Trop peu d’études, à notre avis, sont consacrées à la consommation de drogue chez l’adolescent et le jeune adulte. Cela représente un phénomène complexe qu’il est important de traiter à partir de la réalité et des besoins de l’adolescent vivant une phase difficile de remise en question et de repositionnement psychosocial.
Concernant plus largement le problème de consommation de drogues et comment y remédier auprès de la population algérienne, des équipes de chercheurs du Crasc (Centre de recherches en anthropologie sociale et culturelle) et à la demande de l’Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Onlcdt, sous l’égide du ministère de la Justice) ont procédé à l’évaluation des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre le phénomène, véritable fléau social.
Ces plans et stratégies visent non seulement la diminution de l’offre mais aussi de la demande, surtout pour les jeunes constituant une frange importante de la population. La mise en place de ces programmes a nécessité des études et enquêtes pour accéder à des données quantitatives mais également qualitatives, permettant ainsi leur élaboration sur des bases objectives et en adéquation avec la réalité.
Étude et enquêtes réalisées
Le premier Plan directeur national (2004-2008) et la Stratégie nationale de lutte contre la drogue et la toxicomanie (2011-2015) ont permis, pour la tranche d’âge «jeunes» (15-25 ans) de relever ce qui suit :
Pour l’évaluation de la Stratégie 2011-2015, l’enquête réalisée a touché une population «Jeunes et Intervenants» de 2700 individus (1430 de sexe masculin et 1270 de sexe féminin, soit 1953 jeunes) et 747 intervenants (psychologues, sociologues, médecins, éducateurs et responsables de services sociaux…).
Concernant leurs principales sources d’informations, les enquêtés jeunes affirment recourir aux réseaux sociaux et Internet. Ils affirment n’avoir bénéficié que de peu d’informations et de formation sur la drogue et ses dangers venant des sources officielles d’éducation et d’information (Corps médical 8,9%, associations 5,2%, services de sécurité 5,1% et les enseignants à peine le tiers 34,4%). D’où les recommandations suivantes à titre d’exemple :
- développer des sites d’information fiables pour les jeunes en ciblant les sources d’information comme les réseaux sociaux et Internet
- multiplier les spots d’information à la radio, la TV et sites Internet.
- Les parents semblent les grands absents de ces informations, les sensibiliser et les encourager à échanger et à communiquer vraiment avec leurs enfants.
- observer et orienter les élèves à risque vers les spécialistes et centres de prise en charge de façon précoce, grâce aux équipes d’hygiène scolaire.
Suite à ce manque d’informations, les jeunes enquêtés ont une vision erronée de la dangerosité des drogues : ils sont certes conscients de cette dangerosité et en mesurent les risques pour certaines substances, mais près de 50% minimisent la dangerosité des solvants, du haschich/kif et des alcools. Ceci peut les rendre moins vigilants et les inciter à essayer tel ou tel produit, jugé «moins ou pas dangereux». A partir de là, d’autres recherches de la sensation éprouvée avec plaisir, lors des premières prises avec des produits «moins nocifs», risquent de s’enclencher. Ces résultats et ces constatations nous renseignent sur comment transmettre l’information et dans quel secteur il faudrait la renforcer. L’information ne doit pas cibler uniquement les jeunes mais également les enseignants tous cycles confondus, les équipes des Unités de dépistage et de suivi (réseau de 1616 équipes dont 1416 dans les institutions scolaires et 200 unités installées dans des services de santé), les parents d’élèves à travers leurs associations, mais également pour les jeunes non scolarisés, les maisons de jeunes des quartiers et des communes ainsi que les mosquées …
Ces résultats auprès des jeunes montrent l’impérieuse nécessité de revoir les stratégies et plan de communication, pour que chaque enfant/adolescent (scolarisé ou non) soit correctement informé et prévenu des risques encourus en consommant des drogues. La prévention est primordiale pour cette population. Sachant qu’elle peut être menée à trois niveaux : primaire (toute population confondue), secondaire (population à risques) et tertiaire (usagers et prévention des risques). Il serait tout indiqué pour cette tranche juvénile de mettre en place des programmes de prévention primaire. Le but est d’intervenir à un stade où le jeune se pose des questions et n’a pas développé des attitudes risquant de l’y conduire. Car l’adolescence étant une période difficile et consistant en une transition de l’enfance à l’âge adulte, l’individu peut connaître des moments d’angoisse et de perturbations psychosociologiques, l’amenant à des conduites à risques.
