Par Sari Ali Hikmet (*)
J’ai vécu avec notre éminent professeur linguiste un voyage spatio temporel en trois haltes spirituelles. Le premier mawqif fut à Oran où on a évoqué le récit d’Ibn Arabi quand la fabuleuse montagne d’émeraude de qaf lui demanda des nouvelles de sidi Boumediène. Il lui apprit que des envieux l’accusaient d’hérésie. Elle s’étonna que des créatures de Dieu n’aiment pas les amis de Dieu.
Le professeur m’expliqua que c’était une problématique linguistique. Le second mawqif eut lieu à Tlemcen, la ville de sidi Boumediène où j’ai eu l’honneur d’être le modérateur de son ultime conférence à l’hôtel grand bassin chez mon jeune ami mécène Sid Ahmed Lachachi et avec le soutien du musicologue éclectique Fayçal Benkelfat. Le professeur nous exposa les résultats de ses recherches réussissant l’exploit du grand enseignant qu’il fut à mettre des concepts complexes à la portée d’un public profane.
Il nous fit découvrir la richesse de notre langue maternelle et répondit à ma question sans que je la pose. Il me regarda en disant : «L’apprentissage de toutes les langues passe par un appareil cognitif dont le centre est la langue maternelle de l’apprenant sauf l’Arabe Coranique qui met en jeu exclusivement la mémoire. Ça ne devrait pas marcher et pourtant ça marche.» Il fit un signe vers le ciel comme une chahada.
Lors de mes pérégrinations dans le monde musulman non arabophone en tant que président du club de culture soufie, à commencer par l’Afrique du Sud, je rencontrai des tribus qui ne parlaient pas l’arabe mais récitaient parfaitement le Coran et chantaient la burda.
Mon Cheikh Boukli Hassan Salih de la zaouia mamchaouia m’avait encouragé à apprendre le Coran, alors que je suis francophone. La seule condition est de réviser chaque jour indéfiniment. La venue de Abdou Imam à Tlemcen n’est pas le fruit du hasard. Il est le noble du village de Aïn El Hout et descendant des Ouled sidi El Imam, les grands muphtis savants du royaume de Tlemcen et qui ont rayonné dans tout le califat.
La halte ultime fut celle de Murcie, ville natale d’Ibn Arabi en Andalousie, la terre natale de Sidi Boumediène le 31 août 2023 où il naît au ciel. Ainsi, il fera jusqu’au bout son travail d’interprétation de taawil qui signifie étymologiquement le retour au point de départ et le retour au principe premier. Le sens de la vie de Abdou Imam est d’être un allem mot arabe que je traduis par intellectuel.
Celui qui travaille à s’élever au niveau de l’intellect divin par lequel il devient immortel. Mes hommages à Madame son épouse qui l’accompagne par-delà la mort et qui nous lègue son héritage. Les savants comme les prophètes lèguent la science et Madame Imam a fait don de ses ouvrages à la bibliothèque de la faculté des lettres d’Oran. Merci à elle et à tous les organisateurs de cette journée. Méditons ensemble une parole léguée par le professeur : «On pense pour vivre.» S. A. H.
(*) Professeur des universités Ecrivain
Président du club de culture soufie.
(Extrait de mes mémoires La zaouia de Sidi Hikmet).