Chaque année, le 8 mars, nous célébrons la Journée internationale des droits des femmes qui a été adoptée officiellement par l’ONU en 1975. Cet événement est un marqueur du combat des femmes pour l’égalité en droits, indépendamment du genre.
Qu’en est-il aujourd’hui en Algérie du statut de la femme ? Est-ce qu’il s’est amélioré où menacé ?
Les premiers acquis de l’ère moderne ont été arrachés dans la victoire du combat du peuple algérien contre le colonialisme. En libérant le pays, ce combat, incarné dans la guerre de Libération par les moudjahidine et les moudjahidate, a restauré la citoyenneté algérienne.
La scolarisation et l’instruction gratuites pour tous, le droit de vote à égalité et, des lois civiles s’appliquant au même titre à tous les citoyens ouvraient la voie de la liberté, de l’émancipation et de l’égalité effective devant la loi. Ainsi, en 1962, même si les pesanteurs sociales et sociétales étaient prégnantes en défaveur de la femme algérienne, celle-ci faisait son entrée dans la première assemblée de l’Algérie indépendante, 10 femmes sur 194 étaient membres.
Cette présence, qui peut paraitre symbolique, est tout autre de part la qualité de militantes et moudjahidate de ces dernières. C’est ainsi que le principe d’égalité entre les sexes a été affirmé dans la première Constitution de 1963.
Pour différentes raisons, en particulier la main mise du parti unique sur la vie politique, sociale et culturelle, synonyme de remise en cause de la citoyenneté par le déni des droits fondamentaux inscrits dans cette première constitution* (opinion, réunion, association, vote…) la subordination de la justice aux appareils du parti et de l’Etat et l’instauration progressive d’une dictature.
Le retour des conservatismes promus par le reflux révolutionnaire et, plus tard, l’encouragement d’un islamisme militant contre les courants progressistes, actifs dans les milieux universitaires, journalistiques et culturels, malgré les interdits, finissent par faire émerger au cœur du pouvoir lui-même un fort courant hostile à l’émancipation de la femme et aux libertés en général. Sous des prétextes religieux, de fallacieux considérants économiques ou par une révulsion irrationnelle de l’Occident, au point d’en faire de ce rejet une idéologie, les constituants de ce courant se rejoignent dans l’Assemblée du parti unique en 1984 pour élaborer et faire voter un code de la famille qui fait de la femme algérienne un mineure à vie.
En vérité, le régime, déjà en crise (contestations identitaires, contestations sociales, endettement extérieur de plus en plus insupportable pour une économie plus dépendante que jamais de l’extraction des hydrocarbures, bourrage des urnes pour pallier à la désaffection populaire…), tente de masquer ses échecs et son illégitimité en détourant l’opinion publique des véritables enjeux de l’heure pour le pays et le transfert du contrôle de la société vers des centres intégristes qui prennent de plus en plus le contrôle des lieux de culte, de l’école et des espaces publics .
Les contestations et la mobilisation des femmes, y compris dans la rue, auxquelles donna lieu ce code infâme sont, dans le sillage d’avril 80, parmi les premières actions de dénonciations et remise en cause de l’hégémonie du parti unique et d’un Etat qui s’éloigne de plus en plus des préoccupations de la majorité, à commencer par les franges de la société les plus fragiles, la jeunesse et les femmes livrées au chômage et à la précarité sociale.
L’explosion sociale de 1988, marque la faillite d’un régime qui a tourné le dos aux idéaux portés par les luttes du peuple algérien. La décennie noire, résultat de cette politique de reniements, d’appauvrissement et de compromissions, ne sera surmontée, pour sauver l’Etat national du naufrage obscurantiste, que par la mobilisation citoyenne où les femmes paient un lourd tribut.
En effet, les assassinats de femmes qui bradent les interdits intégristes, les enlèvements pour les «besoins d’asservissements» dans les maquis intégristes, les massacres de familles entières, détruisent ou minent les ressorts sociaux dont les femmes sont les premières victimes. Les disparitions forcées en masse déstructurent des dizaines de milliers de familles ; les mères, épouses ou sœurs confrontées aux aléas sociaux et au silence ne pouvant, même pas, faire le deuil sans vérité et justice.
La défaite militaire de l’intégrisme, au lieu de relancer la promotion des libertés et des droits fondamentaux, a été transformée, par la grâce d’officines occultes, en un compromis qui promeut et encadre la régression sociale, cède des pans entiers de l’économie dont le commerce à la sphère de non droits ; les femmes sont, encore une fois, les premières victimes de ce bazar. Les quelques amendements introduits au code de la famille en 2005, le code pénal de 2015 qui criminalise la violence conjugale, le harcèlement sexuel et le harcèlement de rue, restent fidèles à une vision discriminatoire des sexes en contradiction avec la constitution et les textes internationaux ratifiés sur l’égalité homme - femme. L’augmentation vertigineuse des violences et des feminicides témoignent, non seulement, de la profondeur des traumatismes mais aussi d’une forme d’impunité.
L’extraordinaire mouvement de février 2019 signe d’une part les limites de cette compromission qui a livré le pays à la rapine et à un pillage en règle des richesses du pays faisant de la corruption le moyen exclusif de l’ascension sociale et, d’autre part, l’espoir que cette politique n’est pas une fatalité.
La mixité qui caractérise les grandioses manifestations populaires a battu en brèche la propagande du régime à l’intérieur comme à l’extérieur qui consistait à présenter son maintien comme le seul rempart à l’islamisme avec le retour au premier plan des revendications démocratiques scandées dans toutes les marches à travers le pays.
Cette rétrospective démontre, s’il en faut, que l’émancipation de la femme, la conquête de l’égalité en droits sont inséparables de la conquête des droits démocratiques et de l’instauration d’un Etat où la liberté de conscience et d’opinion, l’ensemble des droits démocratiques et sociaux sont promus et protégés par une justice indépendante.
Vive l’émancipation des femmes
Vive l’égalité en droits de tous
Vive l’Algérie démocratique et sociale
Par Nora Ouali
Présidente de la commission nationale de préparation du congrès des femmes progressistes