Alors que la date de la rentrée des classes n’est toujours pas connue, les discussions autour du système d’éducation et d’évaluation des acquis des élèves sont toujours d’actualité. Dans cet entretien, Abdelkader Missoum, pédagogue et formateur, analyse la situation actuelle de l’apprentissage à l’école et donne des solutions pour mieux encadrer et évaluer les enfants.
- A quelques jours de la rentrée sociale et scolaire, comment peut-on évaluer, aujourd’hui, l’apprentissage à l’école ?
C’est une grande question que vous me posez là et qu’on ne peut pas aborder par une réponse aussi brève et aussi directe que cela. Parce que l’apprentissage chez nous est évalué à travers le système d’évaluation, c’est-à-dire à travers les examens. Or, l’évaluation de l’apprentissage doit prendre d’autres formes.
Actuellement, alors que nous nous appuyons principalement sur les examens pour évaluer les apprentissages, d’autres systèmes éducatifs à travers le monde utilisent des tests standardisés, comme PISA ou TIMSS, pour évaluer les compétences des élèves. Mais nous constatons un décalage entre les résultats des évaluations et les apprentissages. Nous constatons un décalage entre les résultats des examens et les compétences réelles des élèves.
Même lorsque les résultats des examens sont bons, de nombreuses lacunes persistent, notamment en matière de lecture et d’écriture. Cela signifie que nous ne devons pas nous limiter aux évaluations basées uniquement sur les examens. Cette année, une nouvelle tentative a été entreprise pour évaluer les prérequis en cinquième année, mais nous n’avons pas encore de résultats définitifs.
C’est une première étape vers une évaluation plus complète des apprentissages, mais nous devons encore analyser et améliorer ce processus. Il est important de noter que les taux élevés de redoublement en première année du cycle moyen et en première année du cycle secondaire ont soulevé des questions sur l’efficacité de notre système éducatif et de son mode d’évaluation. Ces taux élevés de redoublement suggèrent que des réformes sont nécessaires pour mieux évaluer les apprentissages et améliorer la qualité de l’enseignement.
- Y a-t-il d’autres manières d’évaluer un enfant?
Oui, il existe d’autres méthodes d’évaluation des élèves. Actuellement, nous observons un écart entre les évaluations en cours d’année et les évaluations de fin d’année. Il est essentiel de relier ces deux types d’évaluation de manière plus cohérente. Une approche intéressante consiste à revenir aux fiches de synthèse, tant revendiquées, pour relier les résultats des évaluations en cours d’année, tels que les compositions et les devoirs, aux examens de fin d’année. Le contrôle continu est très important aujourd’hui.
Parce qu’il est préoccupant de constater que même de bons élèves échouent parfois aux examens finaux, tandis que des élèves moins performants réussissent. Pour remédier à cette défaillance, il est essentiel, certes, de revenir au contrôle continu mais aussi de renforcer la confiance envers les enseignants et d’impliquer davantage les équipes pédagogiques dans le processus d’évaluation.
De plus, il faut aussi diversifier les méthodes d’évaluation, en incluant des évaluations orales et des travaux pratiques. Il est également temps de dépasser l’approche purement écrite de l’évaluation et d’adopter une approche plus holistique qui tienne compte des différentes compétences des élèves.
- Le problème de la formation des enseignants a toujours été relevé. Qu’en est-il réellement ?
Je pense que les améliorations apportées ne sont pas encore significatives pour leur donner cette importance ou pour atteindre l’effet escompté. La formation des enseignants est cruciale pour garantir la qualité de l’enseignement.
Les stages de formation actuels ne sont souvent pas suffisants et se concentrent principalement sur l’aspect académique de l’enseignement. La formation des enseignants doit aller au-delà de la simple préparation académique et prendre en compte les aspects pratiques de l’enseignement, tels que la gestion de la classe, les compétences relationnelles et les aspects psychologiques des élèves.
