LE 1er NOVEMBRE 1954, LES ARMES ONT PARLE
Au matin du 1er Novembre 1954, les armes ont parlé à travers l’ensemble du pays. C’est le commencement de la fin d’une ère coloniale qui est restée 132 ans. Une Révolution d’héroïsme et de la foi vient d’inscrire en lettres de sang et d’or la plus belle page de gloire de l’histoire de l’Algérie plusieurs fois millénaire. Le sentiment de l’urgence de passer à l’action découle de la conscience patriotique et de l’attachement aux valeurs universelles dont la dignité et les droits de l’homme ne sont pas des moindres.
Les neufs historiques sont-ils les héritiers du Messalisme ? On relève que les initiateurs du 1er Novembre ont rallié à eux les islamistes, les notables de toutes obédiences, laïques, berbères, des amis de la cause algérienne de toutes confessions mais dans le gros des troupes proviennent de la paysannerie. Il y aura, selon la déclaration du 1er Novembre 1954, l’appel à une adhésion personnelle se dissociant de leurs formations politiques, telles UDMA, Ulémas, PCA, tout en mettant le bloc historiquement dirigeant au centre de la décision et de l’orientation de la Révolution.
Le flambeau de cette Lutte de libération nationale est pris par une génération de jeunes purs, enthousiastes et dynamiques. Que d’insurrections populaires ont eu lieu depuis la résistance contre le système de l’injustice et de la terreur coloniale, d’un guerrier affilié à la Zaouïa Qadiria, l’Emir Abdelkader.
UNE NATION PLUSIEURS FOIS MILLÉNAIRE, FIÈRE DE SON PASSE
La continuité de l’action résistante reflète si bien cette logique d’une nation fière de son passé plusieurs fois millénaire et fonde et explique l’aboutissement à une éclatante Révolution populaire. Plus qu’un élan contestataire, la révolution fut l’acte de tout un peuple qui se souleva sous la direction d’une élite militante farouchement attachée à la légitime cause du combat révolutionnaire jusqu’à l’arrachement de l’indépendance nationale. Cette Guerre de libération nationale, qui a abouti à la décolonisation, devint aussitôt un modèle en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Le 1er Novembre 1954 consacra le début de la fin d’une présence coloniale et va ainsi aboutir à la renaissance de l’Etat moderne dans tous ses aspects. Le vent de la libération traversa l’ensemble du territoire, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest.
LE 1er NOVEMBRE 54, SOURCE DE LÉGITIMATION
La révolution algérienne n’est pourtant ni la révolution française jacobine ni celle bolchevique, elle est à l’image de la grandeur de son peuple. Elle est née de la profonde conviction des militants, elle ne glorifie point le culte de la personnalité comme ce fut le cas ailleurs. L’imaginaire national revisite la période 1954-1962, mais écrire l’histoire de la Révolution nécessite des matériaux que sont les archives et les témoignages des acteurs qui sont la source de légitimation de la vérité historique.
Mais l’histoire de la Révolution algérienne reste douloureuse. Certains acteurs restent muets devant des situations vécues.
Et comme disait Montesquieu : «Tout citoyen a le devoir de mourir pour sa patrie, mais nul n’est tenu de mentir pour elle.» Plus de sept kilomètres de rayonnages et des milliers de tonnes de nos archives sont déposées à Vincennes, Aix-en-Province ou Nantes. La revendication de rapatrier nos archives relève de notre souveraineté nationale.
SOIXANTE NEUF ANS APRÈS...
La commémoration de la Révolution intervient dans une étape nouvelle et importante pour notre pays, celle de la concrétisation des réformes politiques et institutionnelles dont la Constitution adoptée par le peuple le 1er Novembre de l’année passée. Soixante-neuf ans après, quel regard ont donc les nouvelles générations sur cette grandiose révolution qui reste toujours un modèle de décolonisation du XXe siècle ? Est-elle perçue comme l’événement le plus marquant de notre histoire de libération nationale ? Pour certains, c’est une révolution, pour d’autres, c’est une Guerre de libération, et même les historiens se trouvent partagés quant à la définition des concepts.
