Dans cet entretien, Ahmed Benfares expose les dangers de l’automédication, une pratique devenue courante, et revient sur le cheminement qui a permis à cette pratique de se généraliser.
- Qu’est-ce que l’automédication ?
L’automédication se définit comme étant toute utilisation ou une consommation de médicaments en dehors d’une prescription médicale. Cette pratique, très répandue dans notre pays, est tout de même dangereuse à plusieurs titres. C’est pourquoi, il est plus que recommandé de la bannir dans la mesure où elle se fait sans le contrôle d’un professionnel de la santé dûment habilité, un médecin, un pharmacien ou un autre soignant, chacun dans les limites précisées par la loi. Le médicament n’étant pas un produit anodin, il peut nuire, parfois gravement s’il est pris de manière anarchique.
- Par quel mécanisme peut-il nuire ?
Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que les médicaments possèdent, en plus de l’effet thérapeutique, des effets indésirables plus ou moins importants. Ces effets indésirables sont en fonction de nombreux facteurs, dont la nature du produit et sa toxicité propre ainsi que l’association avec d’autres médicaments.
Des médicaments pris ensemble peuvent additionner leurs effets, les annuler ou les réduire. Ils peuvent aussi se combiner entre eux pour donner un produit toxique. L’état du malade et son âge sont aussi susceptibles de faire apparaître des effets indésirables. En effet, la personne âgée étant diminuée dans ses fonctions rénales et hépatiques, elle élimine mal les médicaments qui se trouveront alors en surcharge dans l’organisme.
Les susceptibilités individuelles, dans lesquelles sont incluses les allergies tout comme les erreurs dans les prises ainsi que la redondance qui consiste à prendre en double le même médicament par mégarde parce que les noms de spécialité sont différents (princeps et génériques par ex ou deux génériques), sont autant de facteurs pouvant faire surgir des effets indésirables chez le malade.
Finalement, tout médicament est un poison en puissance, ce n’est qu’une question de dose. Cette toxicité est d’autant plus élevée que la marge entre la dose efficace, qui est la dose produisant l’effet attendu sur la maladie et la dose toxique est faible.
- Pour leurs vertus comme pour leurs dangers les médicaments sont très réglementés et gérés par la loi sanitaire 18-11 ainsi que par de nombreux de décrets.
Un facteur déterminant de la toxicité est la dose à laquelle le médicament est pris. Il faut savoir que les médicaments se prennent à des doses précises, pour des indications précises à des moments précis et dans des conditions précises. La moindre erreur peut nuire sérieusement à la santé du malade. Cette dose est calculée de façon à être efficace sur la maladie avec le minimum de nuisance.
C’est ce qu’on appelle la dose utile nécessaire pour obtenir l’effet thérapeutique. Les médicaments sont classés en fonction de leur toxicité. D’abord, il y a des médicaments pouvant être délivrés par le pharmacien sans prescription médicale. Ceux-là ne sont, en général, pas ou faiblement toxiques. Les produits à toxicité plus importante sont délivrés uniquement sur prescription médicale.
En ce qui concerne les médicaments psychotropes, ils sont délivrés sur présentation d’une ordonnance avec n° de série pour certains et sur ordonnance extraite d’un carnet à souches pour d’autres. Les psychotropes sont doublement dangereux, pour leur toxicité intrinsèque (iatrogénie) et pour leur utilisation en toxicomanie pour certains d’entre eux. Pour toutes ces propriétés, aussi bien curatives que toxiques, le médicament doit être manipulé par des professionnels de la santé ayant les compétences nécessaires pour cette manipulation.
- Qu’en est-il de la prescription ?
Les articles 179 et 180 de la loi sanitaire 18-11 précise les prérogatives du pharmacien dans la dispensation du médicament. L’article 179 indique que le pharmacien ne peut dispenser des produits pharmaceutiques que sur prescription médicale. Toutefois, il peut dispenser sans prescription médicale certains produits dont la liste est fixée par le ministre chargé de la Santé.
L’article 180 interdit, quant à lui, aux professionnels ayant la charge d’exécuter les prescriptions médicales (le pharmacien) de prescrire des produits pharmaceutiques, de modifier des prescriptions sans avis médical préalable. Toute cette réglementation et ces précautions dans la manipulation des médicaments devraient alerter sur leur dangerosité et inciter à la prudence dans leur utilisation.
D’autant plus que le nombre d’accidents souvent mortels liés à la prise de médicaments est effarant. A titre d’exemple, les médicaments sont la 5e cause de mortalité aux Etats-Unis, avec 7000 décès dans les hôpitaux et des centaines en ambulatoire. Le Canada enregistre 1,5 million d’accidents par an. En France, il est signalé 120 000 hospitalisations par an et entre 8000 et 12 000 décès. Il n’y a pas de statistiques récentes disponibles en Algérie mais les accidents médicamenteux sont très nombreux aussi. En 2011, sur les 9000 intoxications signalées, 65% sont d’origine médicamenteuse.
- L’automédication peut se distinguer sous plusieurs sortes. Lesquelles ?
