Abbes Ait R’zine. Auteur, compositeur, interprète : La force tranquille

18/06/2023 mis à jour: 14:05
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Abbes Ait R’zine

L’image de quelqu’un qui sait ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas. D’une grande discrétion et retenue, c’est de cette façon que cet artiste racé s’est construit note après note, chanson après chanson, un nom, une œuvre, un public et une carrière loin l’agitation, loin des feux de la rampe. Une carrière à son image de force tranquille.     

Né le 26 décembre 1961 à Alger, la famille de Abbes Ait R’zine rentre au bercail, au village de Guendouz, Ait R’zine, au lendemain de l’indépendance. C’est auprès de son frère aîné, Rabah, tombé en martyr du devoir national à Amgala, en 1975, lors de la fameuse Guerre des sables, qu’il apprendra les rudiments de la guitare. A la même époque, il intègre la troupe de musique locale affilié à la fameuse jeunesse du FLN, (JFLN) pour jouer d’abord de la derbouka. Il peaufine son oreille musicale et s’initie à la musique. 

A la maison, il y a toujours un instrument qui traîne dans un coin et des notes de musique qui viennent de quelque part. Il apprend en écoutant d’abord le grand maître de la chanson kabyle Slimane Azem avant de se mettre au «oud» pour suivre la route de l’autre grand maître, Cherif Khedam. 

En 1979, il fait un premier passage à la chaîne de radio kabyle dans une émission pour débutants. Puis, en 1981, il met le pied à l’étrier en enregistrant sa première cassette de 7 titres chez l’incontournable Mahboub Bati. Après le service national, Abbes Aït Rzine va fonder un foyer : mariage, enfants et obligations familiales jusqu’en 1993 quand il décide enfin de relancer sa carrière avec un album. Depuis, le chanteur produit un opus au rythme de tous les trois ans. 

Un papa figure de la musique folklorique 

Peu de gens le savent, mais son papa est un grand nom de la musique folklorique kabyle. Bon sang ne saurait mentir car il est le digne fils de Messaoud Ferhat (1902-1989), l’un des tambourinaires les plus réputés en Kabylie au siècle passé. Le papa a été lui-même l’élève d’Amar Ouziri, autre grande figue de l’école des «idheballen» des Ath Abbes. Une sacrée référence. A l’époque où les mariages étaient encore animés par ses musiciens traditionnels, la troupe de Messaoud Ferhat se produisait un peu partout en Kabylie et travaillait avec les plus grands comme Kaci Boudrar se produisait en France. 

«Il possède encore des enregistrements à la radio qui l’invitait régulièrement», dit Abbes. Sa vocation musicale ne doit donc rien au hasard. Il a toujours baigné dans cette culture et cette ambiance propres aux foyers des artistes. «Au départ, c’était juste une passion. Avec le temps, à partir de l’année 1997, j’en ai fait mon métier», dit cet homme qui possède plus de 85 chansons à son actif. 

De nature plutôt réservée, Hafid est quelqu’un qui reste volontiers dans son petit coin tranquille, loin du bruit et l’agitation. «Ça explique pourquoi je ne suis jamais rentré dans le milieu artistique», dit-il avec le sourire. Habituellement, il ne fait pas de pieds et des mains pour se faire inviter aux galas. «Je ne cours derrière personne mais si quelqu’un me cherche, il me trouve facilement», précise-t-il. 

C’est cette même démarche à laquelle il a fallu beaucoup de temps au milieu artistique pour le découvrir d’abord et l’intégrer ensuite. C’est ainsi qu’il va élargir petit à petit son cercle d’admirateurs dans le milieu musical comme dans le profane. Aujourd’hui, Abbes Aït Rzine, c’est un cachet, une signature, un profil qui possède son propre public. Il a tracé sa voie à sa manière : tranquillement, discrètement. Bien évidemment, même après une si  longue carrière, il a toujours ce doute qui taraude l’esprit des vrais artistes sur leur vraie valeur, leur place dans la société. 
Comme il le reconnaît lui-même, c’est à partir des années 2000, avec l’avènement de Berbère télévision qu’il va se faire connaître. Beaucoup d’artistes et de chanteurs vont faire appel à lui pour les accompagner sur scène comme au studio. 