Une guerre suppose que l’Algérie était un Etat et qu’elle déclarait la guerre à un pays étranger dans les mêmes conditions institutionnelles de droit international de la notion d’un Etat avec son territoire, son armée régulière, sa diplomatie et l’ensemble de ses institutions dans une option unitaire du territoire. Une révolution est, par contre, l’essence même d’une organisation populaire sous la conduite d’un Mouvement de libération nationale qui a pour mission de mener, à la manière d’une guérilla, le combat pour l’indépendance du pays. Cela suppose une organisation militaire non de type classique mais une résistance anticoloniale par tous les moyens de lutte.
Or, au lendemain de la conquête française, il y avait l’Emir Abdelkader avec son territoire, son armée, son Etat à l’Ouest et Hadj Ahmed Bey dans le beylicat de l’Est avec son armée et son organisation beylicale, qui ont mené alternativement la bataille contre les Français. L’Algérie était une colonie de peuplement et non un protectorat comme ce fut le cas de la Tunisie et du Maroc par exemple. Guerre ou révolution, nous laissons ce débat de côté. Les hommes d’histoire et les chercheurs s’en occupent si bien.De novembre 1954 à juillet 1962, fut la période de lutte qui a vu la chute d’une République où plus de deux millions de soldats français, sans compter ceux de l’Otan, se sont succédé en Algérie pour y faire une guerre génocidaire dont le lourd tribut d’un million et demi de chouhadas qui viennent s’ajouter aux cinq millions et demi depuis 1830 à travers les résistances populaires dans notre pays. Par ailleurs, en France, et jusqu’à ce jour, comme le fait remarquer Benjamin Stora, la Guerre de libération nationale algérienne «continue de structurer en profondeur la culture politique française contemporaine».
LA RÉVOLUTION DE NOVEMBRE 54 : LA FOI ET LA DÉTERMINATION
Le peuple algérien a incontestablement mené une révolution qui restera inscrite en lettres d’or dans les pages de l’histoire contemporaine de l’humanité. Le peuple, unanime derrière le FLN et appuyant l’ALN, est sorti victorieux devant la plus importante force militaire que fut la France et ses alliés. Que d’atrocités vécues par notre peuple. Aujourd’hui, la France officielle reconnaît enfin la réalité de la guerre qu’elle a menée dans notre pays ainsi que les exécutions sommaires et tortures endurées par notre peuple. Drames et déchirements ressurgissent épisodiquement dans notre mémoire meurtrie et la Guerre de libération nationale nous livre chaque jour des problèmes non encore réglés des deux rives de la Méditerranée. Se pose alors la question de savoir comment assurer cette histoire pour la transmettre aux générations avec le maximum d’authenticité et donc de vérités historiques ? Nommer la guerre, revenait à reconnaître une existence séparée de l’Algérie. Aussi, pour la France, la question algérienne a été toujours conçue comme une affaire intérieure, ce qui fausse, au départ, toute approche mémorielle et historique. L’attachement des Algériens à leur patrie et leur disposition inconditionnelle à la défendre, les armes à la main, obligea les Français à revenir sur leur fausse conception de la réalité. Jacques Soustelle, en annonçant à son arrivée, en tant que nouveau Gouverneur d’Alger, qu’un choix avait été fait par la France.
LA RESTAURATION D’UN ÉTAT DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE
Ce choix s’appelle «l’intégration», souligna le changement important imposé aux responsables français sur un champ de guerre qui s’étendait à l’ensemble du territoire national. Du projet d’assimilation, on passait à celui d’intégration, mais trop épris de leur liberté, les Algériens repoussaient toutes les offres car un seul objectif comptait : libérer le pays du joug colonial. Le peuple veut restaurer son Etat. Conscient de la progression des événements, Michel Debré expliquait en 1956, avec passion, les enjeux et soutenait que «le destin de la France sera scellé d’une manière décisive en Algérie». La Révolution de Novembre 54 est devenue un modèle marquant, certes, par son organisation, sa discipline et son efficacité, mais elle l’est devenue aussi par les limites sans cesse repoussées du sacrifice dont nos compatriotes ont fait preuve. La foi et la hargne des Algériens ont laissé beaucoup de traces.