On peut distinguer deux formes d’automédication, celle qui est dite responsable et celle qui est anarchique. L’automédication responsable se fait sous contrôle du pharmacien. Elle concerne les médicaments dont la délivrance n’est pas soumise à prescription médicale. Le malade consulte le pharmacien pour une pathologie bénigne dont les symptômes sont simples, évidents, ne nécessitant pas une auscultation ni un diagnostic médical (rhume, grippe saisonnière non compliquée, diarrhée saisonnière, céphalée simple, dysménorrhée etc.).
Le pharmacien, en sa qualité de professionnel de la santé possédant des connaissances précises et fort de la couverture de la loi, est en mesure de respecter les précautions d’usage en prenant les renseignements sur la maladie à soigner, sur les traitements déjà en cours, sur les pathologies portées et sur les antécédents allergiques. Il fournira les précisions nécessaires sur le mode d’emploi et les précautions d’utilisation concernant les médicaments conseillés.
Dans tous les cas, le traitement doit être de courte durée avec la recommandation de consulter son médecin traitant s’il n’y a pas d’amélioration. Quant à l’automédication non contrôlée ou anarchique, le malade se soigne lui-même ou sous le conseil d’un tiers sans l’avis ou la prescription d’un professionnel habilité. C’est une tendance fréquente, particulièrement chez nous où elle revêt un aspect quasi culturel. Il est évident que si les gens se soignent seuls, c’est qu’ils ont cette possibilité d’obtenir des médicaments assez facilement et cela, à différents niveaux.
Soit au niveau de pharmacies pas trop regardantes sur la règlementation, soit en se servant dans la boîte à pharmacie familiale des médicaments obtenus auparavant ou prescrits à un autre membre de la famille. Ils peuvent aussi se fier au conseil d’un ami ou d’un voisin qui leur recommande un traitement «qui a été efficace pour lui». Une autre forme d’acquisition de médicaments est en train de prendre de l’ampleur, c’est l’achat sur internet. Cette pratique, qui s’est généralisée ailleurs, est encore plus dangereuse dans la mesure où on ne connaît pas la provenance du médicament qui n’a certainement subi aucun contrôle.
- Selon vous, comment l’automédication est-elle devenue si courante ?
Se soigner seul est une tendance actuelle fréquente pour de nombreuses raisons. En effet, le niveau intellectuel du citoyen est assez élevé pour lui permettre de connaître beaucoup mais pas assez sur le médicament et la maladie. Il peut donc profiter, à tort, des informations disponibles sur le net pour s’auto-diagnostiquer et s’automediquer.
Il suffit d’aller sur Google pour avoir des informations sur la maladie et le médicament. Les gens vont aussi vers l’automédication soit par négligence (en banalisant et sous estimant la maladie), ils vont vers l’automédication parce qu’ils éprouvent des difficultés pour consulter soit par manque de temps, soit parce que les cabinets médicaux sont surchargés ou encore parce que les consultations sont excessivement chères et surtout non remboursables pour le citoyen moyen.
Toutefois, aucune raison ne devrait justifier l’automédication anarchique parce que comme, cité plus haut, le médicament comporte des dangers pour les utilisateurs qui ne connaissent pas sa composition ni sa toxicité, ni ses effets secondaires, ni ses contre-indications dans des situations médicales précises (ulcères digestifs, diabète, cardiopathies, insuffisance rénale etc.), ils ne connaissent pas ses posologies idéales pour la maladie à traiter, ni ses incompatibilités avec d’autres médicaments, ni les allergies croisées pouvant apparaître. La prise de certains médicaments de façon anarchique peut aussi retarder un diagnostic en décapitant une infection ou en camouflant une maladie sérieuse en évolution.
- Il y a l’exemple du Paracétamol, trop consommé chez nous…
Il s’agit du médicament le plus demandé en officine. Le Paracétamol, plus connu sous son nom de spécialité Doliprane, médicament conseil, ne nécessitant pas de prescription médicale pour sa délivrance. Ce médicament utilisé contre la fièvre et les douleurs est très toxique pour le foie, 10 comprimés (10 g) avalés à la fois est une dose mortelle chez l’adulte.
Chez l’enfant, la dose toxique est de 150 mg/kg de poids corporel. Le danger réside dans le fait que beaucoup de préparations contiennent du paracétamol et le risque de surdosage est important si on prend plusieurs médicaments qui en contiennent. C’est pourquoi, j’appelle les citoyens à la prudence extrême et à plus de sévérité dans l’application de la réglementation aux pharmaciens.
Il arrive parfois que les pharmaciens soient complaisants et cèdent à la demande de leurs malades en leur délivrant des médicaments à prescription médicale obligatoire. IL faut admettre aussi que la tâche du pharmacien n’est pas toujours aisée devant la pression des malades pour obtenir certains traitements. Ces malades pour les raisons citées ne consultent pas et ont recours à l’automédication.
Parfois, de vrais cas de conscience se posent aux pharmaciens devant des situations où le malade ne peut pas se payer une consultation ou qui se présente tard le soir quand les cabinets médicaux sont déjà fermés.
Cette situation est un argument supplémentaire à l’élargissement de la pratique pharmaceutique qui verra le pharmacien doté de plus de prérogatives dans sa relation avec le malade. Les pharmaciens devraient néanmoins être plus sévères et plus regardants dans la dispensation de médicaments à prescription médicale obligatoire.