibles. «Cette période a été dure, en effet. Elle nous a touchés de plein fouet. Cela dit, on n’est pas les seuls.
Cette crise a touché tout le monde», souligne-t-il. Interrogé sur l’impact du report du SILA durant deux éditions consécutives en termes de manque à gagner, M. Ameziane relativise : «En vérité, le SILA ne représente pas grand-chose pour nous. Casbah Editions fonctionne comme une entreprise qui a ses propres imprimeries. Il y a les salaires à payer, il y a les charges fixes, il y a tous les techniciens qu’il faut rémunérer. Nous avons tout un personnel fidèle qui est là depuis plus de 30 ans. Il fallait assurer les salaires pour garder notre personnel. Et avec tout ce qui s’est passé, ce n’était pas évident. Le marché s’est effondré, les libraires étaient fermées. Donc on a passé deux années assez difficiles.»
«Le papier a augmenté de plus de 50%»
L’éditeur se félicite néanmoins du retour du SILA en insistant sur «la dimension sociale et affective» de l’événement. «Le Salon, c’est particulier. Il y a un engouement pour cet événement. C’est normal. C’est l’une des manifestations les plus importantes sur le plan culturel. C’est une semaine de rencontres intenses. Cela permet aux auteurs de retrouver leur public, d’échanger avec leur lectorat», argue-t-il. «En ce qui nous concerne, on n’en fait pas une affaire commerciale», précise Smaïn Ameziane. «Le plus important, ce sont ces échanges, ces retrouvailles.
Le Salon a une dimension sociale, affective. Cela nous permet de revoir tous nos auteurs, de partager avec eux des séances de dédicaces, des déjeuners… C’est l’occasion aussi de retrouver nos collègues éditeurs ainsi que nos amis étrangers, libanais, égyptiens, français et autres. C’est un peu la fête.» En dehors du côté festif, il y a les dures réalités du marché du livre. Pour le fondateur des éditions Casbah, l’un des grands défis qui se pose à l’industrie du livre, c’est la pénurie et la flambée des matières premières. «La problématique aujourd’hui, ce sont les matières premières qui ont augmenté de plus de 50% depuis quatre, cinq mois.
C’est dû au dérèglement du marché international. Et il y un gros problème de disponibilité du papier. Cela n’a rien à voir avec le conflit en Ukraine. Ça a commencé bien avant. C’est l’un des effets de la crise de la Covid. Je ne sais pas qui va supporter cette augmentation. Est-ce le lecteur ? Est-ce l’éditeur ? Ça va être dur.» D’ailleurs, pour publier ses nouveautés, la maison a bataillé dur. «On a eu énormément du mal à trouver du papier. C’est ça notre principale préoccupation. Et on ne voit pas le bout du tunnel pour l’instant», s’inquiète Smaïn Ameziane.
«Il faut soutenir les intrants »
Arezki Aït Larbi, directeur des éditions Koukou, pointe le même problème : «La pandémie a impacté la filière du livre de manière très négative comme pour beaucoup de secteurs. Et ce qui est regrettable, c’est que, au moment où les autorités décident de reprendre le SILA, nous faisons face à une pénurie de papier.» Il nous apprend dans la foulée : «Nous, à Koukou éditions, nous avions prévu une dizaine de titres. Eh bien, nous avons dû faire une sélection parce qu’il n’y a pas de papier.»
Enumérant les nouveautés en question qui seront disponibles au SILA, Arezki cite L’Université désacralisée, ouvrage collectif coordonné par Khaoula Taleb Ibrahimi, Fatma Oussedik et Louisa Dris Aït Hamadouche. A noter aussi ce recueil de nouvelles de Pierre Amrouche, le fils de Jean Amrouche, Le Chien de ta mère. «Nous avons également un bouquin de Farida Aït Froukh sur Kateb Yacine et la troupe Debza. Et le navire amiral pour nous de ce SILA, ce sera le livre de Kahina Bahloul, la première femme imame de France : Mon islam, ma liberté», complète le journaliste. Il fait savoir au passage que Kahina Bahloul sera présente au Salon.
Comme à chaque veille de SILA, on s’interroge sur la politique du livre et le soutien qui doit être apporté à une filière fondamentalement fragile. «Je pense qu’une politique du livre doit être d’abord orientée vers le lecteur, avec, comme objectif, de mettre à la disposition du public un livre de qualité et à un prix abordable», estime Arezki Aït Larbi. Il poursuit : «Pendant ces dernières années, on nous a parlé de milliards qui ont été consacrés au soutien du livre.
Mais en réalité, on n’a pas soutenu le livre, on a soutenu des clientèles. On a soutenu des éditeurs amis.» «Au lieu d’entretenir des clientèles, préconise-t-il, la politique du livre doit se porter vers le soutien des intrants, c’est-à-dire le papier, les encres, les colles. Et il faut qu’ils soient de qualité et en quantité suffisante.» L’éditeur met en outre l’accent sur un autre symptôme préoccupant : la disparition des librairies dans l’indifférence générale. «Ces derniers temps, on a assisté à la fermeture de plusieurs librairies.
Récemment, à Oran, la grande librairie Abdelkader Alloula, ouverte en 2019, a été contrainte de mettre la clé sous la porte», alerte Arezki, avant de faire remarquer : «Cela montre combien la filière a été affectée par la crise. Je ne sais pas au niveau des autorités qu’est-ce qu’elles comptent faire. Mais ce qui est certain, c’est que ce qui a été fait jusqu’à maintenant, c’est-à-dire mettre de l’argent dans la poche des éditeurs, ça ne profite ni au livre ni au lecteur.»