ON NE PEUT ÉTOUFFER LES CAUSES JUSTES
Toutes les guerres sont sales. D’autres le deviennent encore plus parce que, quelque part, des noms de criminels notoires, de bourreaux incontestés ou de monstres reconnus leur sont associés. Aussaresses, Bigeard, Le Pen les Papon... et beaucoup d’autres encore avaient ajouté à la salissure de la guerre celle du mépris, de la haine et de la non considération de l’être humain.Pour la seule ferme Ameziane de Constantine, de 1957 à février 1961, plus de 108 175 personnes avaient subi la torture, soit us de 500 torturés par semaine, une véritable usine à torture (1). Certains ont certes fini, au crépuscule d’une vie trempée de sang, par reconnaître leurs forfaits inavouables (2), d’autres continuent à nier, et d’autres enfin comme Aussaresses, affichent l’insolence et préfèrent faire l’apologie du crime. Il n’y a aucune fierté à tirer de la torture, quelle que soit sa forme.
DE LA TORTURE DANS TOUTE SA MONSTRUOSITE
De la géhenne à l’asphyxie par le gaz, à la baignoire, à tous les types d’atteintes à la dignité des hommes, la torture est toujours abjecte (3). Elle ne fait qu’en avilir les auteurs et les éclabousser de leur propre monstruosité. Mais l’atrocité de la guerre ne s’arrête point à la torture d’individus. Elle s’étend à celle du nombre. C’est ainsi qu’en 1959, un rapport officiel fait état d’un million de regroupés dans les camps de concentration (4). Et même Michel Rocard, alors stagiaire de l’ENA, rapporte le chiffre de «deux millions d’Algériens dans les camps de concentrations(5). Les Algériens mourraient autrement aussi. 40 000 d’entre eux ont été décimés par les mines antipersonnel, alors que 80 000 en sont restés handicapés à vie. L’enfermement sans jugement était devenu monnaie courante. L’assignation à résidence des militants nationalistes était la règle, les déplacements massifs de populations et internements relevaient de l’arbitrage. Autant d’injustices, d’atrocités et de terreurs qui renforçaient la foi du peuple, autour de l’ALN, en la lutte armée jusqu’à la libération totale et entière du territoire national. La France a eu recours à tous les moyens et subterfuges pour falsifier la réalité, mais on ne peut étouffer les causes justes surtout lorsqu’elles sont aussi nobles.
Les images d’archives n’arrivaient point à camoufler ou à faire oublier la réalité, et les innombrables saisies de journaux et d’ouvrages s’étaient avérées vaines. Plus de 586 journaux et périodiques et 269 en Métropole seront saisis, écrit l’historien américain Harrison. Pendant toute la durée de la guerre, il y a eu 44 saisies par an en Algérie et 60 en Métropole, révèle B. Stora, alors que, pour la seule année 1960, on a dénombré plus de 154 saisies et en 1961 plus de 127 saisies. Des ouvrages tels que La Question, La Gangrène, Nuremberg pour l’Algérie, La mort de mes frères, n’apparaissent que tardivement alors que la censure frappe des films comme Algérie en flammes de Vautier, les Statues meurent aussi d’Alain Resnais ou Murielle ou le temps de retour ou, encore, J’ai huit ans, drame psychologique de Yann le Masson et qu’animent les enfants algériens par leurs dessins. Dans le climat de guerre marqué par la violence, la passion et la tragédie, que de gouvernements ont démissionné. C’est uniquement à partir du discours du Général de Gaulle sur l’autodétermination du 16 septembre 1959 que la télévision a commencé, dans son émission «Cinq colonnes à la une», à traiter de la guerre d’Algérie. Mais les seules images de la vraie guerre seront diffusées aux USA par Fox Moviettone, qu’on ne verra que plus tard, dans le documentaire de l’Anglais Peter Baty «la guerre d’Algérie» ou les années algériennes diffusé en 1991 en tant que documentaire français.
L’OPINION FRANCAISE AUX COTES DU PEUPLE ALGERIEN
L’opinion française se mobilise contre les affres de la guerre. Les intellectuels tels que François Mauriac, Jean-Paul Sartre, Jacques Vergès, les porteurs de valises du réseau Jeanson etc., se mettent de la partie pour aider le peuple algérien dans sa lutte contre le colonialisme. En ce sens, l’ouvrage de Laurent Schwarz Le problème de la torture dans la France d’aujourd’hui est plus qu’édifiant. Après cinq ans d’une guerre cruelle, de Gaulle comprend l’impossibilité pour la France d’aller plus loin sur le chemin hasardeux de la guerre. Il appelle à l’autodétermination et dira : «Si je ne résous pas cette affaire, personne ne le fera à ma place, la guerre civile s’installera et la France perdra.» De Gaulle comprenait le danger. L’OAS, à elle seule, avait tué plus de 6000 hommes et femmes, selon l’un de ses responsables, sans compter la terre brûlée et la destruction massive de tout ce qui est mémoire de notre peuple.
