6e Festival national du théâtre féminin d’Annaba : L’universitaire Ahmed Cheniki décortique l’œuvre théâtrale d’Ariane Mnouchkine

08/10/2023 mis à jour: 02:23
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Ahmed Cheniki

Au 6e Festival national du théâtre féminin d’Annaba, clôturé le 5 octobre, l’universitaire Ahmed Cheniki est revenu, lors d’un débat organisé dans le salon du Théâtre régional Azzeddine Medjoubi, sur l’œuvre de la metteuse en scène française d’origine russe, Ariane Mnouchkine, fondatrice, en 1964, du théâtre du Soleil, à Paris.

Cette compagnie de théâtre, créée sous forme de coopérative ouvrière,  s’est installée, à partir de 1970, à La Cartoucherie de Vincennes (une ancienne fabrique d’armement) dans la capitale française. 

Ariane Mnouchkine a imposé le même salaire pour tous les membres de la coopérative, aucune différence entre un machiniste et un metteur en scène. Sur le plan artistique, elle a adopté la musique vivante et la scénographie dynamique lors de ses spectacles. Elle s’inspirait souvent du théâtre japonais, comme le Kabuki et le Nô, des techniques du clown, de la Commedia Dell ‘arte, du conte, des marionnettes, des surmarionnettes, des formes populaires et de l’expression corporelle. «Ariane Mnouchkine posait beaucoup de questions sur le théâtre. Elle plaidait pour le dialogue des cultures, comme Peter Brook et Antonin Artaud. D’où la présence dans leurs travaux de formes empruntées à d’autres cultures (...) Pour elle, l’identité est le lieu d’articulation de nombreuses cultures. Il existe une sorte d’interactions des cultures. Il n’y a pas de culture pure», a soutenu Ahmed Cheniki.
 

La production collective

«Pour Ariane Mnouchkine, le théâtre ce n’est pas de la littérature. Et le théâtre n’est pas la vie. Elle dit que le théâtre est l’art du paradoxe en ce sens qu’il est à la fois production littéraire et représentation. La construction du texte théâtral est différente de celle du texte romanesque. Il a une vie particulière», a-t-il ajouté. Selon lui, le metteur en scène algérien, Abdelkader Alloula, s’est inspiré des travaux d’Ariane Mnouchkine. Il en est de même pour les dramaturges libanais Roger Assaf et le Marocain Tayeb Seddiki. 

Ahmed Cheniki a précisé que la création des premières coopératives théâtrales en Algérie était inspirée de l’idée d’Ariane Mnouchkine et pas de celle de «la Révolution agraire» (coopératives agricoles) qui portait sur «la production collective».  «Mnouchkine a travaillé pour créer un autre théâtre, une autre performance ouverte sur les autres cultures. Une manière pour elle de dire que sa propre culture est le produit des autres cultures. Cela est présent dans ses pièces les plus célèbres, 1789, 1793 et L’âge d’or. Des pièces enseignées à travers plusieurs universités dans le monde», a-t-il noté. 

Ariane Mnouchkine a mis en scène une trentaine de pièces de théâtre à partir de 1961. «Elle faisait du théâtre engagé dans le sens du rapprochement des autres cultures. Elle parle d’interfécondité des cultures et des traditions théâtrales. Elle n’a jamais dit que la forme théâtrale européenne était supérieure aux autres formes. Contrairement à Stanislavsky, Mnouchikne rejette la vision naturaliste du théâtre», a-t-il noté.
Rejet de l’expression 

 


( Ariane Mnouchkine)

 

 

«formes préthéâtrales»

Ariane Mnouchkine organisait, selon lui, des ateliers de formation pour des artistes africains et asiatiques au sein de La cartoucherie. Peter Brook, dramaturge britannique, en faisait de même au Théâtre des Bouffes-du-Nord à Paris. Ariane Mnouchkine, qui défendait l’autonomie du théâtre, avait refusé de faire partie du Collège de France et de participer au festival d’Avignon. «Mnouchkine faisait du théâtre qui permet au public de réfléchir et de participer aux spectacles, d’être partie du spectacle avec les comédiens», a noté l’universitaire. Il a critiqué l’usage par ses pairs de l’expression «formes préthéâtrales», qualifiée de raciste. «Par cette expression, on proclamait que ces formes sont sauvages, alors qu’elles sont aussi parfaites que les formes européennes du théâtre», a-t-il dit. 
 

Ces formes existent en Afrique, en Asie et dans les pays arabes.  Ahmed Cheniki, auteur du livre Le théâtre en Algérie, jeux, enjeux et pratiques, a évoqué, lors du même débat, le combat des femmes pour s’imposer sur la scène théâtrale dans le monde arabe et en Afrique, durant le siècle dernier. «En Tunisie et au Sénégal, des femmes ont créé des troupes pour défier ceux qui disaient que les femmes n’étaient pas capables de gérer une troupe de théâtre», a-t-il dit. Il a cité l’actrice égyptienne Rose El Youssef, une pionnière dans le théâtre égyptien. Rose El Youssef, qui jouait dans la troupe Ramses de Youssef Wahbi, a créé, au milieu des années 1920, un magazine culturel portant son nom où elle développait ses opinions sur le théâtre. «Le combat de ces femmes était limité. 

Dans les années 1930, 1940 et 1950, le regard porté sur la femme dans les pays arabes était négatif. Seuls quelques hommes de théâtre aux visions progressistes donnaient un peu d’espace aux femmes», a-t-il rappelé. Il a ajouté que certaines femmes se sont imposées, comme Habiba Msika en Tunisie «qui campait parfois des rôles masculins» au théâtre, alors qu’en Algérie «les rôles féminins étaient joués par des hommes, faute de comédiennes». 

 

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