Pour former des enseignants compétents, il faut un processus de formation plus approfondi et plus prolongé. La relation entre l’enseignant et l’élève est complexe, et les enseignants ont besoin d’une expérience pratique pour comprendre les besoins de leurs élèves et gérer efficacement une classe.
La formation des enseignants doit être conçue pour répondre à ces besoins spécifiques. La formation des enseignants est quelque chose de très, très important et de très lourd et de très décisif pour la carrière d’un enseignant. Les petits stages qu’on fait, des petits stages de préparation aux métiers qu’on fait pour les enseignants, ne sont guère suffisants et la préparation seulement est académique.
Le niveau académique de l’enseignant de l’ex-étudiant ne peut pas lui suffire pour aborder sa carrière, parce qu’il y a un tas d’éléments qui viennent se greffer dans cette fonction, à savoir la relation humain, la relation pédagogique, les aspects psychologiques de l’enfant qui ne sont pas faciles à cerner. Il faut un vécu assez conséquent, assez long pour que l’enseignant puisse comprendre l’élève, puisse gérer une classe. Et ça, c’est toute une aventure, tout un apprentissage, toute une formation.
- Comment peut-on rendre les programmes pédagogiques plus efficaces et plus captivants pour une génération très connectée ?
Il y a plusieurs étapes à suivre. Tout d’abord, il faut revoir les programmes existant et les alléger. Les programmes actuels sont souvent trop chargés, ce qui peut être décourageant pour les élèves. Il est essentiel de favoriser l’interaction entre les différentes matières et de promouvoir l’interdisciplinarité. Il est tout à fait possible d’apprendre une langue en exerçant des mathématiques, et inversement.
Ensuite, il est important de mettre en place des méthodes pédagogiques qui favorisent l’apprentissage actif et l’engagement des élèves. Les enseignants doivent encourager les élèves à développer des compétences telles que le raisonnement, l’esprit critique et l’analyse. Il est également crucial de maintenir un équilibre entre l’acquisition de connaissances et le développement de compétences.
Enfin, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) peut être un atout majeur pour captiver les élèves. Les ressources numériques, les outils interactifs et les plateformes d’apprentissage en ligne peuvent rendre l’apprentissage plus attractif et permettre aux élèves de s’engager activement dans leur éducation.
- Justement, les mathématiques aujourd’hui sont au cœur de la stratégie de l’enseignement en Algérie. Comment pourrait-on justement améliorer ça?
L’enseignement des mathématiques est d’une importance cruciale, mais il peut être amélioré en trouvant un équilibre entre différentes approches pédagogiques. Dans le passé, l’Algérie a expérimenté diverses méthodes, notamment l’approche basée sur la théorie des ensembles et les mathématiques modernes. Cependant, ces méthodes peuvent parfois être trop complexes et chronophages.
Il est nécessaire de réfléchir à une approche équilibrée qui combine les aspects essentiels des mathématiques traditionnelles, tels que les opérations de base, avec des méthodes plus modernes qui mettent l’accent sur la compréhension, la résolution de problèmes et la pensée critique.
En outre, l’intégration des technologies de l’information et de la communication peut aider à rendre l’apprentissage des mathématiques plus interactif et attrayant pour les élèves. Il est essentiel de continuer à réfléchir à des approches pédagogiques qui favorisent la compréhension conceptuelle des mathématiques plutôt que la simple mémorisation de formules. Enfin, les enseignants doivent être formés pour mettre en œuvre ces méthodes de manière efficace et adaptée aux besoins de leurs élèves.
- Peut-on aujourd’hui numériser l’école ?
Absolument. Cette démarche est déjà en cours en Algérie. Le président de la République a encouragé l’introduction de tablettes et d’autres technologies éducatives dans les écoles. Cependant, il y a des défis et des préoccupations à prendre en compte. L’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) peut être un moyen efficace de rendre l’apprentissage plus interactif et accessible.