UNE DES PLUS BELLES RÉVOLUTION DU XXe SIÈCLE
Toute guerre qui se prolonge, sans que se concrétise un espoir de victoire, engendre la lassitude, note à juste titre B. Stora (6). Après les accords d’Evian, l’Algérie retrouvait son indépendance après avoir mené l’une des plus grandes révolutions de ce siècle. En Algérie, cette guerre se nomme Révolution.
C’est l’acte fondateur de l’Etat moderne dont la carte sera déposée à la Cour de La Haye en tant que nation millénaire et dont l’Etat, au sens moderne, s’affirme en termes de droit international. Le 1er mars 1962, un rapport transmis à l’ONU évalue le nombre de musulmans pro-français à 263 000 personnes (7) et le 19 mars de la même année, les ponts vers la paix sont jetés. Une paix qui, longtemps après, ne sera pas moins intense que la guerre elle-même. En Algérie, c’est une véritable guerre populaire, c’est-à-dire une Révolution au sens étymologique du terme.
C’est un peuple qui en a ras-le-bol d’une injustice séculaire, voulant être aliénante qui a décidé d’affronter à mains nues l’arsenal de guerre le plus moderne de son temps. Elle est à la fois une Révolution accomplie, c’est-à-dire devant aboutir à des profondes mutations sociales, cultuelles et économiques. Parce qu’elles sont trop profondes, les blessures causées par la guerre demeureront, des dizaines d’années plus tard, un obstacle à l’oubli. Sans haine ni passion, les Algériens auront gardé les terribles séquelles d’une colonisation des plus atroces.
En face, les politiciens français continueront, tout aussi longtemps, de nier la guerre. De l’ENA au PPA, puis au MTLD, l ’OS, le CRUA, c’est cette chaîne ininterrompue de combats qui est la matrice généalogique de ce que sera le couple FLN/ALN qui, au nom des 22 historiques, engage la Révolution armée en opérant non une mutation mais une rupture avec le «Zaimisme» avec celui qui fut nommé «le père du mouvement de libération». L’histoire officielle l’avait mis au banc des accusés lorsqu’il a décidé de créer son MNA. Il reviendra aux chercheurs et historiens de dépoussiérer les archives et de relire le contexte pour qu’au recul, arriver à présenter dans toute la vérité historique les fondements de toute initiative et tirer le bon grain de l’ivraie. Une manière de revisiter l’histoire contemporaine sans passion ni parti-pris. On ne peut pas éluder le débarquement anglo américain à Alger en Novembre 1942 et la Charte de l’Atlantique signée entre Churchill et Roosevelt. La répression sanglante du 8 Mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata et partout à travers le pays sera annonciatrice du commencement de la fin de la Colonisation en Algérie préparant ainsi l’insurrection du 1er Novembre 1954 sous la bannière du FLN/ALN.
En évoquant le rêve de toute une génération militante de voir la jeunesse algérienne post-indépendance s’aguerrirent les technologies les plus pointus dans le domaine aéronautiques, voilà que ce rêve se concrétise devant ce savoir-faire de l’élite de notre armée nationale légitime héritière de l’ALN d’une maîtrise comparable et digne des pays les plus développés, les premières photos interceptées par les trois satellites dernièrement mis en orbite, nous donne cette fierté de l’acquis que nous a offert la Révolution du 1er Novembre 1954 issue d’une nation qui a inscrit son nom en lettres d’or dans l’histoire contemporaine.
C’est autour de la matrice fondamentale que peuvent émerger les dynamiques nécessaires pour renouveler cette vision d’une Algérie nouvelle donnant la chance à ses enfants de parvenir à une autre étape où les enjeux sont drivés par l’intelligence artificielle au centre des stratégies nouvelles par le savoir-faire, le pragmatisme et une légitimation charismatique, rationnelle capable de hisser l’Algérie dans le concert des nations.
Par le Dr Boudjemaâ Haichour
Chercheur universitaire, ancien ministre