Pendant des siècles, un système lacustre permettait d’approvisionner en eau de Bangalore, au Sud de l’Inde. Mais depuis que cette ville est devenue la capitale indienne de la tech, elle a perdu les trois quarts de ses lacs et pourrait, selon des experts, ne plus être en mesure de répondre aux besoins en eau de ses près de 12 millions d’habitants.
C’est ce qui a décidé Anand Malligavad, ingénieur en mécanique, à passer à l’action. «Les lacs sont les poumons de la terre», insiste cet homme âgé de 43 ans, surnommé «lake man» (l’homme des lacs). Autour de lui, il dit aux gens : «Si vous avez de l’argent, autant le dépenser pour les lacs.
Cela vous servira dans des décennies». La pénurie d’eau est un problème chronique en Inde, qui compte près d’un cinquième de la population mondiale mais seulement 4% de ses ressources en eau, selon le groupe de réflexion gouvernemental NITI Aayog. L’ingénieur s’est d’abord attaqué à un site asséché et rempli de détritus, devant lequel il passait en allant travailler.
«Nappe phréatique précaire»
Il a commencé par étudier les techniques utilisées sous la dynastie Chola, qui régna sur le sud de l’Inde pendant des siècles et transformait en réservoirs les terres situées à basse altitude. Sur les 1850 lacs de la ville qui stockaient les fortes pluies de la mousson et contribuaient à reconstituer les nappes phréatiques, il n’en reste que 450. Beaucoup ont été asséchés pour faire place à des immeubles, et la bétonisation des canaux provoque des inondations lors des fortes pluies, empêchant le stockage de l’eau.
Selon le centre de recherche local Water, Environment, Land and Livelihoods (WELL), près de la moitié de Bangalore dépend pour ses besoins en eau de forages souterrains intensifs qui finissent souvent à sec durant la période estivale. Nombre d’habitants sont contraints d’avoir recours à une eau coûteuse acheminée de loin par camion citerne. Et le problème pourrait s’aggraver avec le changement climatique. «Nous dépendons d›une nappe phréatique précaire et qui va l›être de plus en plus en raison des précipitations plus aléatoires», affirme Veena Srinivasan, directrice de WELL.
«Nous n’avons déjà pas assez d’eau potable et les sources dont nous disposons, nous les polluons.» Remettre en état le système lacustre peut permettre d’atténuer le problème même si la ville a besoin d’un plan de gestion des eaux urbaines à grande échelle, estime cette spécialiste. Selon M. Malligavad, qui a fait le tour de plus de 180 lacs anciens, leur restauration n’est pas trop coûteuse car elle nécessite simplement de la terre, de l’eau, des plantes et des canaux.
«La pluie viendra»
Le processus est simple, dit-il. Il commence par drainer l’eau restant dans le lac avant d’enlever le limon et les mauvaises herbes. Puis il renforce les barrages, restaure les canaux et crée des lagunes, avant de replanter des arbres et des plantes aquatiques.
Ensuite, n’y mettez rien. Naturellement, la pluie viendra et un écosystème verra le jour. Il a convaincu son entreprise, un fabricant de composants automobiles, de débourser environ 110 000 euros pour financer son premier projet, le lac Kyalasanahalli, d’une superficie de 14 hectares.
A l’aide de pelles mécaniques, l’ingénieur et ses ouvriers ont mis 45 jours à déblayer le site en 2017. Et quelques mois plus tard, avec l’arrivée de la pluie, il faisait du bateau sur des eaux fraîches et propres. Depuis, il se consacre à plein temps à la remise en état de lacs, avec des fonds qu’il collecte auprès d’entreprises.
A ce jour, plus de 80 lacs représentant un total de plus de 360 hectares ont été rendus à la vie et il a étendu son activité à neuf autres Etats indiens.
Ce qui permet, selon lui, d’approvisionner en eau des centaines de milliers d’habitants. Malgré les violences d’un gang et les menaces de magnats de l’immobilier qu’il dit avoir subies, l’homme des lacs entend poursuivre sa mission. Son plus grand bonheur reste de voir des enfants nager dans l’un des lacs qu’il a restaurés.