L’enquête sur le meurtre du célèbre avocat n’a encore mené à aucune arrestation. Même l’emblématique dossier de l’assassinat du président Jovenel Moïse, abattu chez lui le 7 juillet 2021, est à l’arrêt : en mars, un quatrième juge a été chargé de l’instruction mais, après un mois, celui-ci s’est plaint de ne pas encore disposer ni du dossier ni de moyens pour travailler.
Il est devenu si dangereux pour les avocats de Port-au-Prince d’aller au tribunal de première instance... qu’ils n’y vont plus ! Aucune audience ne s’y est tenue depuis des mois, illustration d’une justice en Haïti mise en échec par les gangs.
«Pour le mois de février, nous avons eu sept kidnappings au barreau et un agressé par balles», relate à l’AFP Me Marie Suzy Legros, bâtonnière du barreau de la capitale haïtienne.
Avec plusieurs dizaines d’autres confrères et consœurs en robe, l’avocate a manifesté vendredi devant la résidence officielle du Premier ministre, Ariel Henry, pour dénoncer l’insécurité à laquelle ils sont confrontés. Relocaliser le palais de justice de Port-au-Prince est l’une des premières revendications des protestataires.
Très rares sont encore les professionnels du droit à se risquer à descendre à cette cour : l’établissement fait directement face à des bidonvilles qui servent de quartiers généraux aux gangs les plus puissants du pays.
Longtemps cantonnées dans ces zones très défavorisées du bord de mer de Port-au-Prince, les bandes armées ont grandement accru leur emprise à travers la ville et le pays, multipliant assassinats et enlèvements crapuleux. D’où l’exaspération des avocats haïtiens, aggravée par l’inertie d’un système judiciaire privé de moyens pour fonctionner.
Tribunal assailli par les gangs
Face à la demande de relocalisation du tribunal, les autorités gouvernementales avaient annoncé l’instauration, par les forces de l’ordre, d’un couloir de sécurité assurant l’accès à l’établissement.
Or «c’est dans ce couloir que les avocats sont agressés», déplore Me Legros. «Des fois, les membres de gangs rentrent (au tribunal), ils viennent chercher leurs collaborateurs ou frères, selon comment ils les appellent, pour les faire s’évader», témoigne sobrement l’avocate.
Un tel blocage de l’appareil judiciaire ne fait qu’aggraver la surpopulation carcérale haïtienne, déjà parmi les plus élevées au monde. Les prisons du pays n’ont la capacité d’accueillir que 3000 détenus mais, selon l’administration pénitentiaire, plus de 11 200 personnes y sont actuellement incarcérées dont plus de 82% encore en attente de jugement, certaines depuis plusieurs années.
Dans le centre carcéral de Port-au-Prince, communément appelé le pénitencier et où les conditions sanitaires sont déplorables, le taux d’occupation dépasse les 460%.
Faibles salaires et corruption
A l’échelle nationale, la justice va connaître un nouveau coup d’arrêt avec l’entame mardi d’une grève illimitée des greffiers. «Nos conditions de travail sont précaires en Haïti. Il n’y a pas de matériel, pas d’ordinateurs : dans certains tribunaux, il n’y a même pas une feuille de papier», dénonce Ainé Martin, président de l’Association nationale des greffiers haïtiens.
«Un greffier touche environ 220 dollars par mois, et au niveau des tribunaux de paix (premier échelon de la chaîne judiciaire), c’est 150 dollars : on ne vit pas avec un salaire maigre comme ça et c’est pourquoi il y a cette corruption qui gangrène le système judiciaire haïtien», déplore M. Martin.
Sans parler du délabrement des locaux. «Avec les égouts qui ne sont pas curés, quand il pleut, l’eau chargée d’ordures rentre dans le tribunal. En plusieurs fois, les bureaux du barreau ont pris l’eau et il y a des dossiers qu’on ne peut pas récupérer», constate avec dépit la bâtonnière de Port-au-Prince.
Le palais de justice de la capitale s’était écroulé lors du séisme de janvier 2010 qui a tué plus de 200 000 personnes. Dans l’urgence, les différentes cours avaient été provisoirement relogées mais seul le tribunal de première instance n’a pas encore été relocalisé.
«On a déjà posé la première pierre du nouveau Palais de justice, en 2016 mais depuis lors, plus rien», regrette Me Legros. «Sans tribunal, le sentiment d’impunité grandit et sans justice, il n’y a pas de pays», conclut l’avocate.
Elle ne connaît que trop bien la réalité de la lenteur des affaires publiques et de la justice en Haïti : elle a pris la tête du barreau de Port-au-Prince après l’assassinat de son prédécesseur Me Monferrier Dorval, tué par balles devant chez lui en août 2020.
L’enquête sur le meurtre du célèbre avocat n’a encore mené à aucune arrestation. Même l’emblématique dossier de l’assassinat du président Jovenel Moïse, abattu chez lui le 7 juillet 2021, est à l’arrêt: en mars, un quatrième juge a été chargé de l’instruction mais, après un mois, celui-ci s’est plaint de ne pas encore disposer ni du dossier ni de moyens pour travailler.