Son travail d’artiste découle de sa philosophie de vie tout comme de sa propre vision du monde : «Je ne suis pas dans le commercial mais dans l’artistique. Je fais ce qui me plaît, ce qui correspond à mon tempérament, ma personnalité et mes valeurs. Si ça plaît, tant mieux sinon, au moins, je reste fidèle à moi-même», dit-il, sachant bien qu’avec le temps, il a fini par gagner le respect et l’admiration du public comme des gens du milieu qui lui reconnaissent un indéniable talent. «J’ai toujours essayé de forger mon propre style dans la composition comme dans l’écriture. Depuis tout petit, j’ai toujours pensé qu’un artiste doit tracer sa propre route. Ce qui peut faire la force d’un artiste et qu’il ne doit pas se limiter à un seul style, un seul genre, un seul registre. Même s’il puise à toutes les sources, il doit forger sa propre route. L’artiste est un melting-pot qui se nourrit de toutes les influences, de toutes les sensibilités, de tous les courants avant de produire son cachet propre», dit-il encore. 

«Formé à l’école de la scène»

Comme il le reconnaît lui-même, l’une de ses meilleures écoles d’apprentissage aura été «le cabaret». Pour le commun des mortels, ce lieu a une réputation sulfureuse mais, en fait, en l’absence de galas, de fêtes et de concerts, il a nourri beaucoup d’artistes. De plus, c’est une magnifique école pour tous les artistes qui se frottent à la scène, au chant face au public. «Pendant plus de 15 ans, je chantais chaque soir dans une discothèque. Je pense que si on ne passe pas par ce milieu, on ne risque pas vraiment d’apprendre le métier d’artiste. 

Là, on côtoie beaucoup d’artistes et on apprend à connaître tous les genres musicaux algériens de toutes les régions de l’Algérie ou même des styles étrangers orientaux ou occidentaux», poursuit Abbes qui se rappellent d’artistes de raï ou d’autres genres qui n’étaient pas du tout connus mais qui avaient un immense talent et une grande culture musicale. «J’ai beaucoup appris auprès d’eux. J’ai appris ce qu’un chanteur qui gratte sa guitare tout seul sous son olivier ne pourra jamais apprendre. C’est une grande chance d’avoir connu ce milieu», affirme-t-il encore. 

L’homme s’est également fait connaître dans le milieu artistique en tant que musicien et excellent instrumentiste. 
Sa maîtrise du banjo, du oud et du mandole va faire qu’il est très souvent sollicité pour travailler avec de grands noms de la chanson kabyle : Taleb Rabah, Aït Menguellet, Cherif Hamani, Akli Yahiaten et tant d’autres. 
«Je suis quelqu’un de réservé, de solitaire et mes chansons, plutôt mélancoliques, reflètent mon état d’âme…», dit de lui-même Abbes Aït Rzine. Comme tous les artistes, il ne compose pas, n’écrit pas sur commande. Seulement quand l’inspiration, cette mystérieuse muse qui ne vient que quand elle veut, sans jamais prévenir à l’avance, est là. «C’est comme si quelqu’un vient vous faire une offrande, un cadeau. 

Pour moi, cette personne qui vient a l’image d’un derwiche  qui arrive à l’improviste à un moment qu’il a lui-même choisi. Si je lui accorde du temps et toute mon attention, il peut me faire un beau cadeau en très peu de temps. En une heure, par exemple, je pourrais avoir une chanson presque finie», raconte Abbes. S’il ne lui accorde pas de l’importance, comme un oiseau, le derwiche finit par s’envoler. 

Des fois, l’inspiration s’arrête aux tout débuts d’une chanson qui ne se débloque que des années plus tard. Cependant, avec les moyens actuels, il reconnaît volontiers qu’il est plus facile de travailler. Avant, il fallait faire appel à des musiciens pour avoir un rythme, un accompagnement, les bonnes mesures d’une chanson. «La technologie actuelle offre un plus. Une fois qu’on a la ligne mélodique, on peut la travailler et l’enrichir», dit-il. 

En l’absence d’une vie culturelle, la situation de l’artiste chanteur reste malgré tout fragile et précaire. Surtout depuis l’arrivée des réseaux sociaux et la disparition de la cassette puis du CD. «Il y a beaucoup de travail pour un artiste mais les responsables de la culture se sont accaparés du secteur et font ce qu’ils veulent. Ils donnent du travail selon les affinités personnelles et régionales», déplore Abbes. «Plus on est éloignés des centres de décision, plus on est marginalisés. 

Ce sont toujours les mêmes qui sont invités aux festivals et aux galas là où il y a des cachets. Cela fait plus de six ans que je n’ai pas travaillé avec ma wilaya qui n’a pas fait appel à moi», dit-il encore. Alors, avec un groupe d’artistes qui s’estiment marginalisés, ils ont pris l’initiative de faire une pétition adressée au président de la République pour dénoncer la mainmise d’un certain groupe sur la culture. 

Malgré tout, bon an, mal an, Abbes Aït Rzine n’attend rien de personne et continue son petit bonhomme de chemin au grand bonheur de ses fans.   

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