Les Jeunes artistes tunisiens (JAT), une association culturelle de création récente, installée à Hammamet, a présenté, le 28 janvier, à la maison de la culture Mohamed Lamine Lamoudi, le monodrame Sapiens, à la faveur du 3e Festival international du monodrame féminin à El Oued.
Interprété par Oumayma Ouni, Sapiens est mis en scène par Sofiene Meftah, d’après Le pompier Théos du dramaturge irakien Abdenabi Zaïdi, adapté par Mourad Slingui. C’est l’histoire d’une jeune femme face à des dilemmes existentiels. «Mon problème est que j’appartiens à une époque qui n’est pas la mienne», dit-elle à plusieurs reprises. Une femme habillée en noir qui n’a pas de prénom et qui parle comme une philosophe. Elle aide à éteindre les feux en tant que pompier.
Même ce métier la fatigue, la rend amère. «A chaque fois que j’éteins un feu, un autre démarre. Jusqu’à quand, la guerre, les engins explosifs, les incendies...», crie-t-elle en portant un casque rouge. Le feu répare, réchauffe, modifie, cuit et détruit, tout dépend de sa source. En colère, elle dénonce le radicalisme religieux qui cible les femmes en usant d’un mégaphone sur scène pour amplifier la voix et rappeler les manifestations. Elle évoque les drames d’une danseuse, livrée aux quolibets sociaux.
Elle parle d’un père qui a perdu son enfant. Elle prend un micro pour faire une confession sur fond de musique mélancolique : «Nous n’avions rien à gagner de la guerre ni une jumelle ni un demi-poulet. La guerre d’une patrie qui ne se rappelle de nous que dans des guerres.
Une guerre qui a pris tous les beaux souvenirs avec nos enfants, a pris leurs jouets, leurs ballons, leurs chuchotements, leurs rires dans les détails de nos maisons... a pris leurs petits rêves. Une guerre qui a pris nos épaules ayant porté nos enfants encore petits. Nous étions heureux parce qu’ils allaient eux-mêmes nous porter une fois adultes.»
Cette voix d’outre-tombe ajoute : «Je veux rêver d’un grand nombre de lettres, noyées d’amour et d’erreurs d’orthographes, envoyées par les soldats à leurs copines. Je veux sentir l’odeur du tabac de mon père et l’épingle parfumée de ma mère. Je me rappelle du dernier dîner avec mes huit frères avant qu’un obus ne détruise notre maison et nous envoie vers nos tombes... Je veux sortir de ma maison et y revenir comme je suis sorti, indemne.»
Une situation pénible
Cette confession évoque la situation actuelle en Palestine où des civils sont quotidiennement bombardés par l’armée israélienne depuis plus de trois mois. A Ghaza, la mort rôde partout, des familles entières sont décimées et des enfants, par milliers, tués. Dans le spectacle, les Palestiniens sont représentés par l’enfant Mahmoud et le poète, morts sous les bombes d’Israël. Le personnage évolue dans un carré blanc qui change de couleur à chaque changement de situation, de personnage ou d’état d’âme.
Par des petites ouvertures, des mains couvertes de gangs noirs donnent des choses au personnage, un jouet, une bouteille de liqueur, un micro, un carnet, un bouquet de roses... Sapiens, un spectacle à teneur politique, évoque la situation de plus en plus pénible dans la région arabe où des pays ont été détruits ou poussés à l’instabilité chronique. Il n’y a qu’à citer le Yémen, la Syrie, l’Irak, la Libye, le Soudan, la Somalie, le Liban, etc.
Un hasard ? Le personnage évoque aussi le pillage du pétrole en Irak par les Occidentaux (le même phénomène est constaté en Syrie) et la situation interne en Tunisie. Sapiens est le premier monodrame de Oumayma Ouni. «Au début, c’était un peu dur. Il fallait maîtriser la langue arabe du texte qui est un peu narratif. L’espace réduit représente notre situation en tant que femmes. Nous sommes toujours encerclées, nous ne sommes pas assez libérées. Je campe sept personnages et chaque personnage renvoie à l’autre», a souligné la comédienne. Le secret, selon elle, est de dégager une énergie sur scène pour capter encore plus les spectateurs même si le texte peut être surchargé.
L’art pose souvent des questions...
Le metteur en scène s’est basé sur l’éclairage pour donner de l’épaisseur à une scénographie quelque peu étouffante et a eu recours à de la musique, y compris du rap, pour souligner la forme contemporaine du spectacle et donner des virgules à un texte rebondissant qui incite aux questionnements et à la réflexion. L’art pose souvent des questions sans apporter de réponses.
L’interprétation rythmée de Oumayma Ouni a donné du tonus au spectacle suscitant beaucoup d’applaudissements après la scène finale. Sapiens est à sa deuxième représentation. La générale a été donnée, en décembre 2023, au festival de Kélibia, en Tunisie, où Sofiene Meftah a décroché le prix de la meilleure mise en scène et Oumayma Ouni, celui de la meilleure comédienne.
Un autre spectacle a été présenté, le même jour, Hawa, un monodrame produit par l’association Nahda de Bordj Menaïel (Boumerdès), interprété par Houria Boussouar et mis en scène par Brahim Nefnaf. Il s’agit d’une histoire tragique d’une fille, grandie dans un orphelinat, mise à la marge par la société, après avoir enfanté en dehors du mariage. Un sujet maintes fois abordé par le théâtre, la littérature et le cinéma algériens mais qui reste toujours tabou. Le 3e Festival international du monodrame féminin à El Oued se déroule, pour rappel, jusqu’au 30 janvier 2024.
El Oued
De notre envoyé spécial Fayçal Métaoui