66e anniversaire de l’embuscade de Lalla Aouda (Tipasa) : Pourquoi s’obstine-t-on à étouffer les actes héroïques des jeunes Algériens ?

26/02/2023 mis à jour: 11:01
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Elèves de l’Association Fort de Cherchell face la stele de Lalla Aouda

Un avion de type Piper-Cup, équipé d’un fusil mitrailleur Rezible, qui escortait le long convoi de l’armée coloniale à basse altitude, a été abattu ; 18 véhicules de transports des troupes françaises ont été détruits ; 50 militaires français tués et plusieurs autres blessés, dont des officiers, un lot d’armement composé de 15 carabines US, de 14 mitraillettes mat 49, 11 fusils US Barent, 2 mitrailleuses US30, 3 postes-radios, plusieurs documents confidentiels récupérés», tel est le bilan communiqué par l’officier de l’ALN, Ghebalou H’Mimed, communiqué à l’issue de l’embuscade commandée en cet après-midi du jeudi 28 février 1957 par le chef commando héroïque de l’ALN, Noufi Ahmed dit Abdelhak (1932-1957). 

Cette embuscade, minutieusement préparée par le chef du commando régional de la Zone IV de la Wilaya IV, aura duré une trentaine de minutes. Le commandement de l’ALN de la Wilaya IV lui avait fourni à Si Abdelhak un renfort de maquisards dirigé par le capitaine Slimane Sihka. Auparavant, à l’entame de la saison estivale 1956, le chef du commando de l’ALN (Armée de libération nationale), de la Wilaya IV, Si Abdelhak Noufi, âgé seulement de 25 ans, s’est plusieurs fois illustré quand il affrontait les forces ennemies. Avant de continuer sa mission en compagnie du commissaire politique, Ghebalou H’Mimed, rentrant dans le cadre du maillage de la région ouest de la wilaya de Tipasa, le jeune militaire farouche avait tendu une embuscade contre un petit groupe de militaires français à Gounini (Hadjret Ennous). 

Avant de se rendre à l’extrémité sud-ouest de la wilaya de Tipasa, il avait mené une violente bataille au mois de juin 1956, contre les militaires français, bien armés, dans les maquis de l’arrière-pays de la localité côtière de Gouraya, au douar Saâdouna. Il s’est dirigé ensuite en compagnie de ses djounoud vers Adouiya (Beni Mileuk). Le chef du commando de l’ALN, Si Abdelhak Noufi, s’est avéré un redoutable militaire. La fondation du colonel Youcef Khatib, de la Wilaya IV historique, avait recueilli dans le passé des témoignages sur cette embuscade de Lalla Aouda. 

Nombreux témoins sont malheureusement décédés. Notre présence sur les lieux, en 2009, au niveau de l’auberge de la jeunesse de Damous (Tipasa), nous a permis de discuter longuement avec les moudjahidine, anciens maquisards du commando de l’ALN commandé par Si Abdelhak. Ils avaient participé à l’embuscade. 

Le moudjahid, Dr Youcef Khatib, dit colonel Si Hassen, était présent à cette rencontre. Nos deux témoins sont venus des wilayas de Blida et de Médéa, en dépit de la fatigue du voyage et du poids de leur âge, ils nous révèlent que le chef du commando, Si Abdelhak, défiait la mort, il ne connaissait pas la peur, affirmaient-ils. «Il n’a pas cessé de nous encourager avant l’arrivée des troupes ennemies», nous disent-ils. «Il m’a remis sa montre nous indique l’un de nos deux témoins, ému et en larmes, me voyant que je changeais de place avant l’accrochage, il me disait Allah errahmou, je vois que la peur t’empêche de rester à ta place, mais je vous assure m’explique-t-il, il nous encourageait toujours par ses mots, afin que nous puissions garder notre calme et notre concentration, avant l’arrivée du convoi militaire français qui allait venir de Beni Mileuk pour se rendre à Damous», nous disait cet ex-membre du commando venu de Médéa. Quant à son camarade venu de Blida, il enchaîne : «Nous avons senti à travers ses mots et ses ordres, après avoir remis sa montre, que notre Si Abdelhak allait vivre sa dernière bataille contre les forces militaires de la France coloniale. Nous avons vécu des moments intenses, terribles lors de l’accrochage. Finalement, il est tombé au champ d’honneur, les armes à la main.»  Un autre habitant de Damous, venu nous apporter son témoignage : «J’étais dans mon petit camion chargé de charbon, les djounoud m’avaient arrêté. Ils m’avaient proposé deux solutions, soit de me cacher sur le lieu de l’embuscade et garer mon véhicule, sinon, je devais rebrousser chemin. Ils avaient l’air pressés, celui qui m’avait parlé n’avait pas  l’accent de notre région. J’avais peur. J’avais préféré m’arrêter et me cacher sous mon camion. A ma grande surprise, les djounoud m’avaient apporté une galette chaude, d’où avaient-ils fabriqué ces galettes, c’était une énigme pour moi. Je me suis immobilisé sous mon camion. Des bruits de moteur brisaient le silence. Le convoi militaire commençait à s’approcher de notre zone. Un petit avion survolait les lieux. Il escortait le convoi. Subitement, j’avais entendu des rafales et des cris. C’était incroyable. Quelqu’un m’a ordonné de quitter les lieux. J’ai rapidement mis en marche le camion pour échapper à la mort, car l’accrochage était très violent», conclut notre témoin de Damous. 

