La ville de M’chedallah ou Imcheddalen, ex-Maillot, à l’extrême est de la wilaya de Bouira, a perdu son calme à deux reprises en l’espace d’une nuit. Une première fois sous une atmosphère festive au gala artistique organisé par l’APC, au niveau de la place publique.
Une deuxième fois, violente, suite à un incident inédit où l’imam de la mosquée El Hidaya avait proféré des insultes, à travers les haut-parleur de la mosquée, à l’encontre des personnes ayant assisté à la festivité.
Cette affaire de l’imam, qui a soulevé une vague d’indignation, continue de défrayer la chronique à M’chedallah et ailleurs, même après les excuses officielles du mis en cause devant les notables de la région et du wali de Bouira. «Le pire a été évité grâce à la sagesse des citoyens. Nous nous sommes mis devant la porte pour empêcher des jeunes en colère d’y pénétrer. La tension était à son comble après les dépassements verbaux de l’imam. Fort heureusement, la voix de la raison l’avait emporté sur celle de la violence», dira un des organisateurs de la soirée festive.
Dans un communiqué commun entre la wilaya et l’APW de Bouira, il a été signifié que «les responsables de la wilaya, élus locaux, notables de la région de M’chedallah et mouvement associatif, ont œuvré pour contenir la situation et éviter tout débordement, notamment après l’enregistrement de dépassements sur les réseaux sociaux». Cependant, sur ces mêmes réseaux sociaux, la polémique a pris une autre tournure. Les sponsors de la haine, de l’intolérance et de l’exclusion se sont emparé de l’affaire et ont lancé une offensive, allant jusqu’au harcèlement électronique.
L’une des victimes est Younès, jeune percussionniste au gala de la chanteuse Taouès Arhab à M’chedallah. Il avait fait l’objet d’une campagne de harcèlement et d’intimidation, notamment sur des pages Facebook adeptes de la haine. Contacté à ce sujet, l’artiste était visiblement touché par tout ce qui s’est passé. «Au début, ce sont mes amis qui m’ont mis au courant de ce qui se disait à propos sur moi sur Facebook.
Franchement, je n’ai pas pu supporter. J’ai directement supprimé mon compte personnel», dira-t-il au téléphone, ajoutant que l’affaire est close pour lui. La polémique a réveillé aussi des chefs de parti d’obédience islamiste qui ont vite pris position en se rangeant derrière l’imam et la «mosquée».
Notre déplacement au siège de la direction des affaires religieuses de la wilaya de Bouira pour savoir quelles seraient les mesures administratives à prendre par ses responsables à l’encontre de leur fonctionnaire, n’a pas été fructueux. Le directeur s’est excusé de ne pouvoir répondre à nos questions, car «il était en réunion». Contacté une deuxième fois, le lendemain, par téléphone, le même responsable se trouvait aussi en réunion. Selon nos sources, l’imam a été mis en congé.
Actualiser la formation et les connaissances des imams
Au-delà de la polémique autour de cette affaire dite de l’imam de M’chedallah, le sociologue Nacer Djabi nous livre son analyse : «Ce qui s’est produit à M’chedallah pose la problématique de la formation des imams en Algérie, ainsi que la relation de l’imam avec la mosquée et les citoyens.
Au moment où le niveau d’instruction des citoyens s’est nettement amélioré, celui des imams est resté traditionnel et parfois éloigné de la culture religieuse majoritairement tolérante des Algériens. Au lieu d’un islam populaire algérien et bien connu, certains imams adoptent un islam wahhabite et salafiste importé lors de l’époque de la guerre froide et du conflit entre l’Occident et l’Orient.
Ce qui les met en contradiction avec la culture religieuse des Algériens. Surtout en ce qui concerne le monde rural, comme c’est le cas de la région de M’chedallah, connue pour sa religiosité populaire et sa grande production de l’élite religieuse traditionnelle. Il faut savoir que cette même région a doté l’Algérie de deux ministres des Affaires religieuses – les frères Chibane – et beaucoup d’autres élites religieuses et des zaouias.»
Et de poursuivre : «Par conséquent, je pense qu’il est nécessaire de bien sélectionner les imams et de les initier à une formation religieuse et sociale en se basant sur ce que les sciences sociales ont atteint dans la compréhension de la société et l’explication de ses phénomènes, puisque, comme je l’ai dit en haut, le niveau d’instruction des Algériens s’est globalement amélioré.
Dans ce cas, une formation scientifique et sociale des imams et leur sélection pour exercer leur fonction est devenue une nécessité, car le rôle d’un imam n’est plus ce qu’il était auparavant. L’information religieuse est devenue, grâce aux nouvelles technologies et réseaux sociaux, accessible à la grande majorité des Algériens.
L’imam ne joue plus joue le rôle de médiateur entre le croyant et le texte religieux. Nous sommes à une époque où il est devenu possible à tout citoyen d’écouter et voir directement le cheikh sunnite d’El Azhar et celui chiite de Qom. Cela impose, encore une fois, de se concentrer à bien former et sélectionner les imams.»
Quant aux répercussions que pourrait avoir l’affaire, le sociologue met en garde contre des dérapages générateur de la violence. «A chaque Ramadhan, depuis des années, il y a des tentatives pour provoquer les Algériens, via l’encouragement et même la création de ce qui les sépare. A croire que L’islam en Algérie date d’hier. Et c’est la Kabylie qui reçoit généralement ces tentatives de provocation, en se basant sur une mauvaise lecture des mutations et transformations que connaît cette région du pays. Je pense qu’il n’y a pas à craindre cela, car les Algériens aiment leur pays et ne seront jamais entraînés dans cette stratégie qui veut les diviser et les introduire dans un cycle de violence.
Ceux qui l’ont essayé, plus d’une fois, n’ont pas réussi à atteindre leurs objectifs. Toutefois, il faut prendre au sérieux certains médias – presse écrite, télévision et réseaux sociaux – qui sont impliqués dans cette atmosphère génératrice de division, de violence entre les Algériens.»