Si le dirigeant de l’UA s’est déplacé en Russie, c’est parce qu’il y a urgence. Les perturbations enregistrées dans la chaîne d’approvisionnement du marché des céréales, notamment le blé, mais aussi les contrecoups des sanctions prononcées par l’Occident à l’encontre de la Russie nuisent considérablement au continent africain, dont nombre de pays se fournissent en grande partie de l’Ukraine et de la Russie, grands producteurs et exportateurs de blé.
Il est question, entre autres, du blocage des exportations ukrainiennes, principalement en raison de la situation qui prévaut en mer Noire, mais aussi à cause des sanctions limitant de facto les exportations russes. «Pas de problème», aurait répondu le président russe. Selon les autorités ukrainiennes, 20 millions de tonnes de céréales sont en attente d’exportation. Elles ajoutent que le blocage leur a été imposé par la Russie.
Chose niée par Poutine qui, lors de son entretien avec Macky Sall, a mis l’accent sur les sanctions occidentales contre son pays. Celui-ci a présenté d’ailleurs nombre de solutions, dont l’exportation via les ports de Marioupol et de Berdiansk, qui donnent accès à la mer Noire et qui sont sous contrôle de la Russie, ou celui d’Odessa, sous contrôle ukrainien, pour peu, a-t-il précisé, que l’armée ukrainienne démine ces eaux, ou depuis la Biélorussie, là encore sous conditions de la levée des sanctions occidentales ou encore et pour finir en passant par la Hongrie, la Roumanie ou la Pologne.
Le président russe a affirmé que son pays allait permettre un «passage sécurisé» des navires. Le dirigeant de l’Union africaine a exprimé, via un commentaire sur les réseaux sociaux, sa «satisfaction». «Nous sortons d’ici très rassurés», avait-il dit.
Le président de l’Union africaine a également relevé, rapportent toujours les agences d’information, que «les tensions alimentaires avaient été aggravées par les sanctions occidentales, qui affectent la chaîne logistique, commerciale et financière de la Russie». Il a par conséquent appelé à ce que «le secteur alimentaire soit hors des sanctions».
Un tiers des importations de l’Afrique en céréales vient de Russie ou d’Ukraine
La Russie et l’Ukraine font partie des plus importants exportateurs de céréales du monde. Ils étaient respectivement troisième et quatrième en 2021, avec 47,7 et 44,6 millions de tonnes. La Russie est, par ailleurs, premier exportateur de blé, avec 18% du marché mondial. Sa production annuelle avoisine les 72 millions de tonnes.
L’Ukraine est, par contre, troisième exportateur, avec 11% du marché mondial et une production de près de 24 millions de tonnes. Ainsi, à eux seuls, ces deux pays détiennent près d’un tiers des parts des exportations. D’où les retombées de cette crise, qui a débuté le 24 février dernier, sur l’approvisionnement du marché mondial, mais surtout sur l’Afrique, dont nombre de pays sont partiellement ou totalement dépendants.
Selon certaines données, près de 30 pays africains importent plus d’un tiers de leur blé de l’un ou de ces deux pays. 16 d’entre eux en importent plus de la moitié. Le mois dernier, le Programme alimentaire mondial (PAM) a alerté contre les risques de «famine aggravée dans le monde», en raison de ces perturbations dans l’approvisionnement.
Une famine qui pourrait toucher 8 à 13 millions de personnes, a renchéri l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La situation est principalement préoccupante en Afrique de l’Ouest et au Sahel.
A cet effet, la Banque africaine de développement (BAD) a décidé, le 23 mai dernier, de débloquer une aide de 1,5 milliard de dollars pour prévenir une crise alimentaire sur le continent africain. «Ce plan de 1,5 milliard de dollars sera utilisé pour aider les pays africains à produire de la nourriture et à le faire rapidement», a indiqué le président de la BAD, Akinwumi Adesina, rapporte un communiqué de cette institution financière.
Un plan qui vise «à augmenter la production de blé, de maïs, de riz et de soja sur le continent, afin de compenser la perte d’approvisionnement due à la guerre en Ukraine», ajoute la même source. Tout cela pour dire que les répercussions peuvent être néfastes si la crise russo-ukrainienne perdure. Car ces perturbations ne font que pousser les prix des céréales, qui ont grandement augmenté depuis le début du conflit, vers une plus forte hausse.
A la mi-mai, la tonne du blé tendre s’échangeait sur le marché mondial à 438 euros, alors que le prix était d’environ 230 euros au même mois de l’année dernière. Les perturbations des approvisionnements des exportations des céréales russes et ukrainiennes, avec ce que cela implique comme répercussions sur les prix, ont eu donc des retombées directes sur de nombreux pays africains, qui ne peuvent que difficilement supporter (ou pas du tout) la hausse des prix.
