Histoire : Le roman-vérité sur le 17 Octobre 1961

18/01/2022 mis à jour: 16:27
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Le roman Le visage de pierre met en parallèle racisme anti-Noir aux Etats-Unis et cruauté policière envers les Algériens de France en lutte contre le colonialisme. Ecrit en 1963, le livre n’avait jamais été traduit en français.

Ce n’est pas seulement un splendide et attachant roman mais un véritable reportage dans les années de sang vécues par les militants algériens durant la guerre d’Algérie. Les éditions Christian Bourgois viennent ainsi d’exhumer Le visage de pierre, un roman inédit de l’écrivain américain William Gardner Smith, né aux Etats-Unis à Philadelphie en 1927 et décédé en France en région parisienne en novembre 1974.

Paru en Amérique en 1963, et jamais paru en France, il aborde la xénophobie ambiante dans les années 1960 et dresse un tableau journalistique du massacre du 17 Octobre 1961.

Alors que le public français n’a jamais pu avoir connaissance de cet ouvrage, il s’agit pourtant là du premier roman-vérité sur la répression policière anti-algérienne du début des années 1960. Jusque-là on attribuait à Didier Daeninckx, le privilège d’avoir publié, en 1983, le premier roman sur 1961 : Meurtres pour mémoire (Série noire-Gallimard).

Loin de la haine raciale aux USA mais proche du racisme anti-Algérien

Le livre de William Gardner Smith, tiré de l’oubli porte en bandeau Paris, 17 octobre 1961 : Ici, on noie les Algériens, rappelant les travaux éminents des années 1990 du regretté Jean-Luc Einaudi, travaux actualisés et enrichis par les livres de Fabrice Riceputi en 2015 et 2021. L’histoire de Le visage de pierre est celle de Siméon Brown. Avec un côté autobiographique puisque l’auteur s’était installé en France en 1961.

Là, il a longtemps pensé, en tant que Noir américain, vivre loin de la haine raciale des Etats-Unis. Pourtant, avec la guerre d’Algérie, il rencontra une autre détestation, inexpugnable, vis-à-vis des Algériens.

Ainsi, le roman met en page un Noir américain qui arrive au début des années 1960 à Paris. Ici, les Noirs se promènent sans craindre pour leur vie et la diaspora américaine a pignon sur rue : dans les cafés, on refait le monde entre deux morceaux de jazz, on discute de politique en séduisant des femmes... Une Noire pouvant sortir avec un Blanc sans faire hurler personne ! Tout semble idyllique dans la plus belle ville du monde.

Mais Simeon Brown s’aperçoit bien vite que la France n’est pas le paradis qu’il cherchait. La guerre d’Algérie fait rage, et un peu partout, les Algériens sont arrêtés, battus et assassinés.

En rencontrant Hossein, un militant algérien, Simeon comprend qu’on ne peut être heureux dans un monde cerné par le malheur. L’Algérien lui dit : «Ici, c’est nous, les négros ! Tu sais comment les Français nous appellent ? Bicot, melon, raton, nor’af. Ça veut dire ‘‘négro’’ en français. Tu n’as donc pas peur qu’on te vole ? Tu n’es pas dégoûté par nos vêtements non repassés, nos odeurs corporelles ? Non, mais sérieusement, je veux te poser une question sérieuse – tu laisserais ta fille épouser l’un d’entre nous ? »

Siméon Brown ne peut pas rester passif face à l’injustice et toutes ses rencontres, notamment dans le milieu arabe, mais aussi dans les sphères françaises vont nourrir un tableau qu’aujourd’hui encore la France officielle ne veut pas tirer au clair.

 «Il vit des corps sans vie qu’on continuait de frapper, encore et encore»

Le Visage de pierre fut le seul livre de William Gardner Smith à n’avoir jamais été traduit en français. Et l’on comprend pourquoi, explique l’éditeur dans la présentation du roman : «Pour la première fois, un roman décrivait un des événements les plus indignes de la guerre d’Algérie, le massacre du 17 Octobre 1961».

En voici un extrait : «Tandis que les ‘‘sections de combat’’ chargeaient, des rangées de policiers armés de matraques et de mitraillettes bloquaient chaque rue et interdisaient toute fuite. Les charges de la police isolaient de petites poches d’Algériens ; chacune de ces poches était ensuite entourée par des flics qui tabassaient méthodiquement hommes, femmes et enfants. Simeon vit des vieillards matraqués après qu’ils furent tombés à terre, parfois par cinq ou six policiers en même temps ; il vit des corps sans vie qu’on continuait de frapper, encore et encore. Lors de scènes d’un sadisme inouï, Simeon vit des femmes enceintes matraquées au ventre, des nouveau-nés arrachés à leur mère»

Description, non seulement censurée dans les années 1960 puisque le livre ne parut jamais dans la métropole coloniale. Paradoxalement, il porte un discours que beaucoup ne veulent pas entendre, soixante ans après l’indépendance algérienne.

Pourtant, note l’auteur par l’intermédiaire de son personnage, il avait «modifié son attitude envers la vie parisienne – il était davantage conscient de la distance qui le séparait des autres Blancs qu’il fréquentait, y compris les Français.

Les haines enfouies étaient de retour ; les murs oubliés se dressaient à nouveau entre le monde et lui».

L’auteur a été notamment journaliste à l’Agence France-Presse (AFP) en tant que correspondant dans plusieurs pays africains et il fut un des spécialistes des questions raciales aux Etats-Unis. et sans nul doute un témoin précieux de la répression coloniale !  

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