Hommage à Anne Beaumanoir : Une grande amie du peuple algérien

20/03/2022 mis à jour: 23:25
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Anne Beaumanoir était connue pour sa lutte en Algérie avec le FLN

Le 4 mars s’est éteinte à Quimper, dans le Finistère (France), Anne Beaumanoir, dite Annette (Roger Anne) à l’âge de 91 ans. Elle est née le 30 octobre 1923 au Guildo dans les Côtes-du-Nord. D’origine aristocratique bretonne, elle s’engage très tôt dans la résistance contre le nazisme et adhère au PCF, qu’elle quittera en 1955.

 Elle est considérée par les juifs comme une «Juste» pour avoir sauvé leurs coreligionnaires lors de la persécution nazie. Après la Seconde Guerre mondiale, jeune universitaire, elle se consacre à la recherche en neurophysiologie et devient une spécialiste de renommée mondiale de l’épilepsie infantile et dirigea le laboratoire de neurophysiologie à Marseille. 
 

Pendant la guerre de Libération, elle s’engage elle et son mari le docteur «Jo» Roger (neuropsychiatre marseillais) dans le soutien au FLN. Ce couple se souvient Arezki Ould Younes , responsable FLN de la Wilaya Sud de la France, mettra à la disposition des militants du FLN la clinique que le Dr Roger dirigeait.

 D’après le témoignage d’Ould Younès, le FLN tiendra plusieurs réunions à l’intérieur de cet établissement psychiatrique. Il était convenu que dans le cas d’une descente policière, les militants algériens «joueront» aux «fous» aliénés et se dissiperont parmi les malades mentaux. Mohamed Harbi préfaça le livre qu’Anne Beaumanoir écrira en 2004, Le feu de la mémoire : la résistance, le communisme et l’Algérie, 1940-1965. 

A propos de son engagement anti-colonial, il écrira : «La rencontre d’Anne avec l’anticolonialisme s’est nourrie de l’héritage de la Révolution française et de celui de Karl Marx.» On sait que l’anticolonialisme en France a revêtu plusieurs formes (…). En son sein, la gauche révolutionnaire occupe une place à part. Depuis la naissance de l’Etoile nord-africaine en 1926, elle «a su, nous fait remarquer Charles-Robert Ageron, proposer au Maghreb des modèles, des formules et une aide parfois inappréciable. Le Maghreb indépendant doit beaucoup plus qu’il ne veut se l’avouer à ces taupes révolutionnaires françaises». Anne que nous admirions était une de ces «taupes». 

Confrontée à l’incurie des grands partis de gauche sur les problèmes soulevés par la guerre faite au peuple algérien, elle a tenté, aux côtés d’autres francs-tireurs rassemblés dans les réseaux Jeanson et Curiel, de pallier leur carence, aggravée par le vote des pouvoirs spéciaux. 

Ces femmes et ces hommes qui ont apporté une aide directe à la Résistance armée étaient les représentants de nombre d’anonymes. Les colonialistes les classaient dans la catégorie des traîtres à la patrie, d’autres, à gauche, taxaient à tort d’«aventurisme» leur appel à l’insoumission. On saluera dans leur engagement l’honneur du peuple français. «Pourtant, leur résistance est ignorée pour une grande part en Algérie, où une réévaluation de l’opposition en France à la guerre s’impose.

 C’est pour nous une dette à honorer à l’égard de ceux qui ont risqué leur vie, brisé leur carrière ou compromis leur vie familiale». Selon René Gallissot, son «engagement aux côtés du FLN a été progressif», note-t-elle dans son témoignage dans le livre de Jacques Charby Les porteurs d’espoir (Les porteurs d’espoir, réédition Chihab, Alger,2004) Contactée par un prêtre de la Mission de France (le père Robert Davezies), un «Permanent» du FLN, elle aide des Algériens et des familles de militants arrêtés : en argent et par des collectes de vêtements, puis par l’hébergement. Elle se souvient : «Mon mari et moi, nous nous sommes occupés de faire soigner des militants algériens, donc des clandestins à part entière.» 

C’est en venant à Paris à la fin de 1957 et en 1958, pour séjour scientifique et soutenance de thèse que son engagement prend sens en dissidence du parti communiste. Jo et Annette Roger s’éloignent du parti après le vote en mars 1956, des Pouvoirs spéciaux pour le maintien de l’ordre en Algérie. Ses doutes sur le régime soviétique deviennent des certitudes par ses quatre mois de séjour scientifique à Moscou à l’automne 1956, à travers ses contacts et ses sorties dans le pays, sans parler de la bureaucratie et du vide dans les laboratoires. 

