Une peine de 10 ans de prison ferme a été requise hier contre Mohamed Abdallah, déserteur des rangs de la gendarmerie et expulsé d’Espagne il y a sept mois. Devant le tribunal, Mohamed Abdallah a nié les faits, avant que son avocat ne plaide la relaxe en évoquant une «confusion» entre le prévenu et un autre activiste, Mohamed Benhalima, réfugié en France.
Après plusieurs reports, le procès de Mohamed Abdallah, ancien gendarme déserteur, converti en activiste sur les réseaux sociaux, après avoir été expulsé d’Espagne au mois d’août dernier, s’est ouvert hier, en sa présence, devant le tribunal de Bir Mourad Raïs, à Alger. Détenu à la prison militaire de Blida, pour une autre affaire, le prévenu avait refusé de comparaître par visioconférence et a exigé qu’il se défende en étant présent physiquement devant le juge.
Escorté par deux gendarmes, il est apparu en fin de matinée pour être confronté aux nombreux griefs qui lui sont reprochés, dont «atteinte à la vie privée de personnes», «atteinte à une institution de l’Etat», «atteinte aux intérêts de l’Etat», «atteinte à la sécurité et l’unité de l’Etat» et «diffusion de publications de propagande qui touchent à la sécurité de l’Etat». Des faits pour lesquels il a été condamné par défaut au mois de mai 2020.
Il déclare : «J’avais une page Facebook que j’utilisais pour dénoncer la corruption. La non-dénonciation est un délit et en tant qu’Algérien, je ne pouvais me taire. Je l’ai fait pour défendre mon pays.» Le juge : «Vous êtes poursuivi pour diffusion de fausses informations. Est-ce le cas ? Le prévenu répond par la négative. Le juge l’interroge sur un des plaignants, Fouad Ramdani, avec lequel il échangeait des messages, mais Mohamed Abdallah affirme ne pas se souvenir de la personne.
Il explique au juge que ses «live» concernent surtout les personnalités influentes. Le juge lui demande s’il partageait «les messages et les informations qu’il diffusait sur sa page avec d’autres personnes ?» Abdallah nie et déclare : «Jamais. J’ai la confiance des gens qui me donnent les informations. Je ne vais pas les trahir.» Le juge : «Vous ne partagiez pas avec Amir Boukhors et Mohamed Zitout ?» Le prévenu : «Je ne leur envoie rien. Il y avait de la distance entre moi et eux. Il arrive qu’on partage les mêmes idées, mais cela ne veut pas dire que nous nous partageons les informations. Je suis indépendant d’eux.»
Le juge : «Quelle était votre relation avec eux ?» Abdellah : «Le pays a vécu des événements politiques importants, comme le hirak, qui ont permis l’émergence de nombreuses personnalités sur le terrain comme Karim Tabbou, Aboud Hicham, le défunt Lakhdar Bouregaa, avec lesquels, parfois, je m’entendais et parfois non.» Le juge : «Receviez-vous des directives ou des consignes ?» Le prévenu : «Jamais. Je suis indépendant. J’étais dans une institution militaire, je recevais des ordres et des instructions, mais j’en avais marre et je me suis retiré.»
La représentante du ministère public requiert 10 ans de prison ferme et une amende de 500 000 DA, avant que Me Abdelghani Badi, avocat de Abdallah, ne plaide la relaxe. D’emblée, il dénonce le fait que ce dernier soit poursuivi «pour le même fait» dans plusieurs «lourdes» affaires. Pour l’avocat, Abdallah n’a «rien à avoir avec le dossier pour lequel il est devant le tribunal. Il y a une confusion entre lui et Mohamed Abdelaziz Benhalima.
C’est ce dernier qui est cité par les victimes et non pas Abdallah. Même dans l’ordonnance de renvoi, c’est de Benhalima qu’on évoque et non Abdallah». Sur le grief d’atteinte à une institution de l’Etat, Me Badi lance : «Quelle est cette institution ? A-t-elle été directement touchée ? Pourquoi ses agents ou représentants ne sont-ils pas là ? Vous constatez que même pour ce grief, ce n’est pas Abdallah qui est cité dans l’ordonnance de renvoi, mais plutôt Benhalima. Pourquoi le prévenu se retrouve ici ? Le délit ne peut lui être imputé. Il n’existe pas.» L’avocat insiste également sur l’article 73 du code pénal, qui porte sur l’atteinte à la sécurité de l’Etat et le qualifie de «danger juridique».
Il explique : «Ce texte est élastique et ne définit pas les cas précis dans lesquels nous sommes devant ce délit, qui peut valoir jusqu’à 10 ans de prison ferme. Il est dangereux pour la sécurité judiciaire. Il a été institué en 1972 lors de la guerre entre l’Algérie et le Maroc, dans des circonstances très particulières.» Me Badi fait le parallèle avec la loi relative à la lutte contre le terrorisme, notamment son article 87, qui selon lui comporte 16 points liés à la définition du terrorisme, qui donnent au juge la possibilité d’être équitable.
Sur le grief de diffusion de publication de propagande, punie de 6 mois à 3 ans de prison, Me Badi fait remarquer au juge que le support visé par la loi est le papier, alors que le prévenu publiait sur la Toile. «Comment allez-vous lui appliquer ce texte ?» Selon lui, «le délit d’atteinte aux intérêts de l’Etat», n’est pas défini par la loi, laquelle «n’a même pas précisé les cas où l’article doit être appliqué. Le législateur l’a laissé à l’appréciation du juge. Ce qui est une erreur. Cet article porte atteinte à la sécurité judiciaire. Il constitue une menace pour tous. Pour un quelconque post sur le Net, des gens se sont retrouvés en prison avec de lourdes condamnations. Vous ne pouvez pas être équitable si vous l’appliquer au prévenu».
L’avocat précise au juge que Abdallah «n’a publié ni photo ni évoqué la vie privée des personnes, pour être poursuivi pour ‘‘atteinte à la vie privée d’autrui’’», puis ajoute : «En plus, ce n’est pas de lui dont il s’agit, mais de Mohamed Benhalima. Il y a une confusion entre les deux noms et le procureur requiert 10 ans de prison. Il n’y a rien dans le dossier.» En prenant la parole, Mohamed Abdallah clame son innocence et le magistrat lui réplique : «Vous aurez le verdict le 13 mars courant.»