Une autre étude, l’Enquête nationale globale de prévalence des drogues en Algérie (ONLCDT/Ceneap 2010) a montré que ce sont les jeunes qui sont les plus consommateurs. Si la prévalence dans la société en général est de 1.15 les douze derniers mois, les 20-39 ans dépassent cette moyenne avec 1.48, alors que les moins de vingt ans (16-19 ans sont à 0.85% et 12-15ans à 0.12%).
Notons également, l’enquête nationale de prévalence des drogues en milieu scolaire (Ceneap/ONDLCDT 2016) avec un échantillon de 12103 enquêtés dont 52,7% de filles (âge des enquêtés 15-17 ans), est venue affiner et compléter cette enquête globale de 2010 sur la prévalence et a montré que :
a) la consommation du tabac sous toutes ses formes est de 14,3% pour l’échantillon total ;
b) près de 5% des garçons de 15-17 ans ont consommé des boissons alcoolisées durant les 12 derniers mois ;
c) les garçons âgés de 15-17 ans consomment 32 fois plus souvent du cannabis que les filles du même âge (7,42% contre 0,23%),
d) les garçons âgés de 15-17 ans consomment 6,8 fois plus de psychotropes sans avis médical que les filles du même âge (4,18% contre 0,61%) ;
e) les garçons âgés de 15-17 ans consomment 28 fois plus souvent de l’ecstasy que les filles du même âge (2,23% contre 0,08%) ;
f) 1% des garçons âgés de 15-17 ans ont consommé de la cocaïne, durant les 12 derniers mois, alors que les filles du même âge n’en ont pas consommé ;
g) les garçons âgés de 15-17 ans consomment 19 fois plus souvent de l’héroïne, durant les 12 derniers mois, que les filles du même âge (0,76% contre 0,04%). Nous sommes conscients du fait que ces chiffres doivent être pris avec beaucoup de prudence. Il s’agit d’une enquête par questionnaire et basée sur le déclaratif d’adolescents qui pourraient travestir leur déclaration pour des raisons «provocatrices» propres à cet âge. Néanmoins, il faut également être vigilant, car ces adolescents sont dans une période instable psychologiquement et avides de nouvelles sensations et expériences. De nombreux enseignements sont à tirer de cette enquête nationale, dont nous reprenons ici les principales recommandations :
- diminuer l’offre par la surveillance des écoles et de leur voisinage, car pour de nombreuses substances, c’est l’école ou ses environs qui ont été identifiés par les élèves comme endroit où on peut se les procurer ;
- prévenir au niveau du primaire, car l’âge d’initiation à la consommation de plusieurs substances est à la baisse ;
- accompagner les élèves en difficulté scolaire, car la note en dessous de 5/20 est apparue comme un des principaux déterminants de la consommation de produits ;
- informer correctement et de manière continue (au vu des nouvelles substances apparues), car les informations vagues et erronées concernant la légalité et la dangerosité de la consommation de produits constituent un facteur permissif.
- Soutenir et prendre en charge psychologiquement et médicalement les jeunes qui déclarent consommer des substances plus de 30 fois par mois. Pouvoir trouver un numéro de téléphone vert pour obtenir cette aide.
Conclusion
Les études et enquêtes réalisées, malgré leur limite, peuvent permettre de lire et de décoder une réalité souvent complexe. A l’adolescence les risques sont grands et une compréhension de cet âge sensible par les spécialistes peut apporter des réponses adéquates et donner sens à une situation souvent psychopathologique, avec un mode de protestation fait de recherche de plaisirs interdits, de jeux avec la mort et de conduites à risques, mais aussi et plus généralement, une faible estime de soi, des difficultés à s’affirmer, un mauvais contrôle émotionnel avec impulsivité et des difficultés à faire face aux événements.
Ce qui induit souvent une tendance à la révolte contre les conventions et l’autorité. Pour pouvoir agir efficacement et prévenir, il faut savoir détecter les signes d’appel et les situations à risque. Considérer l’adolescence comme une question de société, comprendre les jeunes, mieux les accompagner au niveau de tous les espaces fréquentés, cibler les groupes à risque et mettre en place des systèmes d’alerte précoce, en impliquant la famille dans la prévention et la prise en charge.
Pr. SEBAA DELLADJ FATIMA-ZOHRA , Psychologue clinicienne