Le lancement hier d’un satellite chinois a provoqué l’envoi d’un message officiel d’alerte sur tous les téléphones à Taïwan, quatre jours avant une élection présidentielle cruciale pour la sécurité de la région, rapporte l’AFP.
Peu après 15h (7h GMT), l’alerte, accompagnée d’une vibration, est apparue automatiquement sur les écrans des téléphones mobiles de l’île, appelant la population à «faire attention» : «La Chine a lancé un satellite qui a survolé l’espace aérien du Sud.» Le message a d’abord semé la confusion car la traduction en anglais évoquait un «survol de missile dans l’espace aérien de Taïwan». Le ministre des Affaires étrangères, Joseph Wu, qui tenait à la même heure une conférence de presse, s’est immédiatement voulu rassurant, confirmant qu’il s’agit bien d’un satellite, dont le lancement pouvait entraîner la chute de «débris» sur l’île.
«C’est pourquoi notre Centre national d’alerte lance ce genre d’alerte, cela s’est déjà passé auparavant», a-t-il assuré. Dans un communiqué, le ministère de la Défense a «présenté ses excuses au public», évoquant une erreur de traduction à l’anglais. Mais le ministre des Affaires étrangères a toutefois estimé que ce lancement s’inscrit dans le cadre d’une série d’activités menées par Pékin dans le but d’intimider Taïwan. «Avec ce type de menace contre Taïwan, je pense que nous devons être lucides et ne pas nous laisser provoquer», a-t-il déclaré.
Le lancement du satellite dédié à l’observation de l’espace a été annoncé, côté chinois, par la télévision d’Etat CCTV, qui a qualifié l’opération de «succès». Le satellite baptisé Einstein Probe (EP), qui utilise une nouvelle technologie de détection des rayons X, a été lancé à 15h03 (7h03 GMT) depuis le sud-ouest du pays, a précisé l’agence officielle Chine nouvelle. En avril 2023, la Chine a interdit pendant quelques heures toute navigation maritime dans une zone située au nord de Taïwan, en raison de la «possible chute de débris» liée au lancement d’un satellite. Mais elle a lancé son alerte quelques jours avant la date prévue du lancement, et non le jour-même.
Le candidat favori de l’élection présidentielle taiwanaise, le vice-président sortant Lai Ching-te, a accusé hier Pékin de tenter d’influencer par «tous les moyens» le scrutin, dont le résultat sera déterminant pour les relations entre l’île et la Chine.
Pékin s’immisce dans «chaque élection à Taïwan», mais cette année ses manœuvres sont «les plus fortes» jamais enregistrées, a affirmé Lai Ching-te, lors d’une conférence de presse. «Outre l’intimidation politique et militaire, la Chine utilise des moyens économiques, la guerre cognitive, la désinformation, les menaces et les incitations», a assuré le candidat, dont le Parti démocrate progressiste (DPP) affirme que Taïwan est déjà un Etat indépendant de facto. «Elle utilise tous les moyens pour interférer dans cette élection», a-t-il indiqué.
La Chine déploie régulièrement sa force militaire en envoyant des avions de chasse, des drones de reconnaissance et des navires de guerre autour de l’île. Elle a mené ces dernières années plusieurs exercices militaires d’ampleur, notamment pour simuler un blocus de Taïwan.
Cette semaine quatre ballons chinois ont franchi la ligne médiane qui sépare l’île autonome de la Chine, selon le ministère taïwanais de la Défense, tandis que 10 avions et quatre navires de guerre ont aussi été détectés. La Chine estime que Taïwan est l’une de ses provinces qu’elle n’a pas encore réussi à réunifier avec le reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949.
«Une fausse paix»
Pékin dit privilégier une réunification «pacifique» avec Taïwan, mais n’écarte pas l’option militaire pour y parvenir. «Tant qu’il y aura une relation d’égal à égal et digne, la porte de Taïwan sera toujours ouverte» à un dialogue et à une coopération avec la Chine, a affirmé hier Lai Ching-te.
«Mais il ne faut pas se faire d’illusions sur la paix. Accepter le principe chinois d’une seule Chine, ce n’est pas la vraie paix», a-t-il ajouté, en référence à la doctrine chinoise prônant le rattachement de Taïwan. «La paix sans la souveraineté, c’est juste comme Hong Kong. C’est une fausse paix».
Son principal adversaire, Hou Yu-ih, a averti que le DPP rapprocherait Taïwan «de la guerre». Ce dernier est le candidat du parti Kuomintang (KMT), qui prône des relations plus étroites avec Pékin.
Par ailleurs, le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a estimé hier que les relations entre son pays et les Etats-Unis se sont «stabilisées» l’an dernier, au moment où les deux premières puissances économiques renforcent le dialogue pour surmonter leurs différends.
Les relations entre Pékin et Washington se sont détériorées ces dernières années et leurs contentieux accumulés, du commerce à Taïwan, en passant par la rivalité dans les nouvelles technologies et la lutte d’influence dans la région Asie-Pacifique.
Mais les deux pays semblent désireux de renouer le dialogue, avec l’envoi l’an dernier par Washington de plusieurs hauts responsables à Pékin et une rencontre en novembre entre le président américain, Joe Biden, et son homologue chinois, Xi Jinping, à San Francisco, en marge d’un sommet de l’Apec. «Au prix d’efforts acharnés, les deux parties ont repris le dialogue et la communication, les relations bilatérales ont cessé de se dégrader et se sont stabilisées», a affirmé Wang Yi. Pékin «a clairement exprimé sa position et exigé que les Etats-Unis changent leur compréhension de la Chine et reviennent à une politique rationnelle et pragmatique», a affirmé devant la presse Wang Yi.
Les relations entre les deux pays demeurent crispées autour de la question de Taïwan, que le pouvoir chinois considère comme une partie intégrante de la Chine. Wang Yi a indiqué que Joe Biden a promis à Xi Jinping, lors de leur rencontre, que les Etats-Unis ne «soutiennent pas» l’indépendance de Taïwan.