De nombreux pays subissent les contrecoups
L’un des pays les plus peuplés d’Afrique, avec près de 100 millions d’habitants, l’Egypte, plus gros importateur de céréales, avec 13 millions de tonnes en 2021, et dont 85% de ses importations viennent de Russie et d’Ukraine, subit directement cette crise. Le prix du pain, produit essentiel pour de larges couches de la société, a augmenté (le poids de la baguette subventionnée a été réduit). Si l’Algérie, par exemple, subit moins ces contrecoups en raison parallèlement de la hausse des prix des hydrocarbures, ce n’est pas le cas pour beaucoup d’autres pays.
Le Maroc a importé 4,5 millions de tonnes de céréales en 2021, dont 36% de Russie et d’Ukraine. Il y a également le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec près de 200 millions d’habitants, et le Soudan qui importent respectivement 5,5 et 3 millions de tonnes et qui subissent de plein fouet cette crise. Dans plusieurs pays africains parmi les plus pauvres du contient, notamment ceux du Sahel, le prix de la farine a fortement augmenté.
Même le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, qui s’occupe de la distribution de denrées alimentaires dans certains pays à travers le monde, a indiqué que ses actions peuvent être remises en cause étant donné que 40% de ses approvisionnements viennent de Russie et d’Ukraine.
Un porte-parole du PAM a indiqué, le 20 mai dernier, que «jusqu’à 18 millions de personnes dans la région du Sahel, en proie à une terrible sécheresse, seront confrontées à une grave insécurité alimentaire au cours des trois prochains mois».
Une situation, ajoute-t-on encore, qui est «le résultat d’une combinaison de facteurs, à savoir les conflits, la pandémie de Covid, la sécheresse et la hausse des prix des aliments».
Tout cela pour dire que ce conflit russo-ukrainien, ainsi que les sanctions mises en œuvre par les Occidentaux à l’encontre de la Russie vont mettre en difficulté plusieurs pays africains et compliquer davantage la situation des plus vulnérables, si jamais une solution n’est pas trouvée à brève échéance.
Indice FAO du 3 juin des prix des produits alimentaires
«Les prix mondiaux des denrées alimentaires de base ont accusé une baisse modeste en mai pour le deuxième mois consécutif, bien que les prix du blé et de la volaille aient augmenté. L’indice FAO des prix des produits alimentaires s’est établi à une moyenne de 157,4 points en mai 2022, soit un recul 0,6% par rapport à avril. L’indice, qui permet de suivre l’évolution mensuelle des prix internationaux d’un assortiment de produits alimentaires couramment échangés, était toutefois supérieur de 22,8% à sa valeur de mai 2021. L’indice FAO des prix des céréales a gagné 2,2% par rapport au mois précédent, sous l’effet d’une hausse des prix du blé, laquelle a été de 5,6% par rapport à avril et de 56,2% par rapport à l’année précédente. Les prix internationaux du blé, dont la moyenne n’était que de 11% inférieure à son niveau record atteint en mars 2008, ont augmenté en réaction à une interdiction d’exporter annoncée par l’Inde et à des craintes relatives à l’état des cultures dans plusieurs des principaux pays exportateurs. Cette évolution traduit aussi un abaissement des perspectives concernant la production de blé en Ukraine du fait de la guerre dans ce pays.»
Extrait de la déclaration du Programme alimentaire mondial (PAM) des nations unies du 6 mai dernier
«Les prix alimentaires mondiaux ont fortement augmenté depuis le début de la crise. Cela affectera les prix des denrées alimentaires locales et les personnes dans les endroits les plus vulnérables, avec des budgets extrêmement serrés, sont particulièrement à risque. Dans le mois qui a suivi le début du conflit, les prix à l’exportation du blé et du maïs ont augmenté de 22 et 20% respectivement, en plus des fortes hausses de 2021. Avant la guerre, l’année s’annonçait déjà comme étant celle d’une faim catastrophique, avec des besoins pour aider les personnes souffrant de la faim à travers le monde dépassant les ressources. En Afrique de l’Ouest, la faim aiguë a déjà atteint son plus haut niveau en dix ans alors que la reprise après la pandémie de Covid-19 est lente dans la région – avec des coûts déjà élevés, beaucoup souffriront à mesure que les prix augmenteront encore. Les répercussions de la crise ukrainienne pourraient également aggraver la situation d’insécurité alimentaire en Afrique de l’Est – l’Ethiopie, le Kenya, la Somalie, le Soudan et le Soudan du Sud seront probablement les plus durement touchés en raison de leur dépendance à l’égard des importations en provenance de Russie et d’Ukraine. L’approvisionnement alimentaire en dehors de la région de la mer Noire augmentera certainement les coûts, tout en augmentant le temps nécessaire pour acheter et fournir une alimentation nutritionnelle essentielle. Pendant ce temps, la hausse des prix des denrées alimentaires et du pétrole fait grimper les coûts opérationnels mensuels du PAM jusqu’à 71 millions de dollars par mois, réduisant ainsi sa capacité à répondre aux crises de la faim dans le monde.»