Cependant, il est essentiel de veiller à ce que les pratiques soient bien maîtrisées et cohérentes. Les enseignants et les élèves doivent être formés à l’utilisation de ces technologies de manière productive. De plus, il faut faire preuve de prudence pour éviter un usage excessif des TIC qui pourrait avoir des effets négatifs sur la santé des élèves, tels que les problèmes de vision, ou les exposer à des contenus inappropriés.
Il est donc nécessaire de mettre en place des règles et des pratiques appropriées pour garantir un usage responsable des TIC en classe. Numériser les manuels scolaires pour réduire la lourdeur des cartables est une excellente idée. Cela permettrait aux élèves d’accéder facilement aux ressources éducatives, sans avoir à transporter des sacs lourds.
Cependant, il est important de surveiller attentivement l’impact sur la santé des élèves, en veillant à ce qu’ils ne passent pas trop de temps devant des écrans. En fin de compte, il s’agit de trouver un équilibre entre l’utilisation judicieuse des technologies et le maintien d’une approche pédagogique équilibrée.
- Après une année d’intégration de l’anglais au primaire, quelle évaluation faîtes-vous ?
Il est encore trop tôt d’évaluer pleinement l’introduction de l’anglais au primaire, après seulement une année. C’est une mesure politique importante qui a suscité des débats parmi les pédagogues. L’introduction de deux langues étrangères en une même année est un gros risque pour les enfants qui n’ont pas encore maîtrisé le sens de l’écriture de droite à gauche, et le conctraire.
Les soucis de dyslexie sont importants. Cependant, si cette introduction se limite à l’enseignement oral de l’anglais, cela peut être bénéfique, car les enfants ont une capacité naturelle à apprendre plusieurs langues oralement à un jeune âge.
La décision de décaler l’apprentissage de l’anglais à la 4e années primaire peut sembler correcte. Mais les pédagogues n’ont jamais été unanimes sur cette question. Les résultats de cette approche seront plus visibles dans un an ou deux, lorsque nous aurons une meilleure compréhension de son impact sur l’acquisition des compétences linguistiques des élèves.
- Concernant les examens officiels, quelles seraient les améliorations à apporter ?
Les évaluations sont pauvres chez nous et les aborder sous l’angle seulement des examens officiels ne peut pas donner de véritables appréciations de l’apprentissage de l’élève. De ce fait, des améliorations sont nécessaires pour garantir qu’ils reflètent de manière adéquate les compétences et les connaissances des élèves.
Tout d’abord, il est essentiel de reconnaître que l’évaluation ne se limite pas aux notes obtenues aux examens. L’évaluation de l’apprentissage est un processus plus large qui implique la compréhension des élèves et de leurs compétences.
Il est important de rétablir la crédibilité des évaluations en cours d’année, telles que les compositions et les devoirs. Les évaluations en classe par des enseignants compétents sont essentielles pour comprendre si les élèves ont réellement acquis les compétences nécessaires. La note finale ne devrait venir qu’après avoir évalué la compréhension de l’élève.
De plus, il est nécessaire de réfléchir à la manière dont les examens officiels sont conçus. Actuellement, de nombreux examens se concentrent sur la restitution de connaissances et la mémoire, mais ils devraient évaluer davantage les compétences en résolution de problèmes, en pensée critique et en analyse. Les examens doivent évoluer pour refléter les besoins actuels de la société et du marché du travail.
La mémorisation est importante mais ne doit pas être le seul critère d’évaluation. Il est essentiel de comprendre que l’évaluation de l’apprentissage va au-delà des simples notes obtenues. Elle est un processus continu qui vise à évaluer la compréhension réelle des élèves et à les aider à développer des compétences essentielles pour leur avenir. Nos élèves sont intelligents mais si nous continuons ainsi, nous ne donnerons pas l’occasion à cette intelligence d’émerger.
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