- Quelles sont les conditions de l’émergence d’une économie locale solidaire ?
C’est essentiellement l’engagement des acteurs locaux d’une filière donnée et l’appui des autorités et des institutions locales. Dans le cadre du programme Capdel, nous avons travaillé sur un processus de planification à l’échelle de dix communes pilotes, qui s’est traduit par l’élaboration de plans communaux de développement de nouvelle génération. Et dans le cadre de ces plans communaux, il y a l’identification d’axes stratégiques traduits en objectifs et stratégies d’action. Donc, l’idée est de démarrer de cette vision des territoires, qui a été suffisamment élaborée et réfléchie, et d’essayer de concrétiser dans le domaine économique les projets qui vont du potentiel du territoire pour ne pas se disperser en faisant tout et n’importe quoi. Une économie locale et solidaire est une économie qui est ancrée dans le potentiel du territoire et qui mobilise les acteurs de la filière ou les filières concernées.
- Et dans ce sens, la décentralisation de la décision s’avère donc impérative ?
Bien sûr, on ne peut avoir de développement économique local avec des visions à partir d’un centre qui souvent ne connaît suffisamment pas les territoires. C’est-à-dire, il faut laisser chaque territoire se développer dans le cadre de grandes orientations, et l’Etat central, les ministères sont là pour accompagner ce processus mais pas pour dire, par exemple, à Messaad ce qu’il faut faire labelliser, la kachabia ou le burnous ou l’abricot ou la grenade. C’est à eux de décider de ce qu’ils veulent et les institutions centrales accompagnent ce processus dans le cadre d’une vision.
- Peut-on avoir une idée sur la nature des projets sélectionnés par les différentes communes pilotes dan le cadre du programme Capdel ?
En démarrant des plans communaux, nous avons accompagné les acteurs locaux à choisir un domaine sur lequel on voulait axer le développement local. A Timimoun par exemple, le choix s’est porté sur la valorisation de la datte et des produits du palmier. A El Khroub, il s’est agi de travailler sur comment pousser la filière gestion-valorisation des déchets. A Babar Khenchela, c’était le tapis, à Djanet, l’agriculture maraichère, à Ouled Benabdelkader et Djemila, le tourisme de montagne et culturel et à Ghazaouet, c’était au début l’aquaculture avant de penser au volet tourisme. Et à Messaad, c’est le tissage traditionnel de la kachabia et du burnous.
Donc ce sont ces domaines qui ont été identifiés et dans chacun d'eux, le Capdel a choisi de pousser une initiative stratégique, c’est-à-dire un ensemble d’actions cohérentes qui visent à enclencher une dynamique économique dans le domaine. Par exemple à Messaad, l’idée c’est de soutenir la filière du tissage traditionnel de la kachabia et du burnous, en réalisant une étude de marché, en organisant une grande rencontre de partage d’expérience, en poussant le dossier de labellisation, d’estampillage et le dossier d’inscription sur le patrimoine immatériel de l’Unesco et en aidant à la création d’un centre d’interprétation et ou de promotion de la kachabia et du burnous. En enclenchant ces actions avec les acteurs locaux, nous pouvons pousser le développement de la filière.
- Quel pourrait être l’apport de la concrétisation de ces projets locaux au développement de l’économie nationale ?
L’économie, ce sont des projets qui se réalisent et se concrétisent et non pas une vision sur du papier. Et là, nous avons des filières réelles, sur lesquelles il y a un potentiel et sur lesquelles il y a souvent un savoir-faire et des spécificités. Certaines de ces filières sont spécifiques, la kachabia de Messaad ou la figue de Beni Maouche ou le tapis de Babar sont des produits spécifiques, qu’il faut d’abord protéger, et aussi autour desquels il faut faire vivre une économie locale. Cette économie locale peut permettre d’avoir des produits et offres spécifiques. C’est-à-dire que demain, si cette filière se développe, nous n’aurons plus besoin d’acheter un tapis venu d’ailleurs. De plus en plus d'Algériens verront l’intérêt d’acheter un tapis de Babar, d’Ath Hichem ou de Ghardaïa plutôt qu’un produit standard.
Cependant, il faut que ces filières arrivent à évoluer, se moderniser et à offrir des produits compétitifs et à devenir accessibles. Là, je sors d’un atelier où nos amis de Beni Maouche sont en train d’expliquer la démarche de labellisation de la figue sèche. Ils disent que la région compte quatre catégories de figues, de la premium, qui est exportable et coûte cher, jusqu’à la marchande. C’est peut-être ce type de segmentation qu’il faudra faire pour la kachabia de Messaad, avec une variété de produits allant de la kachabia de bonne qualité accessible à 20 000 DA jusqu’à la kachabia de luxe de 150 000 DA. Toutes auront leur segment de clientèle.
- Il est donc impératif de passer par la phase labellisation ?
La phase de labellisation va beaucoup aider la filière à protéger et créer des standards, les diffuser et partager. Parce qu’aujourd’hui n’importe qui peut prétendre vendre la kechabia de Messaad, et nous, qui ne sommes pas de la région, risquons de nous faire avoir. Faire la différence entre poils de chameau et laine n’est pas donné à tout le monde, de même que dans les poils de chameau et les laines il y a différentes qualités. L’idée de labéliser, c’est d’offrir au consommateur la garantie d’une qualité et qu’un organisme indépendant la certifiée, comme la Chambre d’artisanat et des métiers pour les labels de tissage traditionnel.
Propos recueillis par Nadjia Bouaricha