Le produit de Sanofi et son pendant local, le Varenox, des laboratoires Frater-Razes, font l’objet d’une forte tension depuis qu’ils ont été intégrés dans le protocole de soin du coronavirus.
Les patients et leurs proches à la recherche du Lovenox dans les pharmacies auront droit à toutes sortes de gestes et de signes d’impuissance : «Je ne sais plus quoi faire, je viens de raccrocher avec le responsable des achats, le Lovenox et son générique sont indisponibles et nous n’avons aucune perspective sur les réapprovisionnements», nous dit une pharmacienne à Alger-Centre en levant les deux bras en signe d’impuissance.
«Même lors de la période d’accalmie de la pandémie, il était rare d’avoir l’anticoagulant sur les étals. Alors, maintenant que les chiffres sont repartis à la hausse, cela devient quasiment impossible», soupire une employée dans une pharmacie sise, rue Hassiba Benbouali. «Pour l’instant, nous avons uniquement la promesse que le médicament sera disponible la semaine prochaine», explique avec un haussement d’épaules un pharmacien à la Place du 1er Mai.
«Moi-même, j’ai fait le tour des pharmacies afin d’en procurer pour un membre de la famille. Le fait est qu’il y a une forte tension sur le Lovenox, que ce soit pour les femmes qui viennent d’accoucher ou pour les malades de la Covid. Lorsqu’on en reçoit, il s’écoule à une vitesse hallucinante. Aussi, je recommande aux patients qui disposent d’une ordonnance et qui parviennent à en trouver de ne pas tergiverser et de prendre le générique selon le dosage prescrit», soutient une autre employée dans une officine du Champ de manœuvre.
Le Lovenox est un anticoagulant qui a pour effet de prévenir la formation des caillots dans les vaisseaux sanguins, utilisé fréquemment pour le traitement des thromboses veineuses. Le produit de Sanofi et son pendant local, le Varenox des laboratoires Frater- Razes, font l’objet d’une forte tension depuis qu’ils ont été intégrés dans le protocole de soin du coronavirus. Le ministère de l’Industrie pharmaceutique avait pourtant déployé toute son énergie à doubler la quantité mise sur le marché afin d’éviter les pénuries.
Redha Belkacemi, président de l’Observatoire national de veille sur la disponibilité des produits pharmaceutiques, nous explique : «Le ministère de l’Industrie pharmaceutique a anticipé le problème, en doublant la quantité mise sur le marché par rapport à celle de la troisième vague. Aussi avons-nous commencé à nous préparer pour la 4e vague dès le mois d’octobre 2021, passant de 420 628 unités de production et de distribution des héparines Lovenox et Varenox en septembre à 857 523 unités en novembre jusqu’à atteindre 1 022 033 en décembre.» Il souligne que plus de 1,7 million d’unités devront être mises sur le marché au 31 janvier.
Un produit indisponible
Comment expliquer, qu’en dépit de ces efforts, le précieux médicament reste indisponible ? Pour beaucoup, le problème réside dans le fait que certaines personnes, dans la panique ambiante, recourent aux vieux réflexes : auto-médication, stockage…
«Il est essentiel de rappeler la nécessité de se conformer à la prescription préconisée par le protocole sanitaire mis en place par le Comité scientifique de suivi de l’évolution du coronavirus. Il s’agit là d’un médicament dangereux qui peut conduire à des hémorragies si le dosage n’est pas respecté. Il faut savoir que le Lovenox n’est pas prescrit systématiquement à toutes les personnes atteintes de la Covid-19.
Or, force est de constater qu’il y a des gens qui s’en procurent sans passer par la prescription», s’étonne Redha Belkacemi qui précise : «Dans les formes légères de la Covid, l’anticoagulant n’est pas recommandé. Pour qu’il soit prescrit, il est essentiel d’effectuer des tests pour voir si le sang est coagulé. Une anticoagulation préventive est néanmoins justifiée dans des cas graves à modérés. Nous comprenons qu’il y ait des cas de panique, mais il est essentiel de se conformer au protocole.» En deux ans, la demande en Lovenox et Varenox a été multipliée par trois.
«Si l’on prend le référent 2020, qui reste une année touchée par la Covid, la consommation des médicaments anticoagulants était de l’ordre de 8 millions par an. Aujourd’hui, c’est quasiment le triple», fait observer Redha Belkacemi, et d’ajouter : «Il faut savoir qu’il y a une tension mondiale sur la matière première. L’Algérie a pris les dispositions nécessaires par anticipation, en prenant le soin de faire sa commande prématurément afin d’éviter les problèmes.»
Pour rappel, la chaîne de production du Varenox a été inaugurée en septembre 2020, avec une capacité de production pouvant atteindre 75 000 unités/jour. Un projet qui devait permettre de renoncer à l’importation de ce médicament qui coûtait – hors pandémie – plus de 60 millions de dollars/an.
Après la troisième vague, la Pharmacie centrale des hôpitaux a été alimentée à hauteur de 100% du produit local. Un autre fabriquant local devrait bientôt, selon M. Belkacemi, débuter la production d’un nouveau générique d’anticoagulant, le Teranox. La production sera ainsi en constante augmentation afin d’éviter d’autres ruptures de stocks.
Messaoud Belambri, président du Syndicat national des pharmaciens d’officine (Snapo) avoue son «incompréhension» par rapport au problème d’indisponibilité du médicament : «Nous ne comprenons pas ce qui se passe. Malgré les quantités annoncées par les laboratoires et le ministère, et malgré le fait que la 4e vague n’est pas encore entrée dans sa phase aiguë, le produit demeure introuvable.»
Et de poursuivre : «Après la 3e vague, la production locale a été redirigée dans son intégralité vers la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) afin de reconstituer les stocks. Il a fallu attendre une injonction du ministère de l’Industrie pharmaceutique pour libérer une quantité de 800 000 unités/2 semaines pour les pharmacies.»
Messaoud Belambri s’étonne aujourd’hui du fait que même les personnes hospitalisées se dirigent désormais vers les pharmacies pour se procurer le produit.
«Il y a une véritable crise car le produit n’est pas disponible de manière régulière et que les approvisionnements ne sont pas suffisants, que ce soit pour les dosages de 0.4, 0.6, 0.8 grammes.
A ce rythme, lorsque la quatrième vague de la pandémie atteindra son pic (prévue par les spécialistes au mois de février), nous nous dirigerons vers la catastrophe», s’alarme-t-il, estimant que ce n’est pas seulement l’automédication qui est en cause, mais également le stockage.
«Il est important de lutter contre ces pratiques en renforçant le contrôle», glisse M. Belambri. Il constate, par ailleurs, que le médicament est introuvable dans les officines mais qu’il est disponible chez certaines associations caritatives en quantité suffisante.
«Le médicament n’est pas là où il devrait être. Nous nous posons des questions sur les sources de leur provenance car il se trouve ainsi en dehors du circuit officinal et hospitalier. Pour notre part, la seule source d’approvisionnement des pharmaciens reste les grossistes», tacle-t-il. Depuis fin décembre 2020, les citoyens qui ne parviennent pas à se procurer le Lovenox n’ont d’autre choix que de se tourner vers les réseaux sociaux.
Pour Redha Belkacemi, il est essentiel de s’attaquer aux racines du mal et non pas à ses symptômes : «Quid des vaccinations ? interroge-t-il, afin d’éviter des cas graves de la Covid ainsi que les hyper coagulations, il est d’abord important de se faire vacciner.»