A Paris, elle se trouve entraînée dans les réunions du groupe et de la publication Voies nouvelles ; elle écoute Henri Lefebvre, est en contact avec Victor Leduc et Evelyne Rey… C’est celle qui va devenir sa grande amie, Madeleine Loridan (Madeleine Rozenberg Loridan, Ivens) qui l’introduit dans le réseau Jeanson (Vincent), et donc au travail de comptage et transport des billets, de pilotages, d’opérations clandestines de secours.

 Avec modestie et humour, elle affirme : «Le recrutement d’Adolfo Kaminski est probablement le seul service que j’aie rendu au FLN.»  Ce photographe imprimeur, prodigieux «faussaire» de papiers jouera un rôle important dans la fabrication des «faux papiers» des militants FLN pourchassés par le système policier français. 

Arrêtée en 1959 - en compagnie de Daksi un responsable de la Fédération de France. M. Daksi, présenté par la presse en France, comme le grand chef terroriste : «Séducteur aux yeux noirs», et sa complice, Annette Roger, femme fatale trahissant la France. La réputation de la docteuresse Annette Roger est faite pour longtemps. 

Les témoignages de confrères et de personnalités à son honneur lors du procès en 1960, ne changeront pas l’affabulation fantasmée, d’autant qu’Annette Roger s’est alors évadée. Après deux semaines au secret, Annette Roger était restée incarcérée au quartier des femmes de la prison des Baumettes à Marseille (…). Elle est défendue par Georges Kiejman (future ministre de la Justice de François Mitterand), encore peu connu à ses débuts, et par François Vidal-Naquet, le frère de Pierre, historien, animateur du «Comité Audin». Tout en restant assignée sous surveillance, en janvier 1960, Annette Roger, au risque prétendu d’un accouchement fatal, peut sortir de prison  ; le procès s’ouvre après la naissance de sa fille. Elle en profite pour fausser compagnie et gagne Tunis. Elle sera condamnée à 10 ans d’emprisonnement en 2e procès, alors que les négociations entre l’Etat français et le GPRA s’ouvrent.

Tout en fréquentant la maison du Dr Martini, ce médecin qui a pu échapper à la prison en Algérie pour son aide au «maquis rouge», qui aime s’entourer de la jeunesse étudiante de gauche et de syndicalistes, de déserteurs réfugiés et de communistes ou révolutionnaires de toute obédience ; elle est accaparée par les tâches médicales. Elle succède à Franz Fanon à la tête du service psychiatrique de l’hôpital Charles Nicolle. Elle s’intéresse à la santé des enfants algériens orphelins de guerre recueillis en Tunisie  ; de leurs dessins, le compère du réseau Jeanson, Jacques Charby (Les enfants d’Algérie, Maspéro, Paris 1962), et Abderrahmane Naceur tireront photographies et documentaire. 

Selon les conseils de ses amis, Michel Mazières et Monique Laks, partisans de Pablo (Michel Raptis) ou du Père Mamet, ancien de la Mission de France (expulsé par Soustelle de Souk Ahras), et notamment du docteur Pierre Chaulet, elle se met à la disposition du responsable du service de santé de l’ALN, le docteur Nekkache. Annette Roger dira toute la détresse des camps de l’ALN en visitant le Sud tunisien et à la frontière, les soldats blessés dans leur équilibre mental ou pire, parqués dans l’isolement à l’intérieur du territoire tunisien.

 Avant le cessez-le-feu, avec quelques français et autres étrangers et son compagnon algérien, Amara, qui plus tard lui fera connaître sa famille à Berrouaghia, elle se porte volontaire pour soigner dans les hôpitaux d’Alger subissant les attaques et les folles menaces de l’OAS. Passant par Constantine libérée, elle gagne Alger.

 En plus du travail hospitalier, elle peut reprendre la clinique de l’Hermitage (Drid Hocine) et organiser tant bien que mal une assistance neurologique (…). À partir de 1963, le docteur Nekkache (devenu ministre de la santé,) lui confie la formation du personnel de santé et la planification des services hospitaliers en Algérie ; elle ouvre notamment un centre de formation mixte à Médéa. 

Après le 19 juin 1965 et le changement du régime en Algérie, elle est recherchée et rentre en clandestinité à l’instar de beaucoup de militants catalogués de gauchistes. Elle quitte l’Algérie et se retrouve en Suisse, car pour ses anciennes activités anti-françaises qui l’ont condamnée jadis pour 10 ans de réclusion, elle ne peut rentrer en France. L’amnistie se fera attendre. Pendant 25 ans, Annette Beaumanoir est interdite de séjour en France. Elle s’installe définitivement au pays des Helvètes et dirige le service de santé mentale de l’hôpital universitaire de Genève. 
 

Par Rachid Khettab , Écrivain

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