Selon les affirmations du capitaine de l’ALN et commissaire politique, Ghebalou H’Mimed (1936-2016), compagnon et ami du chahid Si Abdelhak, les officiers français avaient retenu la leçon de leur défaite dans l’embuscade de Tizi Franco (Menaceur). 

Les combattants de l’ALN avaient réussi à dévisser le fusil mitrailleur qui se trouvait sur le toit de la tourelle du half-track. Les militaires français avaient alors décidé de souder le fusil mitrailleur sur le toit de leur half-tracks. Le chef du commando de l’ALN, Si Abdelhak, ignorait cela. Au moment où ses éléments tiraient sur les soldats français, alors que l’avion était abattu, le chef du commando Si Abdelhak avait courageusement sauté sur le half-track pour «dévisser» le fusil mitrailleur, après avoir neutralisé son conducteur et son tireur. Il n’a pas pu détacher la mitraillette. Les minutes défilaient. 

Devenu une cible facile, à la portée des militaires français, il a été atteint mortellement des tirs nourris ennemis. Il décède immédiatement. Le repli des membres du commando était prévu, selon la tactique conçue par Si Abdelhak, afin d’éviter l’affrontement contre l’arrivée massive du renfort, qui allait se rendre sur le théâtre de l’accrochage. 

Les membres du commando de l’ALN, emportant avec eux les armes, les munitions, les postes-radio et les documents se sont dispersés dans les maquis. 

La fumée, qui se dégageait des camions atteints par les balles des djounoud, illustrait l’importance de l’embuscade que menait par le commando héroïque  de l’ALN de la Wilaya IV. Frustrés, humiliés et devenus impuissants face à cette attaque surprise des moudjahidine, les militaires français s’étaient acharnés contre les familles rurales désarmées qui habitaient dans les alentours de Lalla Aouda et les hameaux environnants. 

Plusieurs centaines d’Algériens ont été tués lors de ce massacre perpétré par les soldats de l’armée coloniale. Cette embuscade avait fait l’objet de nombreux articles publiés dans la presse française et internationale. En 2023, la stèle de Lalla Aouda se trouve dans un état honteux, lamentable. La tombe quelconque, «invisible» du chef commando Si Abdelhak est inconnue chez les citoyens. 

Elle se trouve au cimetière de Cherchell. Elle n’échappe pas à l’amnésie, y compris pour commémorer la date de son sacrifice pour l’indépendance de sa patrie, à l’instar de ses nombreux compatriotes, femmes et hommes chouhada. Des dates qui ne sont jamais commémorées.  

L’héroïne Yamina Oudaï est un autre exemple. Si Abdelhak Noufi était l’un des joueurs de l’équipe martyre du MSC (Mouloudia Sportif Cherchellois). 

Les soldats français avaient exposé son cadavre criblé de balles, tel un trophée de guerre, dans les places publiques et les marchés de toutes les agglomérations qui jalonnaient le littoral depuis Damous jusqu’à sa ville natale, Cherchell, afin de démoraliser et faire peur aux familles algériennes qui soutenaient l’ALN. 

Hormis quelques timides initiatives, «sans visibilité», de certaines associations locales qui avaient pris de timides initiatives, quand des témoins étaient en vie, afin de relater l’état d’esprit et le courage de la jeunesse algérienne durant la guerre de Libération nationale, décidée de surcroît à libérer le pays au prix de leurs sacrifices, mais pourquoi des décennies après l’indépendance, s’obstine-t-on alors à étouffer les actes héroïques et patriotiques de la jeunesse de cette époque, dans cette partie ouest de la wilaya de Tipasa ? Des repères écartés pour dérouter la jeunesse. Pas d’enseignement sur l’histoire authentique racontée par des vrais témoins, aux générations futures. Gloire à nos chouhadas. 

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