M. Rahabi, quelles sont, selon vous, les principales attentes de ce 31e Sommet des Etats arabes, compte tenu du contexte géostratégique actuel et des divergences qui minent les relations entre les pays arabes ?
Une réunion de ce niveau, après trois ans d’absence, dans une conjoncture internationale exceptionnelle et dans un contexte de persistance de différends interarabes ne peut pas être considérée comme une réunion ordinaire. C’est en ce sens qu’elle suscite beaucoup d’attente, car si la question de la centralité de la question palestinienne n’a jamais été un sujet de débat, il y a le fait que les opinions publiques et les réseaux sociaux dans le monde arabe sont devenus des opérateurs de politique étrangère et que les Etats sont contraints de tenir de plus en plus compte de leur influence.
Le Sommet d’Alger a pris le sens de la mesure des défis majeurs, comme la géopolitique des matières premières, la question de la sécurité alimentaire et la question de l’eau mais le niveau de concertation de dialogue ou de coopération est encore faible par rapport aux autres organisations régionales et même par rapport au Conseil de coopération du Golfe. C’est une avancée par rapport aux questions débattues traditionnellement lors de ces réunions mais reste au monde arabe beaucoup à faire que les questions de citoyenneté et de gouvernance qui sont des demandes réelles de leurs peuples...
Le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a évoqué la nécessité d’arriver à un consensus entre les pays arabes. Cette perspective est-elle possible et quels sont les moyens à mettre en œuvre pour y arriver ?
M. Lamamra pose un problème de fond lié au fonctionnement même des instances de la Ligue - que l’Algérie appelle à réformer depuis 2005 - qui a été créée dans des conditions qui avaient rendue facile l’unanimité autour de la question palestinienne. Les différends interarabes, comme l’invasion du Koweït par l’Irak ont rendu obsolète cette règle en raison de la division des Arabes sur le recours à une coalition occidentale pour libérer le Koweït. La guerre en Syrie, en Libye et au Yémen ont accéléré la rupture avec l’unanimité et rendu incontournable le recours au consensus qui commande un certain niveau de convergences pour éviter les ruptures et la paralysie d’une institution qui ne peut évoluer à un autre rythme que celui des Etats qui la composent. L’exercice n’est pas aisé pour l’Algérie d’autant que beaucoup de forces agissent pour réduire la portée de ce sommet qui n’a pu se tenir que parce que notre pays y a mis tout son poids.
Les factions palestiniennes ont réussi ici même à Alger à unifier leur rang, cette dynamique de conciliation est-elle possible aujourd’hui en Libye et au Yémen ?
La réconciliation interpalestinienne ne pouvait se faire qu’en Algérie et par les Algériens, parce que tout naturellement, nous sommes les plus aptes à le faire en raison de notre attachement à l’unité des Palestiniens sans parti pris pour aucun des 14 groupes qui ont coopéré pendant une année avec les représentants algériens. Tous les Etats arabes ont été informés de ces contacts ainsi que les membres du Conseil de sécurité et de l’UA et l’on peut considérer, à juste titre, que c’est l’une des actions les plus abouties de la diplomatie algérienne en raison des multiples interférences et de la rupture qu’elle provoque avec les approches antérieures. L’initiative arabe de paix en sort renforcée et le retour à la voie constitutionnelle est un acquis qui peut servir de base à une possible initiative de réconciliation entre les différents acteurs locaux du conflit libyen. Il reste à convaincre les acteurs internationaux de la crise que l’instabilité en Libye ne favorise pas leur propre stabilité .
Quel commentaire pouvez-vous faire sur la non-participation du roi du Maroc aux travaux du 31e Sommet ?
Je pense que c’est une erreur diplomatique qui va rompre les derniers liens possibles entre les deux pays. Je m’explique. Traditionnellement, les deux chefs d’Etat des deux pays assistent aux différentes réunions aux Sommets tenus dans les deux pays, même dans les situations d’absence de relations diplomatiques. C’est un usage établi que le Maroc vient de rompre dans un scénario préétabli, à mon sens, car le roi du Maroc n’a presque plus d’activités diplomatiques contraignantes et d’envergure depuis plus d’une année et les Algériens auraient compris que des raisons de santé l’empêchent de le faire. Alger comprend les raisons de Mohammed Ben Selmane ou encore celles de l’émir du Koweït. Nous avons nous-mêmes connu depuis 2013 ces situations avec la maladie de Bouteflika.
L’absence peut-elle être liée à l’état des relations bilatérales ?
Les réunions au sommet sont en général organisées selon le schéma accordé par les ministres des Affaires étrangères et les documents adoptés souvent en l’état, ce qui donne aux dirigeants suffisamment de temps pour faire avancer les dossiers bilatéraux. Le Maroc, en adoptant cette attitude, veut mettre le Sommet à l’heure des différends algéro-marocains en activant trois des leviers diplomatiques et médiatiques de sa stratégie de la tension permanente avec l’Algérie.
Primo : Faire créditer l’idée que l’Algérie soutient l’Ethiopie dans son différend avec l’Egypte et le Soudan pour créer des tensions dans nos relations avec ces pays et mobiliser leurs opinions publiques et leurs médias contre l’Algérie. Cette question n’est pas par ailleurs sans lien avec les obstructions égyptiennes contre la démarche algérienne en Libye.
Secundo : Associer l’Iran à une prétendue assistance militaire au Polisario pour discréditer le combat de ce mouvement et diaboliser son principal soutien, l’Algérie, auprès des monarchies du Golfe et de l’opinion publique occidentale et des médias.
Tertio : Produire le sentiment que l’Algérie est un pays hostile à l’Occident en invoquant ses positions sur l’Ukraine et ses relations privilégiées avec la Russie.
A mon sens, notre pays devrait garder sa ligne en s’appuyant sur un consensus interne, une économie forte et une armée puissante et faire comprendre clairement que sa doctrine en la matière n’est pas destinée à le mettre en compétition avec le Maroc dans sa recherche permanente de ce dernier d’un statut d’allié privilégié de l’Occident, mais à consolider la souveraineté de sa décision de politique étrangère.
Est-ce que l’absence de certains chefs d’Etat et de monarques aura un impact sur la réussite du Sommet ?
Le niveau de représentation est dans la moyenne supérieure des Sommets arabes et il importe moins que le niveau des décisions qui engagent les Etats membres quel que soit leur poids. Il reste que la diplomatie aussi dispose des outils de régulation comme le recours à la réciprocité qui a le privilège du principe que tous les Etats sont égaux.